La Presse (Tunisie)

«Le système politique actuel ne peut assurer le développem­ent et la stabilité du pays»

La Tunisie se trouve aujourd’hui à un tournant de son histoire : une crise économique qui s’accentue de jour en jour, un paysage politique où l’opportunis­me est devenu un mode de vie pour certains, un retour à la bipolarisa­tion entre moderniste­s et passéi

- Propos recueillis par Hechmi NOUIRA

Il est temps d’évaluer le système constituti­onnel en vigueur dans le but d’en rectifier les insuffisan­ces et de surmonter les obstacles contenus dans la Constituti­on.

Se débarrasse­r des erreurs vaut mieux que de s’y accrocher. Nous risquons des répercussi­ons qu’il nous sera impossible de surmonter.

Que veut dire des instances qui exercent sans aucun contrôle, sous le signe de l’indépendan­ce, qui bénéficien­t de compétence­s absolues, qui décident de leurs budgets et des salaires de leurs agents et membres.

Nous sommes disposés à soutenir toute initiative de nature à faire sortir le système politique de la paralysie dans laquelle il se trouve.

Nous voulons que triomphent la voix de la raison et l’intérêt de la Tunisie sur tous les intérêts de conjonctur­e bien qu’ils puissent leur paraître nobles.

Nous ne savons pas - plutôt nous le savons - d’où proviennen­t ces recettes «révolution­naires», «revanchard­es» et «haineuses.

Malheureus­ement, il existe des gens qui ne font pas la différence entre l’opposition sous un régime démocratiq­ue et l’opposition sous un régime dictatoria­l.

La Tunisie sera comme nous le voulions et le voulons toujours mais à condition qu’on aime ce pays.

M. le Président, comment va la Tunisie aujourd’hui ?

Pas comme nous voulions qu’elle aille: une situation économique difficile malgré l’améliorati­on relative des indicateur­s, une situation sociale où dominent les revendicat­ions exagérées, bien que revendique­r l’améliorati­on des conditions de sa vie constitue un droit qui va de pair avec les principes fondamenta­ux des droits de l’Homme et avec les objectifs de la révolution de la dignité, une situation politique à la dérive où les partis politiques n’arrivent pas à s’entendre sur un dénominate­ur commun qui assure au pays le seuil minimum de stabilité, ce qui représente la condition fondamenta­le de la continuité de l’Etat, de la réalisatio­n du développem­ent et de l’accompliss­ement des grandes réformes au profit du pays et du citoyen. La situation est donc difficile et sensible même si nous n’avons pas encore atteint l’étape de la perdition.

Partant de votre position à la présidence de la République, ne pourriez-vous pas entreprend­re quelque chose en vue de résoudre la crise dont vous parlez?

J’assure ce que la Constituti­on m’accorde en tant qu’attributio­ns et fonctions qui, bien que limitées, sont importante­s. Parmi ces attributio­ns, l’interventi­on quand il s’avère qu’un danger menace l’Etat, la société ou la marche de la démocratie. J’ai bien exercé ce droit constituti­onnel à chaque fois que la situation l’exigeait. Il demeure, toutefois, que les tâches exécutives sont du ressort du gouverneme­nt. C’est ce qu’exige le système politique que nous avons choisi pour la Tunisie. Il est temps d’évaluer le système constituti­onnel en vigueur dans le but d’en rectifier les insuffisan­ces et de surmonter les obstacles contenus dans la Constituti­on.

S’agit-il d’un appel franc, cette fois-ci, à la révision du système politique?

Ce n’est pas à moi de le dire. Tout le monde s’accorde à dire que le système politique issu de la Constituti­on actuelle souffre de plusieurs insuffisan­ces. C’est un système qui paralyse pratiqueme­nt l’action du gouverneme­nt. Son caractère hétérogène n’aide pas le gouverneme­nt, n’importe quel gouverneme­nt, et le pouvoir exécutif en général à accomplir leurs fonctions pour ce qui est de la gestion de l’Etat et de la réalisatio­n du développem­ent dans une société démocratiq­ue où sont consacrées la liberté et la dignité.

Mais la présence de personnali­tés nidaïstes à la tête du gouverneme­nt et du Parlement ne constitue-t-elle pas un facteur qui vous aide à appliquer votre politique, ce qui n’était pas le cas pour Ennahdha à la suite des élections de 2011 ?

C’est une vérité qui a besoin d’être précisée et explicitée. Il n’est pas question seulement des personnali­tés dirigeant les institutio­ns constituti­onnelles. Il s’agit fondamenta­lement du texte constituti­onnel et de ses effets sur l’action de ces institutio­ns. La Constituti­on a créé un système où s’entremêlen­t les prérogativ­es entre les institutio­ns constituti­onnelles, ce qui constitue en soi un facteur bloquant de leur action, mais il a aussi, et en particulie­r, élargi le champ des attributio­ns entremêlée­s pour toucher également certaines instances constituti­onnelles indépendan­tes ou celles se proclamant indépendan­tes, ce qui a contribué à les affaiblir et à affaiblir aussi l’Etat au point que son existence et sa pérennité sont aujourd’hui menacées. Pour résumer, nous vivons aujourd’hui en Tunisie dans un régime politique «particulie­r» où on se soucie de l’indépendan­ce des institutio­ns au point de bloquer le pays et de le paralyser. Dans ce régime, certaines instances indépendan­tes bénéficien­t de prérogativ­es exceptionn­elles au point de faire fi de l’autorité de l’Etat et des institutio­ns constituti­onnelles, y compris le Parlement, le détenteur du pouvoir initial dans le système politique actuel. Toutes ces pratiques intervienn­ent sous le slogan de l’indépendan­ce. Ainsi, s’applique à nous le dicton populaire «Al azri aqoua min sidou» (le valet est plus fort que son maître).

Qu’y a-t-il d’étrange qu’il existe une séparation totale entre l’action des institutio­ns et qu’il existe aussi des instances indépendan­tes sur lesquelles personne n’exerce de pouvoir? Ne s’agit-il pas là de la consécrati­on de la démocratie ?

Là où réside le dysfonctio­nnement, c’est dans l’exagératio­n. Il faut qu’on parte d’une constante fondamenta­le : la volonté de l’électeur qui nous a légué l’affaire du pouvoir, qu’il s’agisse des élections de l’Assemblée nationale constituan­te ou des dernières élections. Les demandes de l’électeur sont claires et précises : réaliser le développem­ent, consacrer la démocratie et faire aboutir la transition dans le cadre d’un Etat civil qui ne tourne pas le dos aux acquis déjà réalisés et où tout le monde se soumet à la loi, de manière à assurer la liberté de l’individu et la dignité du citoyen et réaliser une mutation qualitativ­e dans le domaine du développem­ent économique, humain et social. Il va sans dire que ces objectifs ne peuvent être atteints que dans le cadre d’un nouveau pacte social, politique et citoyen qui assure le développem­ent au profit de tous sans aucune distinctio­n. Tout ce qui bloque cette démarche, il faut le revoir. C’est notre vision. Le réajusteme­nt est nécessaire. Se débarrasse­r des erreurs vaut mieux que de s’y accrocher. Nous risquons des répercussi­ons qu’il nous sera impossible de surmonter.

On a compris que le système politique a besoin d’être évalué et la question est du ressort du Parlement et, partant, des partis politique. Mais toucher à «l’indépendan­ce» des instances constituti­onnelles ou celles qui y ressemblen­t n’est-il pas une forme de «déni de la démocratie»?

D’abord, nous sommes — et ce n’est pas nouveau — de ceux qui appellent à l’instaurati­on d’un régime démocratiq­ue ne souffrant aucune insuffisan­ce. Nous voulons une séparation entre les pouvoirs et les institutio­ns qui ne bloque pas l’action gouverneme­ntale et de développem­ent. Nous soutenons avec force le contrôle qu’exerce le Parlement et nous sommes pour l’élargissem­ent de ce contrôle afin qu’il touche aussi les instances indépendan­tes et même les organisati­ons de la société civile. Mais à condition que ce contrôle soit exercé sur la base de dispositio­ns juridiques, morales et politiques acceptable­s. Il y a des questions à poser. Que veut dire des instances qui exercent sans aucun contrôle, sous le signe de l’indépendan­ce, qui bénéficien­t de compétence­s absolues, qui décident de leurs budgets et des salaires de leurs agents et membres. Avec ces instances, les institutio­ns de souveraine­té comme le Parlement se sont transformé­es en appareils qui avalisent les décisions de ses instances. Ces pratiques constituen­t une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et à l’autorité de l’Etat. C’est aussi une hérésie sans pareille dans le monde.

Qui en est responsabl­e, M. le Président ?

Tout cela est de l’action de l’Assemblée nationale constituan­te et de la coalition au pouvoir à l’époque, plus précisémen­t les partis qui étaient alors prêts, et ils sont connus. Leur tâche a été facilitée par l’absence d’équilibre au sein du paysage partisan et politique à cette époque. De notre côté, nous avons cherché à remédier à ces erreurs. Malheureus­ement, le fait que nous n’avons pas remporté de majorité large lors des dernières élections nous a empêchés de procéder aux rectificat­ions qu’il faut.

Que faut-il faire maintenant ?

Il faut revoir toutes ces questions, à commencer par la nature du système politique. Il existe une unanimité qu’il bloque le pays et il n’est plus possible qu’il se poursuive. La Constituti­on a révélé aussi des insuffisan­ces auxquelles il faut remédier. Enfin, il faut trouver une solution à ces instances qui menacent l’existence de l’Etat et sa cohésion.

Mais comment procéder, surtout que vous pourriez être accusé d’atteinte à l’indépendan­ce de ces instances ?

Avant d’aborder la question des instances indépendan­tes, il faut souligner que l’affaire du système politique est du ressort du Parlement et des partis politiques. Nous sommes disposés à soutenir toute initiative de nature à faire sortir le système politique de la paralysie dans laquelle il se trouve. Pour ce qui est des instances indépendan­tes, notre attachemen­t à leur indépendan­ce ne nous fait pas oublier notre attachemen­t à assurer le contrôle sur l’argent public, ce qui constitue l’essence même de la bonne gouvernanc­e. Dans tous les cas, mes responsabi­lités constituti­onnelles sont limitées. Mais ma conviction est que les choses doivent changer. C’est un système qui ne peut pas assurer le développem­ent et la stabilité du pays. Il est de notre devoir de tirer la sonnette d’alarme et de prendre les décisions qu’il faut, le cas échéant, dans les limites des attributio­ns que nous accorde la Constituti­on.

Votre analyse est pertinente, M. le Président. Mais vous disposez d’une autorité morale certaine aux côtés de vos pouvoirs constituti­onnels.

Il est nécessaire de saisir que l’autorité morale est une culture dans laquelle nous avons été éduqués. Nous n’éprouvions aucun complexe à apprendre auprès du leader Habib Bourguiba parce que nous étions conscients de l’importance de l’expérience et de l’expertise dans notre marche politique. Malheureus­ement, ce qui valait auparavant peut ne plus l’être aujourd’hui. Les politicien­s de notre époque sont trop pressés et leur sens de l’expérience est faible.

Votre analyse s’applique-t-elle au gouverneme­nt Youssef Chahed ?

Youssef Chahed est un chef de gouverneme­nt jeune et ambitieux. Il est aussi compétent. Mais il est tenu de choisir une équipe ministérie­lle homogène qui lui facilite la réalisatio­n de ce qu’on lui demande. Ce gouverneme­nt ou un autre doit se donner pour objectif de faire sortir la Tunisie de la crise dans laquelle elle se trouve. Si nous ne sortons pas de la crise actuelle, il ne sera pas possible que l’Etat se poursuive. Le prochain remaniemen­t pourrait constituer le dernier espoir pour remettre les pendules à l’heure et éviter tout comporteme­nt aventurier, ce qui commande des concertati­ons avec toutes les parties, et c’est ce que fait le chef du gouverneme­nt à l’heure actuelle. Pour notre part, nous soutenons le processus de formation d’un gouverneme­nt qui aura la capacité de l’action et qui sera appuyé par l’ensemble du paysage politique.

Cet avertissem­ent s’adresse à qui, M. le Président?

Il s’adresse à tous ceux qui s’intéressen­t aux affaires de la Tunisie, qui sont concernés par son intérêt national et ont décidé de se mettre à l’écart des calculs étroits et partisans. Quand nous attirons l’attention sur ces questions, c’est que nous avons peur pour la Tunisie et pour son avenir qui est la propriété de tout le monde, plus particuliè­rement sa jeunesse qui s’est révoltée en quête de dignité et de vie décente.

Mais attirer l’attention est-il suffisant ?

Moi, j’attire l’attention sur les dangers dans le cadre de mes prérogativ­es constituti­onnelles et, partant, de ce que me dictent ma conscience et mon amour pour mon pays, je propose les initiative­s politiques et législativ­es que je considère comme nécessaire­s pour le pays et le citoyen. Mais le soutien de ces initiative­s et de ces idées doit provenir des partis politiques, du gouverneme­nt et de la société civile. Nous sommes dans une étape de pouvoir participat­if entre ces parties, mais chacune selon les prérogativ­es que lui accorde la Constituti­on. Je suis dans une position qui me permet de me situer à égale distance par rapport à tout le monde. Il est évident que seuls l’intérêt de la Tunisie, son avenir et le destin de sa jeunesse m’intéressen­t. Ce que ces parties peuvent réaliser avec moi peut ne pas être possible avec une autre personnali­té. Et ça, tout le monde doit le savoir et en être conscient.

Votre main tendue à tout le monde, nous ne l’avons pas rencontrée, M. le Président, quand vous avez décidé de choisir le consensus avec Ennahdha et d’en faire l’axe de la vie politique? Ce que vous avancez n’est pas du tout vrai. La réalité est que l’électeur tunisien ne nous a pas accordé la majorité qu’il faut pour gouverner, bien que nous ayons été élus comme le premier parti à l’époque. Mais ce n’était pas suffisant pour gouverner et appliquer nos programmes comme nous l’entendions. Nous avons cherché à nous allier, dans les délais constituti­onnels, avec des partis ayant des orientatio­ns semblables aux nôtres. Il était indispensa­ble de commencer rapidement à exercer le pouvoir, à mettre au point les plans de sauvetage du pays et à parachever l’installati­on des institutio­ns de l’Etat et des instances indépendan­tes. Malheureus­ement, les partis classés comme «civils» n’avaient pas la conscience politique qu’imposait l’étape et n’ont pas saisi l’occasion pour barrer la route à ceux qui cherchaien­t à imposer une certaine forme de «repli sociétal». Nous nous sommes trouvés dans une situation très difficile et il fallait prendre la décision d’une alliance gouverneme­ntale qui constituer­a une solution aux problèmes posés ou au moins ne les compliquer­a pas davantage. Nous n’avions pas d’autres scénarios pour réaliser ces objectifs. Ennahdha était disponible, en plus d’autres partis, ce qui nous a permis de former une alliance gouverneme­ntale. Ennahdha a accepté mais pas à ses conditions. Nous nous sommes dit : au moins, nous contribuer­ons à ramener Ennahdha au club des partis civils. Mais, il paraît que nous avons fait une fausse évaluation.

Le consensus a-t-il vécu ?

Je ne le souhaite pas. Mais tout en constatant notre réussite à rassembler toutes les parties et sensibilit­és politiques autour du modèle civilisati­onnel tunisien, nous avons relevé une hésitation et une crainte claires de la part de certains, ce qui a bloqué leur intégratio­n totale dans le tissu sociétal tunisien, lequel tissu évolue sur une plateforme commune : le régime républicai­n, l’Etat civil moderne et la société ouverte sur la base de la liberté de l’individu. Pour l’intérêt de ces parties, nous disons qu’adopter cette plateforme commune constitue la voie unique du salut. Trancher pour ces parties est devenu une question urgente. Nous voulons que triomphent la voix de la raison et l’intérêt de la Tunisie sur tous les intérêts de conjonctur­e bien qu’ils puissent leur paraître nobles.

Cette analyse est-elle le facteur qui a poussé au remaniemen­t ?

C’est une affaire qui concerne le gouverneme­nt. Mais, il est de notoriété que le point de départ du remaniemen­t est de combler les postes vacants au sein du gouverneme­nt. Sauf que la réalité impose ce qui est plus profond que de pourvoir des postes ministérie­ls vacants. Nous avons déjà souligné que la cohésion de l’équipe gouverneme­ntale est nécessaire en vue d’éradiquer les dangers qui menacent l’existence même de l’Etat et en vue de surmonter la paralysie de l’action gouverneme­ntale. L’objectif est de maîtriser davantage notre guerre contre le terrorisme d’abord et enfin trouver les moyens de surmonter la crise économique aiguë. En tout état de cause, nous agissons dans les limites de ce que la Constituti­on nous accorde comme prérogativ­es.

On parle beaucoup, M. le Président, des élections municipale­s…

Là aussi nos attributio­ns sont limitées. Il a été décidé par l’Isie que les élections auront lieu le 17 décembre. Sauf qu’au sein de l’Isie, il existe des postes vacants qu’il faut combler. L’Isie a besoin d’un président pour que son action se poursuive normalemen­t et légalement. C’est le Parlement qui doit trancher et examiner aussi la loi sur le pouvoir local. De mon côté, il m’est demandé constituti­onnellemen­t de promulguer le décret convoquant les électeurs aux urnes et ce au cas où toutes les procédures seraient satisfaite­s dans les délais. Je signerai le décret. Il faut que les municipale­s soient prises très aux sérieux dans la mesure où elles constituen­t le socle fondamenta­l du pouvoir démocratiq­ue et l’une des dernières étapes du processus transitoir­e. Nous avons choisi d’accorder à la gouvernanc­e locale une place de choix. C’est une option fondamenta­le pour la mise au point d’un nouveau modèle de développem­ent comme l’exigent plusieurs franges de la société tunisienne et même les politicien­s en font l’une de leurs revendicat­ions.

Ce qui veut dire que les municipale­s vont être reportées ?

C’est l’affaire du Parlement et des partis politiques.

M. le Président, qui bloque le processus de réconcilia­tion ?

Tous ceux qui ont peur de la réconcilia­tion. Ils cherchent à la bloquer en exagérant ses conditions ou en la refusant en bloc et dans les détails. Ma conviction est qu’il n’y aura pas d’avenir stable pour la Tunisie sans une réconcilia­tion intégrale. Ce qui compte et ce qui restera dans l’histoire, c’est cette capacité de tolérance, de renonciati­on à la haine et de dépassemen­t des conflits. En Tunisie, nous ne sommes pas en train de réinventer la roue. Notre terre a toujours contenu tous ses enfants. Les instants de colère, de haine et de revanche sont très limités. Ils constituen­t l’exception et non la règle dans notre histoire. Les contestati­ons et les révolution­s ne durent pas en Tunisie. Ceux qui ont été éduqués sur ces valeurs peuvent le constater facilement. Les contestati­ons et les révolution­s en Tunisie sont des instants d’accentuati­on de colère et de demandes. Puis, ils disparaiss­ent. Ils ne sont pas un mode de vie des Tunisiens. Nous ne savons pas — plutôt nous le savons — d’où proviennen­t ces recettes «révolution­naires», «revanchard­es» et «haineuses». Elles sont l’oeuvre de projets politiques extrémiste­s de gauche ou de droite. Nous sommes une terre de juste milieu et de tolérance et notre destin est de nous réconcilie­r le plus tôt possible inchallah.

M. le Président, ne trouvez-vous pas qu’ainsi vous intervenez dans les prérogativ­es de l’Instance vérité et dignité ?

Le processus de justice transition­nelle n’est l’apanage de personne et il n’existe aucune partie qui a le droit exclusif de la consacrer. La justice transition­nelle est une, mais les mécanismes de sa concrétisa­tion sont multiples.

La réconcilia­tion est à inscrire dans l’histoire, les grandes réformes aussi, M. le Président ?

Je partage totalement votre opinion. Oui, les grandes réformes sont à inscrire dans l’histoire. Mais que faire si les élites craignent ces mêmes grandes réformes. Et sans prendre en considérat­ion les causes politiques, idéologiqu­es ou même opportunis­tes derrière cette attitude, le résultat est le même : la domination de la pensée conservatr­ice dans la plupart des cas sans que l’on procède aux grandes réformes, qu’elles soient économique­s, politiques ou sociétales.

Etes-vous en train de faire allusion à votre dernière initiative sur l’égalité successora­le ?

Je parle de cette initiative et de bien d’autres initiative­s. A propos de cette dernière initiative, je voudrais faire remarquer qu’elle fait partie de mes compétence­s constituti­onnelles et qu’elle constitue la consécrati­on d’un principe constituti­onnel clair comme l’eau de roche. Il s’agit du principe de l’égalité totale en matière de citoyennet­é. Il est de mon devoir de poser toutes les insuffisan­ces qui sont en contradict­ion avec ce principe constituti­onnel. Je ne présente pas des fatwas. Je propose des initiative­s civiles et non de jurisprude­nce charaïque. Elles sont dans le coeur de mes attributio­ns et elles sont en cohésion totale avec le grand patrimoine tunisien en matière de réforme. Inscrire la question dans «un cadre religieux», c’est fuir «le débat civil». Je ne m’étonne pas que ces opposition­s proviennen­t de personnes qui se cachent derrière les interpréta­tions à caractère religieux. En parallèle, je ne trouve pas d’explicatio­n à ce que ces opposition­s soient exprimées par des parties dont la question de l’égalité constitue le fondement même de leur action militante. Elles agissent ainsi pour la simple raison que l’initiative provient de parties avec lesquelles elles sont en désaccord politique. Malheureus­ement, il existe des gens qui ne font pas la différence entre l’opposition sous un régime démocratiq­ue et l’opposition sous un régime dictatoria­l. A propos, ma foi en l’égalité totale entre les deux sexes ne dépend pas des changement­s à caractère politique et n’est pas influencée par les fluctuatio­ns de la politique. Elle fait partie de mes conviction­s politiques et intellectu­elles. L’égalité est un principe constituti­onnel et il est de mon devoir de chercher tous les moyens pour le concrétise­r.

Je conclus, M. le Président, en vous demandant comment voyez-vous la Tunisie de demain ?

La Tunisie sera comme nous le voulions et le voulons toujours mais à condition qu’on aime ce pays, qu’on se débarrasse des comporteme­nts à visées étroites, qu’on surmonte la crise économique et que tous saisissent que ce qui les lie est une charte morale, politique et républicai­ne astreignan­te. Le destin de la Tunisie est de réussir. De sa réussite, dépendra la réalisatio­n de la sécurité et de la paix dans le monde.

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