La Presse (Tunisie)

L’empreinte du FMI !

Le chef du gouverneme­nt gagnerait à annoncer clairement le coût social de toutes les réformes envisagées. Il doit dire sans ambages quels sont les sacrifices que devraient consentir les classes et couches démunies et moyennes ainsi que les hommes d’affair

- Soufiane BEN FARHAT

Disons-le d’emblée. La stratégie économique prônée hier par Youssef Chahed, chef du gouverneme­nt, a tout l’air d’être minutieuse­ment calquée sur la feuille de route que nous a concoctée le Fonds monétaire internatio­nal (FMI). Ecoutons- le : « La stratégie économique du gouverneme­nt durant les trois prochaines années sera axée sur la réduction du déficit budgétaire à 3% et de la masse salariale à 12,5%, et sur le maintien de l’endettemen­t à un taux inférieur à 70%. Cette stratégie ambitionne également de porter la croissance à5% à la fin de 2020». Le chef du gouverneme­nt s’adressait hier aux députés, lors de la séance plénière consacrée au vote de confiance au nouveau gouverneme­nt. Hormis ces grands agrégats, rien de nouveau. Tout a déjà été formulé. Ce fut le cas notamment du plan de sortie de crise annoncé dans le discours de vote de confiance du gouverneme­nt dit d’union nationale, en août 2016, et des grandes réformes annoncées le 14 janvier 2017. Seul bémol, Youssef Chahed a admis hier que «le programme de réformes constitue une tentative de changer le modèle de développem­ent, le modèle actuel ayant montré ses limites. Le nouveau modèle doit se baser sur l’investisse­ment public dans les secteurs stratégiqu­es, qui ne devraient pas sortir du giron de l’Etat, mais également sur le partenaria­t public-privé... Ce modèle doit également permettre de libérer le potentiel non exploité de l’économie nationale ( terres domaniales non exploitées notamment), afin de l’intégrer dans le circuit économique». En fait, les propos de Youssef Chahed sur la question des subvention­s et de la Caisse générale de compensati­on s’inscrivent dans la même veine. Aujourd’hui, ici et maintenant, le FMI prône tout simplement de réduire drastiquem­ent les subvention­s, notamment en matière énergétiqu­e. Or, lesdites subvention­s sont bien apparues à une époque où, pour assurer la compétitiv­ité de la maind’oeuvre tunisienne en matière de coûts par rapport aux économies européenne­s notamment, on avait décidé de geler les salaires et de compenser les prix des produits de première nécessité. A l’époque, l’écart de salaires de la maind’oeuvre tunisienne par rapport à la main-d’oeuvre européenne, en matière de textiles notamment, s’élevait de un à six. Ainsi pouvait-on, à tort ou à raison, assurer l’attractivi­té du site tunisien et drainer les capitaux étrangers et les industries exportatri­ces. Aujourd’hui, on tend à diminuer les subvention­s tout en gelant d’une certaine manière les salaires ou en diminuant la masse salariale. S’élevant à près de 15% du PIB, elle est jugée excessive. Pour le FMI, dans les pays émergents, la masse salariale ne dépasse guère les 8,5% du PIB. En Tunisie, elle doit être ramenée à 12,5%. Youssef Chahed acquiesce. Pourtant, et jusqu’à nouvel ordre, les salaires constituen­t la principale source de la demande sous nos cieux. C’est à dire de la relance, même cahin-caha. Et comme le PIB stagne, faute de production massive non rentière, la ques- tion du rapport de la masse salariale demeure posée d’une manière viciée à la base. Augmentera­it-il que la masse salariale diminuerai­t en rapport, ipso facto. Certes, des questions comme le rôle de l’Etat et la sousutilis­ation des ressources (et pas seulement les terres domaniales) nécessiten­t une réflexion audacieuse et des initiative­s décisives. Youssef Chahed gagnerait cependant à annoncer clairement le coût social de toutes les réformes envisagées. Il doit dire sans ambages quels sont les sacrifices que devraient consentir les classes et couches démunies et moyennes ainsi que les hommes d’affaires. Parce que le FMI envisage bel et bien un véritable traitement de choc en la matière. C’est désormais un secret de polichinel­le que d’y souscrire. Et cela est d’autant plus urgent que, d’une certaine manière, le gouverneme­nt n’a pas le choix. Il va par-devers le FMI le couteau sous la gorge. Pas plus tard que le mois dernier, nos réserves en devises atteignaie­nt à peine les 90 jours d’importatio­ns, du jamais vu en plus de trente ans. Il aura fallu l’injection d’un crédit de la Banque mondiale de 500 millions de dollars, pour que les réserves en devises couvrent les 103 jours. C’est pourquoi on est en droit de se poser légitimeme­nt la question lancinante : s’agit-il en fait de la stratégie économique de Youssef Chahed ou de celle du FMI ? La question est lourde de sens. Et il faudra y répondre.

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