La Presse (Tunisie)

De la politique culturelle comme arme chargée de futur

- Par Bady BEN NACEUR

Retour de la belle presqu’île de Zarzis dans mon nouveau petit «home» où j’ai encore du mal à déballer mes affaires. Je suis fourbu et quelque peu excédé, agacé par l’absentéism­e des intendants de cette région à la manifestat­ion d’Al-Maken 2017 qui fut très belle, créative et convi- viale. Ce sentiment que je retrouve, ressens aussi, dans le Grand-Tunis, comme dans les autres régions traversées, que la plupart des Tunisiens se sont abandonnés dans une sorte de coma cet été — du moins de Ramadan jusqu’à l’Aïd — sonne bien la déroute de tout un peuple à la dérive.

Retour de la belle presqu’île de Zarzis dans mon nouveau petit «home» où j’ai encore du mal à déballer mes affaires. Je suis fourbu et quelque peu excédé, agacé par l’absentéism­e des intendants de cette région à la manifestat­ion d’Al-Maken 2017 qui fut très belle, créative et conviviale. Ce sentiment que je retrouve, ressens aussi, dans le Grand-Tunis, comme dans les autres régions traversées, que la plupart des Tunisiens se sont abandonnés dans une sorte de coma cet été — du moins de Ramadan jusqu’à l’Aïd — sonne bien la déroute de tout un peuple à la dérive. De mon déménageme­nt récent, j’ai sauvé quelques cartons de paperasse accumulée durant les «années lumière» (car elles se sont éteintes!) et de livres d’auteurs et autres, inséparabl­es pour moi. Et quelle agréable surprise de retrouver cette revue que j’avais perdue de vue dans le désordre de l’ancien musée : la «Revue des deux mondes» du mois de mai 2007. Dix ans déjà… La feuilletan­t au hasard — mais «il n’y a pas de hasard, il y a des rendez-vous!», dixit le poète, je tombe sur un texte de l’écrivain Xavier Patier dans «Etudes et réflexions» qui parle de la politique culturelle en France et de deux «visions» différente­s qu’avaient André Malraux et Jack Lang : le premier, gaulliste, parlant de «la fierté d’appartenan­ce au sol», le second au début des années quatre-vingt avec Mitterrand, insistant sur «l’intégratio­n des immigrés». Deux discours et deux visions totalement aux antipodes sur la manière de fonder une politique culturelle. Et deux philosophi­es d’envisager l’action culturelle de l’Etat. «La première, dixit l’auteur de ces réflexions, exprimée par le décret d’attributio­n d’André Malraux de juin 1959, met en avant la fonction éducative de la culture, et de citer le ministre : «Le ministère chargé des affaires culturelle­s a pour mission de rendre accessible­s les oeuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre de Français». Remplacez les vocables de «La France» par celui de «La Tunisie» et de «Français» par «Tunisiens» et relisez ce paragraphe, chers lecteurs. Il me semble d’ailleurs que c’est ce qui avait été entrepris par Si Chedly Klibi, à peu près à la même époque, en tant que ministre de la Culture… Malraux avait d’ailleurs explicité cette définition par une belle image qui avait plu à l’assistance tout entière, «La clef du trésor» : «trésor de la pensée, trésor de la création, trésor du patrimoine». La seconde vision, celle de M. Jack Lang, plutôt issue du rêve de Mai 68, avait comme décret d’attributio­n (en mai 82) qui se résumait comme suit : «le ministère chargé de la culture a pour mission de permettre à tous les Français de cultiver leur capacité d’inventer et de créer, d’exprimer leur talent…» et Xavier Patier d’ajouter : «Ici plus de trésor à découvrir, mais un droit d’expression (…) le décret Lang porte en lui un parfum marxiste et désuet». Xavier Patier s’exprime en homme de droite. Mais, peu importe, l’essentiel étant de comprendre que ce décret (français) a été quelque peu imité ou appliqué en son temps. Relisez les propos, c’est pas mal aussi ! Mais alors, comment fonder ou refonder une politique culturelle spécifique à la Tunisie? Une politique qui soit, comme le disait le poète espagnol Gabriel Celaya, «une arme chargée de futur». Et tâchons d’abord de séparer le religieux du politique, le culte de la culture. Durant des années, tout se tenait plus ou moins. Mais la politique culturelle doit gagner les régions, toutes les régions de la Tunisie. Nous n’avons pas besoin de nouvelles mosquées qui servent d’assises à ces barbares de l’obscuranti­sme. Nous avons besoin de salles de théâtre et de cinéma, de galeries et d’autres lieux culturels, artistique­s et de loisirs pour réussir à gagner le pari : celui de voir nos enfants vivre en paix et en sécurité et de penser librement, ce qui n’est pas du tout le cas, aujourd’hui.

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