Le point sur l’affaire
Le parquet mexicain a ouvert une enquête et indiqué qu’il demanderait son aide au FBI, au vu de son expérience sur le sujet
AFP — Le gouvernement mexicain est empêtré depuis près d’un mois dans un scandale d’espionnage, révélé par des chercheurs indépendants de l’Université de Toronto. Selon ces experts en sécurité informatique, des journalistes, des avocats, des militants des droit de l’Homme et même les membres d’une commission d’enquête internationale auraient été la cible d’un logiciel espion baptisé Pegasus, uniquement vendu aux gouvernements.
Qu’est-ce que Pegasus?
Il s’agit d’un logiciel espion conçu par la société israélienne NSO. Il permet de pirater les téléphones portables afin de surveiller les communications des utilisateurs, mais aussi de prendre des photos et des vidéos à leur insu, ou encore de déclencher leur micro. C’est «un espion dans votre poche», explique John Scott-Railton, chercheur au Citizen Lab de l’université de Toronto. Le fabricant israélien affirme qu’il est vendu exclusivement aux gouvernements afin de combattre le terrorisme et la criminalité. Le gouvernement mexicain aurait déboursé 80 millions de dollars depuis 2011 pour pouvoir utiliser ce logiciel.
Qui a été espionné?
Selon ces experts en sécurité informatique, au moins 19 personnes auraient été ciblées. Des journalistes, des défenseurs des droits de l’Homme, un leader de l’opposition ou encore des avocats exigeant une législation anticorruption renforcée ont été visées. La célèbre journaliste mexicaine Carmen Aristegui et son fils adolescent figurent parmi les personnes ciblées. Encore plus gênant pour le gouvernement mexicain, les chercheurs ont révélé cette semaine que des membres d’une commission internationale enquêtant sur la disparition de 43 étudiants de l’école normale d’Ayotzinapa avaient également été visés. La disparition en septembre 2014 de ces 43 étudiants avait valu de nombreuses critiques internationales au président Enrique Peña Nieto. Toutes les personnes ciblées par l’espionnage ont un point commun, souligne Scott-Railton: elles sont toutes «critiques envers le gouvernement ou contestent les positions du gouvernement».
Comment le logiciel espion est installé?
Les personnes ciblées au Mexique par Pegasus ont reçu un SMS les incitant à cliquer sur un lien permettant ensuite l’installation à leur insu du logiciel espion. Il s’agissait de messages captant l’attention et semblant provenir d’un proche, d’un média connu, d’une banque, d’une ambassade ou encore d’un témoin anonyme. «Deux types armés sont assis dans un véhicule devant ta maison, je les ai pris en photo, regarde-les et sois prudent», indiquait ainsi un message parvenu au directeur de l’Institut mexicain pour la compétitivité, Juan Pardinas, activiste anticorruption. Le journaliste Rafael Cabrera a, lui, reçu un message l’incitant à regarder les images de la liaison extraconjugale de sa femme, envoyées par son supposé amant.
Est-ce le gouvernement mexicain?
Neuf victimes présumées de cet espionnage ont tenu une conférence de presse le 19 juin au cours de laquelle elles ont annoncé avoir déposé plainte contre le gouvernement. Les autorités mexicaines ont rejeté ces accusations. Scott-Railton indique que les chercheurs n’ont pas pu prouver l’origine du piratage. Mais il est très peu probable, selon lui, que d’autres que le gouvernement mexicain soient derrière cet espionnage, étant donnée la provenance du logiciel. «Nous pensons qu’il est uniquement fourni aux gouvernements», indiquet-il à l’AFP.
Quelle suite à l’affaire?
Le parquet mexicain a ouvert une enquête et indiqué qu’il demanderait son aide au FBI, au vu de son expérience sur le sujet. Plusieurs voix dont des juristes de l’opposition ont demandé la nomination d’un procureur spécial car l’enquête sera entre les mains du ministère mexicain de la Justice qui est lui-même un des utilisateurs présumés du logiciel espion. «L’expérience montre que dans ce type d’affaires, où le gouvernement est impliqué, il est le premier à ne pas vouloir que l’enquête avance», souligne à l’AFP l’analyste politique Lorenzo Meyer. Ce scandale démontre selon lui qu’au Mexique, «l’Etat de droit est théorique mais pas réel». Cette affaire continue de dégrader l’image du président Enrique Peña Nieto — dont la cote de popularité se situe déjà en-dessous des 20% de satisfaits — et de son parti le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). Il est cependant trop tôt pour savoir si ce nouveau scandale pourrait avoir un impact sur l’élection présidentielle de 2018, indique Samuel Gonzalez, ancien responsable de la lutte contre le crime organisé. «Les Mexicains ont la mémoire très courte et l’enquête peut durer très longtemps», prévient-il.