La double lecture du discours de Bachar
Avec la réouverture récente de la Foire internationale de Damas — grand rendez-vous d’affaires pour les candidats à la reconstruction — et, d’autre part, les prochaines négociations de paix à Genève, le régime syrien se prépare à une nouvelle étape politi
Avec la réouverture récente de la Foire internationale de Damas — grand rendez-vous d’affaires pour les candidats à la reconstruction — et, d’autre part, les prochaines négociations de paix à Genève, le régime syrien se prépare à une nouvelle étape politique... Mais les signaux qu’il envoie se prêtent à des lectures diverses
De prochaines négociations se profilent à l’horizon à Genève en vue du règlement de la crise syrienne. L’envoyé spécial de l’ONU, Steffan de Mistura, a déclaré jeudi dernier qu’il espérait que ces pourparlers à venir, prévus au mois d’octobre, seraient «vrais et substantiels». Ce qui, au vu de l’évolution de la situation sur le terrain, pourrait se vérifier. La succession, sans réussite notable jusque-là, de plusieurs rounds de négociation en Suisse ne devrait pas induire la pensée que les pourparlers sont définitivement voués à l’échec. Car la poursuite de l’action armée sur le terrain a toujours été un obstacle. Or, aujourd’hui, même si les armes ne se sont pas entièrement tues, la sortie de l’état de guerre est clairement amorcée. Le retour de la Foire internationale de Damas, qui a ouvert ses portes le 17 août, en est un signe assez éloquent : on entre dans la période de la reconstruction. Pourtant, l’observateur attentif de l’actualité syrienne pourrait opposer à ce pronostic un événement qui a marqué ces derniers jours, à savoir le discours prononcé par le président Bachar Al-Assad devant le corps diplomatique syrien. Un discours majeur, préparé minutieusement, à travers lequel on pourrait presque croire que l’actuel président syrien est d’ores et déjà entré en campagne dans la perspective d’un jeu politique plus ouvert et d’échéances électorales inévitables, mais un discours qui laisse en même temps entendre que les pourparlers de Genève sont, pour ainsi dire, un non-événement. Car que dit-il en substance ? Que ces pourparlers, il n’y a jamais cru. Qu’on l’y a poussé et qu’il a accepté de se laisser entraîner pour la faible chance qu’ils représentaient quand même, tout en sachant que c’était en réalité un subterfuge utilisé par «l’Occident» afin de permettre aux «terroristes» de souffler un peu et de se réarmer en attendant de repartir à l’assaut contre la Syrie. «Qu’y avait-il à attendre de pareilles négociations, a-t-il déclaré à l’adresse des ambassadeurs présents dans la salle, dès lors que les interlocuteurs étaient soit des terroristes, soit des traîtres, soit les deux en même temps ?» Pourquoi des traîtres ? Parce que, selon toute une caractérisation de l’Occident à laquelle le président syrien a consacré la première partie de son discours, et dont il ressort qu’il n’est rien d’autre dans son mode de fonctionnement que la loi aveugle de lobbies occultes et puissants, les négociateurs qui se sont trouvés face aux représentants du régime lors des différents rounds de négociation de Genève étaient justement à la solde de cet Occident, ne faisant rien sans avoir recueilli au préalable les instructions de leurs «maîtres». Bachar Al-Assad va utiliser à propos de ces négociateurs une comparaison très instructive, en disant qu’ils sont par rapport à l’Occident comme ce matériel médical qu’on jette après usage, une fois qu’on n’en a plus besoin... Et il ajoutera, dans une incise qui se voulait spontanée mais qui ne devait en réalité rien au hasard : à ceci près que le matériel médical est sain et que ces gens-là sont «pollués» ou «contaminés»... Bref, que valent des négociations dont les partenaires sont traités de la sorte, en terroristes ou en traîtres ? Et est-il raisonnable de considérer dans ces conditions que l’échéance des prochaines négociations du mois d’octobre sont un événement à souligner ? Une première réponse à cette question est que le président syrien ne rejette à aucun moment le principe de la participation du gouvernement syrien aux pourparlers. L’ensemble du discours peut d’ailleurs se lire comme une façon particulière de s’y acheminer. En fait, et c’est ici le deuxième élément de réponse à la question posée, il y a deux lectures possibles du discours en question : une première lecture à l’attention des fidèles du régime, et pour qui la rhétorique de dévalorisation des négociations sert de moyen de les conforter dans leur position de fidélité. Cette lecture donne l’impression, superficielle et trompeuse, que l’événement est négligeable dans le calendrier politique de la Syrie. Et une deuxième lecture, plus élaborée, qui perçoit derrière le souci insistant du président syrien de donner des gages aux serviteurs du régime l’intention, justement, d’engager dans le paysage politique du pays quelque chose qui pourrait susciter, au moins dans un premier mouvement, leur perplexité, voire leur refus. La fin de ce discours de près d’une heure rappelle d’ailleurs les principes que le régime entend respecter dans toute négociation, que ce soit dans la mise en place d’une réconciliation politique ou dans l’ébauche des principes d’une nouvelle constitution, à savoir en particulier le rétablissement de l’autorité de l’Etat, l’indivision du territoire, mais aussi l’identité arabe de la nation syrienne, la fidélité à la cause palestinienne et le soutien à toute résistance dès lors qu’elle est authentique, qu’elle n’est pas «falsifiée»... Mais ce qui achève de donner consistance à la lecture qui voit dans le discours de Bachar Al-Assad une préparation à des pourparlers «vrais et substantiels», pour reprendre les termes de l’envoyé spécial de l’ONU, c’est que, presqu’au même moment, les composantes de l’opposition se sont réunies à Riyad, sans doute dans le souci de coordonner leurs positions. Il s’agit du Haut comité des négociations (HCN), proche de l’Arabie Saoudite, ainsi que de deux autres groupes, considérés comme plus modérés, et qu’on désigne comme les plateformes du Caire et de Moscou. Cette mobilisation des partenaires aurait-elle beaucoup de sens si le mépris avec lequel ils sont traités dans le discours du président syrien était à prendre uniquement au premier degré ?