« C’est comme si l’Etat était schizophrène ! »
OUMAYMA MEHDI D’AL BAWSALA À PROPOS DU PROJET DE LOI RELATIF À LA RÉCONCILIATION ÉCONOMIQUE
Oumayma Mehdi est assistante sur le projet Marsad Majles (observatoire du Parlement) à l’association Al Bawsala. Elle suit de près les enjeux qui entourent les discussions sur le projet de loi relatif à la réconciliation économique et financière
Oumayma Mehdi est assistante sur le projet Marsad Majles (observatoire du Parlement) à l’association Al Bawsala. Elle suit de près les enjeux qui entourent les discussions sur le projet de loi relatif à la réconciliation économique et financière
Exactement deux ans après son dépôt à l’ARP, que reste-t-il de la première version du projet de loi relatif à la réconciliation économique et financière ? Pratiquement plus rien ! Les amendements qui y ont été introduits lors des débats de mercredi dernier à la commission de la législation générale à l’ARP en font un nouveau projet. Tel que décrit par le directeur de cabinet de Béji Caïd Essebsi, Slim Azzabi, lors de son audition par la commission de la législation générale de l’ARP, en mai dernier, le texte est constitué de trois parties : amnistie avec les fonctionnaires et assimilés, réconciliation avec les hommes d’affaires et amnistie de change. Très vite, on a décidé au Parlement de soustraire du projet cette dernière partie, qui n’a aucune raison de figurer dans cette initiative législative pour l’intégrer prochainement dans une loi à part sur l’amnistie de change. Proposition d’ailleurs acceptée par la présidence. L’argument le plus controversé et le plus critiqué par la société civile a trait à la réconciliation avec les hommes d’affaire ayant tiré par le passé un avantage d’actes portant sur une malversation financière et un détournement des deniers publics. Ce sont les mobilisations de rue qui ont fait tomber cet article. En fait, seules les dispositions concernant les fonctionnaires et assimilés sont maintenues. Or, même réduit à ces seules dispositions, le projet reste toujours problématique. D’où son rejet par Al Bawsala depuis le début.
Que veut-on dire par «assimilés» en parlant des fonctionnaires de l’administration publique ? Il s’agit des hauts commis de l’Etat : ministres, secrétaires d’Etat, conseillers de ministres, ambassadeurs, juges, gouverneurs… Des décideurs, des personnes qui avaient le pouvoir du temps de Ben Ali, et qui auraient pu démissionner pour éviter de signer des autorisations et des documents contraires à la loi au bénéfice des proches de l’ex-président. Nous sommes en réalité loin des profils décrits par la présidence de faibles individus ayant reçu des ordres, n’ayant pas tiré profit de leurs services rendus au pouvoir et craignant plus que tout les représailles s’ils s’aventuraient à aller à l’encontre des désirs de Ben Ali.
Combien d’individus à votre avis seraient-ils intéressés par les dispositions concernant l’amnistie des fonctionnaires, toutes catégories confondues ? Slim Azzabi a évoqué, lors de son audition du mois de mai devant le Parlement, le chiffre de 1.500 personnes. Cette estimation est à mon avis exagérée. Je crois que les personnes qui présenteront leurs dossiers devant la commission de conciliation prévue par le projet de loi sont celles-là actuellement poursuivies pour malversations par les tribunaux. Elles n’excèdent pas les 500 cas. Une question se pose à ce propos : comment la commission va-t-elle prouver que ces fonctionnaires et assimilés n’ont pas vraiment tiré profit de leurs arrangements avec le pouvoir ? D’autre part, comment définir et quantifier cette contrepartie ? La commission n’a pas les moyens ni d’accéder aux archives, ni de faire des investigations. Car le diable réside dans les détails. Certains ont reçu des services, comme affecter une bourse d’études en Amérique à la fille d’un fonctionnaire ou l’inscrire en médecine, alors qu’elle n’y a pas droit. D’autres ont été maintenus à leur poste alors qu’ils ne le méritaient pas. Les situations sont si multiples.
Si on amnistiait les fonctionnaires ayant enfreint la loi sous la pression, ne serait-ce pas un mauvais exemple à suivre alors que le gouvernement mène actuellement une bataille contre la corruption ? C’est comme si l’Etat était schizophrène ! Il engage d’un côté une lutte contre les malversations et consacre, de l’autre, l’impunité des corrompus. Autre chose : les dispositions concernant l’amnistie des fonctionnaires et assimilés occultent complètement les victimes. Ceux qui ont été dépouillés de leurs droits et de leurs biens au profit de personnages comme Imed Trabelsi par exemple. Si la justice transitionnelle se focalise sur les victimes, ce projet, lui, ne cherche qu’à disculper les responsables des violations.
Pensez-vous que le projet dans sa nouvelle forme va être adopté en séance plénière par les députés ? Le rapport de force au sein de l’ARP lui donne beaucoup de chances pour passer avec une majorité absolue. Puisque selon nos estimations les groupes de Nida, d’Ennahdha, d’El Horra, d’El Kotla Wataniya et d’Afak Tounès voteront en sa faveur.