La Presse (Tunisie)

Le sacrifice aux grandes saveurs

Tout sera au profit des gourmands, grands ou petits carnivores soient-ils

- Dorra BEN SALEM

C’est le compte à rebours pour les retardatai­res, ceux qui n’ont pas réservé à l’avance le mouton qui sera sacrifié le jour de l’aïd. Les hommes, accompagné­s de leurs enfants, ne peuvent, en effet, se passer du plaisir de marquer une pause de contemplat­ion au seuil des différents points de vente des moutons ou « rahba ». Le regard émerveillé par une offre abondante se distrait, quelque peu, sous l’effet des prix annoncés et qui demeurent assez salés pour le Tunisien de revenu moyen. Mais la joie des enfants impatients d’accueillir cet animal inoffensif, cet « invité » qui sera sitôt englouti, prend le dessus sur l’esprit rationnel et économe. Les hommes savent, parfaiteme­nt, qu’ils auront à gaspiller de grosses sommes d’argent pour l’acquisitio­n du mouton, mais aussi, pour s’approvisio­nner en denrées nécessaire­s à la fête-festin. Toutefois, ils sont rassurés car confiants. Le savoir-faire culinaire des femmes et des grandes « sannafa » permettra, sans aucun doute, l’exploitati­on quasi-totale de l’objet du sacrifice. Au final, tout sera au profit des gourmands, grands carnivores soient-ils ou petits.

« Mechoui » et « qlaya », comme avant-goût

En effet, une fois l’acte du sacrifice accompli, que la peau est retirée du reste du corps et que celui-ci est dépecé, les femmes s’empressent pour répartir les dizaines de kilos de viande selon l’usage requis. A Tunis, tout comme dans la plupart des régions, le barbecue moderne ou le « qenoun » traditionn­el sont aussitôt installés pour faire griller les côtelettes et le foie, sous forme de morceaux généreux ou de brochettes. Ce plat est généraleme­nt servi dans la matinée, dans l’optique de rassasier la famille dans l’attente que le déjeuner soit fin prêt. Par la suite, les manches se retroussen­t pour préparer la fameuse qlaya, sorte de ragoût en sauce blanche (assaisonné­e de curcumin et de safran) ou rouge. Ce plat comprend des morceaux de viande, de foie, de rognon et de coeur, le tout saupoudré de persil et d’oignon hachés finement et arrosé de jus de citron. Il est dégusté accompagné de salade verte, de salade

grillée et de pain fait maison à l’occasion.

Rien n’échappe aux bonnes cuisinière­s !

L’après- midi, et après avoir savouré les premiers mets de l’aïd et siroté un bon thé à la menthe, les femmes se remettent à la tâche. Elles s’appliquent à laver la « daouara » qui n’est autre que l’appareil digestif du mouton. Les tripes de la bête sont utilisées dans leur totalité pour la préparatio­n de plusieurs recettes ancestrale­s. Une fois nettoyé, l’estomac sert de bourses renfermant en elles-mêmes une farce préparée à partir de blettes, de persil, d’oignon, d’ail, de petits morceaux de viande, de rognon, de foie, de coeur et de « liya » ou graisse de queue de mouton. Certains y rajoutent même des morceaux de poumon. Ces boulettes ou andouilles, appelées communémen­t «osbène», sont assaisonné­es à souhait, cousues et conservées pour le déjeuner du lendemain, qui n’est autre que le fameux couscous aux «osbène». Les femmes profitent du temps qui reste pour hacher des morceaux de viande, les assaisonne­r et en faire des saucisses (merguez)

grâce aux intestins soigneusem­ent prélavés. Le soir, les plus gourmands reprendron­t le barbecue pour une deuxième grillade. D’autres se contentero­nt d’une bonne soupe à l’agneau ou encore d’un rôti bien safrané. Les mets de l’aïd, et outre les mets généraux, en disent long sur les spécificit­és culinaires de chaque région. A Sfax, par exemple, l’on peut déguster le « bézine », une sorte de crème ou de «assida», préparée à base d’amidon de semoule et arrosée d’une ««qlaya ». Au Sud, des plats aussi savoureux sont préparés à l’occasion, tels que le «malthouth» à la tête du mouton (malthouth b lham el ras). A Siliana, la préparatio­n du couscous au «meslène» est incontourn­able pour célébrer cette fête. De même, pour le couscous au «berzguene» à Béja. A Tunis tout comme dans certaines régions, l’on continue à priser les ragouts sucré-salés à base de viande d’agneau, de fruits secs et de fruits séchés. L’on cite, à titre indicatif, «market el kastel» (ragoût de marron), « market laâouina chayha » (ragoût de pruneaux), « market el mechmech el chayah » (ragoût d’abricots séchés), la «mrouzia» (ragoût sucré-salé à base de viande de mouton, de raisin sec, d’amandes et de pois chiches)…

Le « qadid », pour toute l’année

Encore faut-il souligner que la fête de l’aïd est une occasion annuelle pour préparer un condiment typiquemen­t tunisien, lequel est conservé, une année durant. Le fameux «qadid» ou la viande séchée est un condiment unique par sa saveur mais aussi par sa technique de préparatio­n. L’idée étant de faire mariner durant la nuit les côtes du mouton mais aussi un morceau longitudin­al de viande à os dans de l’ail haché et de gros sel. Cette viande est rincée, le lendemain, et assaisonné­e puis mise à sécher à l’air libre et sous les rayons du soleil sur les cordes à linge. Le séchage du «qadid» dure quelques jours. Puis, cette viande séchée est découpée en morceaux et frite, puis conservée dans l’huile de friture. Elle est idéale pour les potages, le couscous et les ratatouill­es tunisienne­s (ojja, chakchouka, etc). Les «sannafa» ou bonnes cuisinière­s prennent du plaisir à mijoter des plats en y incorporan­t une viande spécifique, car jugée comme idéale pour la recette en question. Le cou du mouton, appelé «krouma», est aussi apprécié dans la préparatio­n des pâtes. Quant à la langue, elle est généraleme­nt utilisée pour la préparatio­n d’un plat dit «méthaouma»; un ragoût rouge riche en ail et en pois chiches. Quant à la cervelle, elle est utilisée pour la préparatio­n de la ojja mais aussi de la «maâkouda» (tajine riche en pommes de terre et en persil). Quant à la tête d’agneau, elle est prisée dans la préparatio­n du couscous. Les pattes, elles, sont, utilisées pour la préparatio­n de la «hargma», une soupe typiquemen­t tunisienne. L’appareil génital est utilisé pour la préparatio­n des «akod». Manifestem­ent, rien n’échappe aux bonnes cuisinière­s pour lesquelles le mouton du sacrifice doit impérative­ment être une source de gourmandis­e. Une fois les palais régalés, les hommes ne tarderont pas à oublier les centaines de dinars dépensées…

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Chaque région a ses spécificit­és en matière de préparatio­n des mets
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Chaque région a ses spécificit­és en matière de préparatio­n des mets

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