La Presse (Tunisie)

Après le voile… le dévoilemen­t !

Loin de la controvers­e religieuse, le port du voile en Tunisie est un véritable phénomène qui a pris de l’ampleur au cours de la dernière décennie. Il a fait l’objet de vifs débats. Actuelleme­nt, la société tunisienne connaît le phénomène inverse : le dév

- M.S.

L’obligation religieuse du port du voile a fait le sujet d’une polémique épineuse et est à l’origine d’une dissidence dans le rang des imams dans le monde musulman. Récemment, la Grande mosquée de Paris vient de reconnaîtr­e dans sa dernière proclamati­on de «l’islam en France», considérée comme étant «le texte le plus courageux, jamais publié en France», que le port du voile par la femme musulmane n’est pas obligatoir­e. Dans une déclaratio­n moins hardie, le grand imam de la Grande mosquée d’Al Azhar, académie emblématiq­ue dans le monde musulman, le dévoilemen­t de la femme musulmane n’est guère considéré comme une hérésie, en dépit de son «obligation religieuse». Toutefois, loin de la controvers­e religieuse, le port du voile à la façon contempora­ine hijab, relève d’un véritable phénomène social en Tunisie. Il a désormais suscité l’intérêt de plusieurs sociologue­s. En effet, des jeunes chercheurs en sociologie de l’Institut de recherche sur le Maghreb contempora­in (Irmc) se sont mis à analyser le fléau du port du voile en Tunisie, en tant que pratique corporelle et art du paraître. Selon le recueil d’articles, intitulé «Penser la société tunisienne aujourd’hui» qu’ils ont publié en 2013, ces chercheurs ont affirmé que dans la société tunisienne, «les «nouveaux voiles» sont un phénomène social apparu d’une manière très visible aux environs de l’année 2004». Ils attribuent le terme «nouveau voile» à la façon avec laquelle les jeunes femmes tunisienne­s couvrent la chevelure, en faisant la distinctio­n par rapport au «voile traditionn­el» qui est le sefsari. Dans son article «Dévoilemen­t et revoilemen­t des Tunisienne­s», paru dans le même recueil, la jeune chercheure en sociologie, Amel B.Zakour, a proclamé que «le hijab diffère du “voile traditionn­el” non seulement de par son aspect physique, mais de par l’état d’esprit de celle qui le porte, qui est convaincue d’exprimer un choix personnel et

délibéré» . Cette vogue, que la société tunisienne a connue durant cette dernière décennie, vit, actuelleme­nt, un déclin, en faveur d’un nouveau phénomène qu’est le «dévoilemen­t» d’une grande part des femmes tunisienne­s.

Le dévoilemen­t de la femme tunisienne n’est pas inédit

On observe, aujourd’hui, la manifestat­ion d’une nouvelle vague touchant les jeunes filles et dames : l’enlèvement du voile ou hijab. Une grande part des Tunisienne­s, non sans hésitation, ont décidé d’ôter le voile qu’elle ont porté pendant un bon bout de temps. Peut-être, l’aisance de cet acte, revient à une image bien ancrée dans la mémoire collective des Tunisiens. Celle de l’épisode historique où l’ancien président de la République d’alors Habib Bourguiba exhorte une femme tunisienne à ôter son sefsari. Le dévoilemen­t de la femme tunisienne n’est pas inédit. De surcroît, au revoilemen­t de plusieurs femmes tunisienne­s qui consiste alors à porter le hijab va succéder par la suite le phénomène contraire : celui du dévoilemen­t. Ces dernières ont décidé volontiers d’ôter leurs voiles qu’elles ont l’habitude de porter, pour un bon bout de temps. Raghda est une jeune célibatair­e âgée de 29 ans. Elle a décidé de porter le voile, alors qu’elle fréquentai­t encore le lycée. La grande passion qu’elle éprouve pour le tennis va en pâtir. En effet, elle a fini par abandonner la pratique de ce sport parce qu’elle considérai­t, autrefois, que la tenue sportive pour cette discipline n’est pas décente. Aujourd’hui, Raghda, ne porte plus le hijab. Le 3 mai 2017, elle a publié sur son compte Facebook : «Après une histoire d’amour grandiose qui a débuté le 4 août 2006, mon cher voile est en moi décédé… depuis belle lurette en effet… il a fallu alors l’enterrer en un jour sacré à jamais… et ce jour est arrivé» . Raghda est actuelleme­nt activiste, au sein de la société civile de sa communauté à Hammam-Lif. Elle proclame qu’elle n’a été jamais aussi épanouie. Quant à Mouna, 27 ans, elle a porté le «nouveau voile» après la révolution. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle a décidé d’enlever définitive­ment le hijhab, elle a répondu avec beaucoup de gaieté et d’humour : «J’ai fait l’expérience du port du voile et je l’ai ensuite enlevé. En fait, j’ai décidé de le mettre il y a cinq ans. Et je n’ai senti aucune différence entre les deux situations. En effet, je peux être décente et respectabl­e avec ou sans le voile . A mon sens, c’est un faux problème. Et puis, je ne suis pas véritablem­ent pratiquant­e. Je ne fais pas mes cinq prières régulièrem­ent. Le voile n’est qu’un accessoire» . Elle ajoute avec sarcasme :

«Durant cinq ans, je n’ai pas su comment fixer le hijab sur ma tête, alors j’ai laissé tout tomber» . Pour Jamila, 60 ans, mère de deux jeunes filles, le dévoilemen­t des femmes, notamment les jeunes, est une sorte de libération. «Je suis heureuse pour toute fille qui arrive à ôter le voile définitive­ment. Elle s’émancipe et s’accepte. Et puis, la foi est quelque chose de beaucoup plus spirituel que de porter le hijab », ajoute-t-elle en riant. Cependant, beaucoup de femmes tunisienne­s tiennent à leurs voiles ou hijab. Pour certaines, elles le portent parce qu’elles le considèren­t comme une obligation religieuse. Pour d’autres, elles tiennent à le mettre, par pudeur, parce que le milieu où elles ont grandi et vécu, la couverture de la chevelure fait partie de leurs us et coutumes. Toutefois, la femme tunisienne est libre de faire son choix. Elle est toujours le symbole de la femme émancipée dans le monde arabe.

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Le port du voile ou le dévoilemen­t: un choix souvent précédé d’une longue période de réflexion

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