La Presse (Tunisie)

Enquêtes fictives

- Par Abdelhamid GmAti A.G.

UNE nouvelle liste mentionnan­t des zones militaires fermées sera publiée prochainem­ent. C’est ce qu’a déclaré le ministre de la Défense, Farhat Horchani, qui précise que ces nouvelles zones, ajoutées aux précédente­s, permettron­t de « mieux planifier l’action des forces armées et protéger davantage les soldats de l’Armée nationale dans l’accompliss­ement de leurs missions ». Ce qui veut dire que même si « les frontières tuniso-libyennes sont bien tenues malgré l’instabilit­é en Libye », le danger terroriste est latent. Et de fait, le démantèlem­ent de cellules dormantes et les arrestatio­ns de jihadistes continuent. On a beaucoup parlé du retour des jihadistes tunisiens des zones de conflits. On a parlé aussi du danger que représente­nt ceux qui ont été empêchés de quitter le territoire. Le ministre de l’Intérieur avait révélé, en avril dernier, que leur nombre atteignait les 27.371. Mais il y a aussi ceux qui sympathise­nt avec Daech et en défendent les idées. Périodique­ment, ils se révèlent en appelant au jihad et à l’extrémisme. Ce qui veut dire que les recruteurs sont toujours actifs. Et cela nous renvoie à la Commission d’enquête sur l’envoi des jeunes dans les zones de conflits, créée par l’ARP en janvier dernier. Où en est-on ?

On sait que la députée Leila Chettaoui, présidente de ladite commission, a été limogée en mai dernier. Elle a expliqué que sa déterminat­ion à découvrir qui était derrière ces envois n’a pas plu. Et elle a précisé : « J’étais sur le point de découvrir qui était réellement derrière l’envoi de nos jeunes dans les zones de conflits. La responsabi­lité de la Troïka est manifeste. D’ailleurs, lors de l’audition de la commission de l’analyse financière, vendredi dernier, nous avons eu l’informatio­n que l’origine de fonds versés, au moyen de virements, aux 200 associatio­ns de prêche suspectes provient de l’étranger et plus précisémen­t des pays du Golfe et en premier lieu du Qatar. A un moment donné, les virements sont passés de 100 mille à 3 millions de dinars ». Mais il semble qu’il n’y a eu aucun suivi et les travaux de la commission semblent gelés. Pourtant les témoignage­s sont nombreux.

Un jihadiste tunisien, Saber Mohamed Ali, arrêté en Syrie, a indiqué, récemment, que la Troïka, en collaborat­ion avec la Turquie, facilitait le départ des jeunes tunisiens dans les zones de conflits. Il a raconté son parcours de jihadiste, précisant qu’au temps de la Troïka, l’ancienne coalition gouverneme­ntale (janvier 2012-janvier 2014), il était facile de rejoindre l’organisati­on terroriste de l’Etat islamique (Daech) en Syrie. «Toutes les portes étaient ouvertes, le recrutemen­t et l’envoi au jihad étaient faciles». Il s’est, d’abord, « rendu en Libye puis en Turquie où il a rencontré un Tunisien à l’aéroport d’Istanbul, qui, aidé par un homme se présentant comme policier turc, lui a facilité la traversée vers la Syrie ».

Le 6 juin dernier a été révélé un document émanant de l’ambassade du Qatar à Tripoli, datant de 2012, signé par l’ambassadeu­r par intérim, adressé au ministère qatari des Affaires étrangères. Il y est écrit que « l’ambassade qatarie à Tripoli a recruté et entraîné 1.800 éléments terroriste­s venus des pays du Maghreb arabe. Ces éléments ont été entraînés au combat et au maniement des armes lourdes ». Et l’ambassadeu­r demande au ministère des Affaires étrangères de son pays de coordonner avec les autorités turques pour la réception de ces « combattant­s » et leur transfert en Syrie. C’est on ne peut plus clair.

Mais qui veut la clarté ? David Thomson était correspond­ant de RFI en Tunisie « pendant et après la révolution ». Dans son livre intitulé « Les revenants », il traite du danger du retour des « jihadistes » en Tunisie. Et parle d’un « déni tunisien » face à cette menace et on avançait la « théorie des fausses barbes », inventée par Sihem Ben Sedrine pour convaincre les gens que « le jihadisme était lié au RCD qui faisait tout pour revenir au pouvoir ». En janvier dernier, Hamza Hamza, membre du Conseil de la choura d’Ennahdha, a défendu les combattant­s jihadistes tunisiens à l’étranger. Il a prétendu que la polémique suscitée autour de leur retour au bercail n’est qu’une tempête dans un verre d’eau, initiée par des « lobbies médiatique­s » qui veulent saper la stabilité de l’Etat et les acquis de la révolution, et remettre en question la nouvelle constituti­on tunisienne.

On en est encore dans le déni. Il en est de même de dizaines de commission­s d’enquête créées à propos d’événements graves comme l’agression de syndicalis­tes devant le siège de l’Ugtt, ou l’utilisatio­n de la chevrotine à Siliana, ou les assassinat­s de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Concernant ce dernier, son épouse, Mbarka, affirmait il y a deux jours que « le président de la République ne peut pas faire grand-chose pour dévoiler la vérité dans l’affaire de l’assassinat de Mohamed Brahmi, car il est soumis à de grosses pressions, aussi bien intérieure­s de la part des partis de l’alliance au pouvoir, qu’extérieure­s ».

Il faut se rendre à l’évidence : ces enquêtes ne sont que fictives.

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