Les indépendantistes lancent les hostilités
Les 72 députés séparatistes du Parlement catalan s’apprêtent à voter la loi du référendum en vue de l’autodétermination
AFP — Le Parlement de Catalogne, dominé par les indépendantistes, s’apprêtait à voter hier soir une loi organisant un référendum d’autodétermination interdit, un «coup de force» selon Madrid, qui prépare un arsenal juridique pour empêcher ce scrutin. A peine trois semaines après les attentats des 17 et 18 août qui ont fait 16 morts et plus de 120 blessés en Catalogne, l’Espagne est confrontée à une de ses pires crises politiques en 40 ans, dans cette région du nord-est. Vers 13h00 (11h00 GMT), les 72 députés séparatistes ont voté pour que soit inscrit à l’ordre du jour l’examen de ce texte de loi, tandis que 60 élus se prononçaient contre et trois s’abstenaient, au cours d’une séance marquée par des protestations et des cris de l’opposition. «C’est un coup de force contraire à la démocratie», a immédiatement réagi la vice-présidente du gouvernement espagnol, Soraya Saenz de Santamaria, si mécontente qu’elle a semblé manquer d’air. Les personnes «qui sont aux commandes du Parlement et du gouvernement de Catalogne se rapprochent davantage des régimes dictatoriaux que d’une démocratie » , a- t- elle lancé, annonçant la saisine de la Cour constitutionnelle pour tenter de faire annuler les débats, puis le vote de la loi. La Cour n’examinera pas cette demande avant aujourd’hui à 10h00 (8h00 GMT), a précisé une porte-parole de la juridiction. Le président de la région, le séparatiste Carles Puigdemont, a au contraire reproché à la vice-présidente du gouvernement espagnol d’être dans le registre de «la menace et de l’insulte à l’égard de tous les Catalans qui veulent voter». Les séparatistes veulent coûte que coûte consulter les Catalans pour déterminer si leur région de 7,5 millions d’habitants — 16% de la population espagnole — doit devenir «un Etat indépendant sous forme de République» et quitter le Royaume d’Espagne, quarante ans après le retour complet de ce pays à la démocratie. Si les indépendantistes remportaient le référendum, ce territoire grand comme la Belgique et pesant 20% du PIB espagnol chercherait à se séparer de l’Espagne, mais sans consentement mutuel.
Au Parlement catalan, l’opposition aux séparatistes a dénoncé le fait que ce texte de loi ait été examiné en «urgence», sans possibilité de recours devant l’organe chargé de contrôler la légalité des lois avant leur adoption. «Vous êtes sur le point de commettre l’erreur la plus grave de l’histoire démocratique de la Catalogne», a lancé Inès Arrimadas, à la tête au niveau régional du principal parti d’opposition, Ciudadanos (centre droit, antiindépendantiste). La majorité indépendantiste ignore une interdiction déjà énoncée par la Cour constitutionnelle. Le texte de loi précise d’ailleurs qu’il crée un «régime juridique exceptionnel» s’imposant aux autres normes de droit, au nom du peuple catalan «souverain». Le référendum doit ensuite être officiellement convoqué par un décret de l’exécutif de Catalogne, qui désobéirait alors à son tour à la justice. La Catalogne — traversée depuis des dizaines d’années par des courants rejetant l’autorité de la Couronne et de Madrid — vit une poussée de fièvre sécessionniste, en partie alimentée par la crise mais aussi le sentiment d’être maltraitée par l’Etat central. Le détonateur de la crise avait été, en 2010, l’annulation partielle par la Cour constitutionnelle du nouveau «Statut d’autonomie de la Catalogne», à la demande du parti de M. Rajoy. Le texte adopté en 2006 par le Parlement espagnol accordait des compétences élargies à cette région et la définissait comme étant une «nation» à l’intérieur de l’Etat espagnol. Après avoir remporté les élections régionales en septembre 2015, les séparatistes ont promis de chercher à conduire à l’indépendance la Catalogne, qui a une langue et une culture propres.
Lavage de cerveau
Deux ans ont encore filé, sans véritable évolution du camp de M. Rajoy, accusé d’immobilisme. En dépit d’une proposition de «dialogue» et d’investissements, il n’a pas cédé sur l’essentiel : l’exigence d’un référendum et de compétences renforcées. «J’espère qu’ils nous laisseront voter», disait hier à Barcelone Ramon Sanmartin, un ingénieur à la retraite de 67 ans, attribuant la montée de l’indépendantisme aux «politiques de Madrid». Le camp du «non» à l’indépendance dénonce au contraire un lavage de cerveau de la population effectué par les séparatistes et leur «intolérance» envers les partisans d’un maintien au sein de l’Espagne. Une partie de l’opinion publique régionale — divisée à parts presque égales — est lasse de ce débat. Plus de 70% des Catalans souhaitent une consultation qui réglerait la question. L’Union européenne observe et a fait savoir qu’elle ne reconnaîtrait pas un tel Etat catalan. Avant le 1er octobre, bien des surprises sont possibles, le gouvernement central ayant promis que le vote n’aurait pas lieu... sans vraiment dévoiler son plan.