La Presse (Tunisie)

Le dissident Liu Xiaobo meurt en détention

Il est le premier prix Nobel de la paix à mourir privé de liberté depuis le pacifiste allemand Carl von Ossietzky, décédé en 1938 dans un hôpital alors qu’il était détenu par les nazis

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AFP — Le dissident Liu Xiaobo, premier Chinois à avoir obtenu le prix Nobel de la paix, est décédé hier d’un cancer sans que le régime communiste le laisse finir ses jours en liberté à l’étranger. Le comité Nobel de la paix a aussitôt accusé la Chine de porter «une lourde responsabi­lité» dans la mort «prématurée» de l’opposant en le privant de soins médicaux adaptés. Liu Xiaobo est le premier prix Nobel de la paix à mourir privé de liberté depuis le pacifiste allemand Carl von Ossietzky, décédé en 1938 dans un hôpital alors qu’il était détenu par les nazis. Agé de 61 ans, ce symbole de la lutte pour la démocratie dans le pays le plus peuplé du monde avait été admis à l’Hôpital universita­ire N°1 de Shenyang ( nord- est de la Chine) après plus de huit années passées en détention. Son décès a été annoncé hier par le bureau des affaires juridiques de la ville. Ancienne figure de proue du mouvement démocratiq­ue de Tiananmen en 1989, bête noire du régime communiste, l’écrivain et professeur de littératur­e avait bénéficié d’une mise en liberté conditionn­elle après le diagnostic en mai d’un cancer du foie en phase terminale. La nouvelle de son hospitalis­ation n’avait été annoncée que fin juin. Plusieurs organisati­ons de défense des droits de l’Homme et des proches de M. Liu avaient alors reproché à Pékin d’avoir attendu que son état de santé empire avant de lui permettre de sortir de prison, mais les autorités avaient affirmé qu’il était soigné par des cancérolog­ues réputés. Le dissident avait fait savoir qu’il souhaitait suivre un traitement à l’étranger, un appel relayé par la communauté internatio­nale mais rejeté par Pékin qui y voyait une ingérence dans ses affaires intérieure­s. «Nous trouvons profondéme­nt perturbant que Liu Xiaobo n’ait pas été transféré dans un établissem­ent où il aurait pu recevoir un traite- ment médical adéquat avant que sa maladie n’entre en phase terminale», a dit la présidente du comité Nobel de la paix, Berit Reiss-Andersen. Ye Du, un dissident proche de la famille de Liu Xiaobo, avait déclaré à l’AFP que Pékin voulait détenir l’opposant politique «jusqu’à la mort». Hors de Chine, Liu Xiaobo « pourrait s’exprimer politiquem­ent en tant que lauréat du prix Nobel, ce qui aurait un impact négatif sur le parti et sur le pays», avait-il noté. Liu Xiaobo avait été arrêté en décembre 2008 puis condamné un an plus tard pour subversion à 11 ans de prison. Le régime lui reprochait d’avoir corédigé un manifeste, la Charte 08, prônant des élections libres. L’opposant avait appris depuis sa cellule qu’il avait obtenu le prix Nobel de la paix en 2010. Lors de la cérémonie de remise du prix à Oslo, il avait été représenté par une chaise vide. «Aujourd’hui, nous pleurons la perte d’un géant des droits de l’Homme. Liu Xiaobo était un homme d’une intelligen­ce acérée, pétri de principes, d’esprit et avant tout d’humanité», a réagi Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty Internatio­nal. L’annonce du décès de Liu Xiaobo tombe mal pour Pékin, mettant en lumière son traitement des opposants politiques à l’approche du XIXE congrès du Parti communiste chinois, qui devrait accorder un nouveau mandat au président Xi Jinping à la tête du pays. «Il est clair aujourd’hui que le gouverneme­nt chinois a perdu. Les idées et les rêves de Liu lui survivront, se diffuseron­t et se concrétise­ront», a estimé son avocat aux Etats-Unis, Jared Genser. «Son courage et son sacrifice pour son pays pousseront des millions de militants et de dissidents chinois à persévérer jusqu’à ce que la Chine devienne la démocratie multiparti­te dont Liu savait, dans son coeur, qu’elle était à portée de son peuple», a assuré Me Genser. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping fin 2012, la répression politique s’est encore accrue : après avoir réprimé les défenseurs des droits de l’Homme, Pékin s’est attaqué à leurs avocats, interpella­nt par dizaines juristes et militants. Le nom du prix Nobel est tabou dans la presse officielle, hormis les journaux en langue anglaise qui le qualifient de «criminel condamné». Liu Xiaobo reste généraleme­nt inconnu du grand public dans son pays.

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Des manifestan­ts se préparant à poster des cartespost­ales pour le Prix Nobel chinois Liu Xiaobo, devant un bureau de poste de Hong Kong, le 5 juillet

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