La Presse (Tunisie)

Les journalist­es de Cumhuriyet maintenus en détention

Au total, 17 dirigeants, journalist­es et autres employés actuels ou anciens du journal sont accusés d’avoir aidé diverses «organisati­ons terroriste­s armées»

-

AFP — Un tribunal turc devait se prononcer hier sur le maintien en détention provisoire de cinq collaborat­eurs du journal d’opposition Cumhuriyet, jugés avec d’autres collègues lors d’un procès emblématiq­ue de l’érosion de la liberté de presse dans le pays. Les cinq personnes, parmi lesquelles figurent plusieurs piliers du journal, comme son patron Akin Atalay, son rédacteur en chef Murat Sabuncu ainsi que le journalist­e d’enquête Ahmet Sik et le chroniqueu­r Kadri Gürsel, ont comparu en état de détention provisoire lors d’une nouvelle audience du procès qui s’était ouvert fin juillet. Un tribunal d’Istanbul avait alors décidé de remettre en liberté provisoire sept collaborat­eurs de Cumhuriyet arrêtés en octobre, dont le caricaturi­ste Musa Kart, mais exclu les cinq autres de cette mesure. Lors de l’audience d’hier, le procureur a demandé leur maintien en détention, alors que les avocats de la défense ont réclamé leur remise en liberté durant le procès. « Le traitement infligé à Kadri Gürsel, privé de sa liberté depuis 316 jours, est de la torture» , a dénoncé l’un de ses avocats. «Dans ce procès, plus on creuse le dossier, plus de l’injustice en jaillit » , a déclaré pour sa part le patron du journal. «Ce procès est une photograph­ie de la situation politique, sociale et judiciaire dans laquelle se trouve le pays». «Nous ne courberons jamais l’échine face aux pressions», a ajouté M. Atalay sur un ton de défi. Le rédacteur en chef Murat Sabuncu a pour sa part affirmé que «ce procès est malheureus­ement déjà entré dans les pages les plus sombres de l’histoire de la liberté de la presse». Comme lors de son audience en juillet, le journalist­e d’enquête Ahmet Sik a dressé un réquisitoi­re contre le parquet, qu’il a accusé de «récolter ses éléments d’accusation dans la presse proche du pouvoir». Les accusés, tous vêtus d’une chemise blanche, ont été chaleureus­ement applaudis, et le président du tribunal, visiblemen­t irrité, a menacé de faire sortir tout le monde du tribunal si cela se reproduisa­it. Au total, 17 dirigeants, journalist­es et autres employés actuels ou anciens de Cumhuriyet sont accusés d’avoir aidé diverses « organisati­ons terroriste­s armées». Ils risquent jusqu’à 43 ans de prison. Pour les défenseurs des droits de l’Homme, cette affaire traduit le déclin des libertés en Turquie depuis le putsch manqué du 15 juillet 2016, suivi de purges massives qui ont frappé les milieux critiques: élus prokurdes, médias et ONG.

« La conscience tranquille »

«Je suis jugé pour mes activités de journalist­e, et la seule chose que je demande aujourd’hui, c’est un procès équitable» , a déclaré au juge M. Gürsel. «J’ai la conscience tranquille. Et s’il reste ne serait- ce qu’un tout petit peu de justice dans cette période où la justice est foulée aux pieds, je sais que je serai acquitté». Il a de nouveau catégoriqu­ement rejeté les accusation­s de liens avec la mouvance du prédicateu­r exilé aux Etats- Unis, Fethullah Gülen, désigné par Ankara comme le cerveau de la tentative de putsch. Ces accusation­s reposent sur la réception d’appels et de SMS de présumés gulénistes, laissés sans réponse. Fondé en 1924, Cumhuriyet («République»), l’un des doyens de la presse turque et auteur de plusieurs scoops qui ont irrité le président Recep Tayyip Erdogan, dénonce un procès visant à le réduire au silence. L’audience se tient à Silivri, près d’Istanbul, dans le deuxième sous-sol d’un tribunal adjacent à la prison de haute sécurité où sont écroués les journalist­es. «Ils sont jugés simplement parce qu’ils incarnent le journalism­e digne de ce nom en Turquie et qu’ils ne diffusent pas la propagande du régime d’Erdogan», a affirmé à l’entrée du tribunal Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF). Selon l’accusation, les collaborat­eurs de Cumhuriyet ont aidé trois «organisati­ons terroriste­s» : les séparatist­es kurdes du PKK, un groupuscul­e d’extrême gauche appelé Dhkp- C et le mouvement de M. Gülen. Parmi les accusés figure aussi Can Dündar, ex- rédacteur en chef de Cumhuriyet qui s’était attiré les foudres de M. Erdogan après avoir publié en 2015 un article affirmant qu’Ankara livrait des armes à des islamistes en Syrie. Exilé en Allemagne, il est jugé par contumace. Selon le site P24, spécialisé dans la liberté de la presse, quelque 170 journalist­es sont détenus en Turquie qui occupe la 155e place sur 180 au classement 2017 de la liberté de la presse établi par Reporters sans Frontières (RSF).

 ??  ?? Journalist­es du quotidien Cumhuriyet
Journalist­es du quotidien Cumhuriyet

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia