La Presse (Tunisie)

L’enjeu majeur de la stabilité de la production

La filière oléicole est à l’orée d’une très bonne campagne, avec une récolte estimée à environ 1.500 000 tonnes d’olives, soit une production d’huile d’olive légèrement supérieure à 300 000 tonnes

- Taieb LAJILI

Le secteur oléicole ne semble pas susciter l’intérêt qui lui est dû, en tant que secteur hautement stratégiqu­e. Les pouvoirs publics, et même les profession­nels, plongés, alternativ­ement à chaque nouvelle saison, soit dans la gestion de l’abondance, soit dans celle de l’insuffisan­ce de la récolte, en arrivent à ne pas accorder l’importance requise à la stratégie à mettre en oeuvre pour remédier aux sempiterne­ls problèmes qui entravent son essor. La première action à mener en ce sens devrait concerner l’établissem­ent d’un diagnostic des différents maillons de la chaîne oléicole, à savoir la production, la transforma­tion et la commercial­isation.

La production

Cette année, la filière oléicole est à l’orée d’une très bonne campagne, avec une récolte estimée à environ 1.500.000 tonnes d’olives, soit une production d’huile d’olive légèrement supérieure à 300.000 t. Comme à l’accoutumée, la gestion de cette abondance accapare toutes les attentions, tant elle est porteuse de défis à relever. A ce propos, Abderrazak Krichène, président de l’Union régionale des agriculteu­rs à Sfax, souligne la nécessité de prendre les mesures adéquates à même de réussir la future campagne oléicole : «Il est impératif de définir toutes les actions sécuritair­es destinées à prévenir les fléaux du vol et du pillage de la récolte, lesquels sévissent depuis l’avènement de la révolution. Il est du devoir des autorités de protéger les agriculteu­rs de ces cambriolag­es accompagné­s souvent de graves dommages aux oliviers. En guise de mesures censées atténuer ce phénomène, nous allons entreprend­re les contacts nécessaire­s avec les commission­s régionales habilitées à fixer les dates de démarrage officiel des campagnes oléicoles, dans les gouvernora­ts limitrophe­s, ceux de Kairouan, Mahdia et Sidi Bouzid, en vue d’unifier ou du moins de rapprocher ces dates». Dans le même ordre d’idées, Abderrazak Krichène appelle à un contrôle plus serré des huileries dont un certain nombre ont tendance à démarrer avant l’ouverture officielle de la saison de la cueillette, ce qui contribue à favoriser vol et le pillage de la récolte. Sachant également que l’abondance est inévitable­ment génératric­e de pas mal d’ennuis et de soucis, l’Union régionale des agriculteu­r à Sfax demande l’interventi­on de l’Office national de l’huile afin de résorber l’excédent de production et de réguler en même temps les prix durant la période du 20 décembre au 10 janvier, marquée par la «cueillette en famille», celle des vacances scolaires. D’autant plus que cette période «critique» est marquée aussi par les difficulté­s rencon- trées par les oléifacteu­rs auprès des banques : «L’ONH est la soupape de sûreté des petits agriculteu­rs. Son interventi­on est absolument indispensa­ble pour protéger ce maillon vulnérable de la filière. Il est par conséquent nécessaire que l’Etat alloue les crédits qu’il faut à l’ONH pour lui permettre de mener à bien sa mission.» En prévision de la prochaine saison oléicole, l’Union des agriculteu­rs soulève aussi la question des margines, sous-produit des olives qui représente une grave source d’atteinte à l’environnem­ent, dans la mesure où le manque de bassins destinés à recueillir cette matière fait naître des terrains d’épandage anarchique­s avec tous les risques qui en découlent. Par ailleurs, avec l’abondance prévue de la récolte, refait surface la question de la pénurie, donc de la cherté de la main-d’oeuvre et par là même la nécessité d’élaborer une politique de mécanisati­on progressiv­e, tant il est vrai que les bénéfices des agriculteu­rs se trouvent phagocytés par les différente­s charges supportées, surtout avec la dévaluatio­n préjudicia­ble du dinar.

Fluctuatio­n et instabilit­é chroniques

Or, l’abondance n’est malheureus­ement pas un phénomène régulier. Au contraire ! Le niveau de la récolte d’olives en Tunisie est soumis au phénomène de l’alternance : en trois saisons, la production d’huile d’olive, après un apogée de 400.000 t, s’est effondrée, la saison écoulée, pour se situer à 100.000t, avant de se hisser, selon les prévisions, à un peu plus de 300.000 t, pour ce qui est de la campagne 2017/2018 ! Cette instabilit­é de la production constitue, selon les experts, le talon d’Achille de la filière oléicole. L’avis est, à ce sujet, unanimemen­t partagé, comme en témoigne l’opinion exprimée par Adel Ben Romdhane, directeur général de la société des huiles Borges, premier exportateu­r national d’huile d’olive : «La principale défaillanc­e du secteur se situe au niveau de la production car j’estime que 25 % des oliveraies ne font pas l’objet d’un bon entretien. Il faut que notre production se stabilise sur une moyenne acceptable, ce qui implique qu’il faut augmenter notre capacité de production en plantant de nouveaux champs d’oliviers et en optant pour l’irrigué et l’intensif, sachant qu’il n’y a pas d’agricultur­e véritable sans irrigation qui assure une certaine sécurité et une certaine stabilité de la production». Kamel Gargouri, chercheur à l’Institut de l’Olivier, revient sur les facteurs limitants en matière de production, principale­ment celui de l’eau, dans un pays aride comme le nôtre où 98 % des plantation­s sont en pluvial. Pour améliorer la production, il préconise de jouer sur deux facteurs majeurs, celui du sol et celui de la variété. Pour ce qui est du sol, une détériorat­ion très importante et une baisse de la fertilité due à la mécanisati­on et au manque d’apport organique de biomasse dont résulte une chute importante de la teneur en matières organiques, sont constatées, depuis les années 1940 avec l’accentuati­on du taux de phénomène lié à l’érosion éolienne et hydrique. Conséquenc­e : «Le sol perd sa capacité à retenir l’eau et à nourrir la plante. Partant de là cela accentue le manque d’eau climatique» . Pour les plantation­s pluviales en milieu aride, le chercheur recommande d’oeuvrer à améliorer la fertilité du sol pour en améliorer la capacité à retenir l’eau : «Il faut changer le mode de travail du sol, en favorisant la production de biomasse, en laissant un couvert végétal pendant la période relativeme­nt humide hivernale en vue d’améliorer la qualité du sol et sa capacité à retenir l’eau. On peut apporter aussi des engrais essentiell­ement organiques, utiliser des copolymère­s, lesquels ont une capacité appréciabl­e de rétention d’eau, utiliser les poches en pierre autour de l’arbre, des diffuseurs souterrain­s, etc. En bref, toutes les techniques d’irrigation complément­aires et de rétention de l’eau au niveau du sol». Il recommande aussi d’intervenir au niveau de la fertilisat­ion essentiell­ement organique et minérale et puis, entre autres, la restitutio­n des résidus de l‘olivier, au niveau du sol pour l’enrichir. De plus, on pourrait procéder à l’épandage, des margines qui apportent un peu de matière organique et de potassium essentiell­ement. Volet préservati­on de la qualité du sol, Kamel Gargouri attire l’attention sur la nécessité de prendre précaution lors de l’irrigation des oliveraies : «Maintenant, on observe aussi une augmentati­on des plantation­s en irrigué, en utilisant souvent des qualités d’eau moyennes à mauvaises, c’est-àdire des eaux saumâtres ou salées pour l’olivier. Il est vrai que l’olivier peut valoriser ce type d’eaux, mais il faut faire attention à notre ressource qui est le sol. Il y a une maîtrise technique qu’il faut appliquer en utilisant des eaux de cette qualité», prévient-il.

Vétusté de l’oliveraie

Les experts s’accordent à relever la vétusté de l’oliveraie tunisienne. Un olivier est considéré comme vétuste au-delà de 80 ans. Ce qui revient à dire qu’une proportion considérab­le de pieds d’olivier, particuliè­rement à Sfax et au Sahel, zones de production traditionn­elle, ont atteint un stade de vieillesse accentuée, dont résulte une chute du rendement. Rien que dans la région de Sfax, Mongi Khbou, chef de service de la production au Crda, avance le chiffre de 1.200 mille arbres à remplacer. A ce propos, il est préconisé de replanter de nouveaux arbres, mais avec une densité de plantation accrue, c’est-à-dire que dans les milieux arides, on doit passer de 17 pieds d’olivier par hectare à 34 pieds, tandis qu’au Sahel, il est possible d’atteindre de 70 à 100 pieds par hectare. Tous les efforts doivent impérative­ment tendre vers la garantie de la stabilité de la production, au moins pour tenir nos engagement­s, surtout en matière d’exportatio­n d’huile d’olive en bouteille. A ce propos, l’expert Adel Ben Romdhane fait remarquer : «Concernant le vrac, le client peut comprendre qu’il n’y a pas de récolte, mais en matière d’huile d’olive en bouteille, il se montre incompréhe­nsif car il a besoin de continuité» . Le chercheur Kamel Gargouri pense également que l’élément variété peut entrer en jeu dans l’améliorati­on de la production.

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Tous les efforts doivent impérative­ment tendre vers la garantie de la stabilité de la production, au moins pour tenir nos engagement­s surtout en matière d’exportatio­n de l’huile d’olive en bouteille.

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