Et le capital humain ?
Pour relancer l’économie tunisienne, en grande difficulté, ces derniers temps, (problèmes financiers sérieux, instabilité sociale, fort taux de chômage), on multiplie les initiatives pour attirer et soutenir les investissements tant étrangers que nationaux. On a eu la conférence internationale « Tunisia 2020 », en novembre dernier et on s’apprête à accueillir la 6e édition du Forum de l’Investissement en Tunisie (Tunisia Investment Forum- TIF 2017), qui sera organisée les 9 et 10 novembre 2017, à Tunis, à l’initiative de l’Agence de promotion de l’investissement extérieur (Fipa) en collaboration avec des partenaires étrangers. Ceci en plus des démarches et des initiatives des membres du gouvernement dans divers pays et organisations internationales. En même temps, on a adopté un nouveau Code de l’investissement, un projet de « loi d’urgence économique », et des réformes diverses censées faciliter les démarches administratives. Au total, le gouvernement entend dépenser près de 8,5 milliards de dollars d’ici 2021 afin de remettre l’économie du pays sur pied et de tenir les promesses faites lors de la révolution de 2011.
L’investissement est, certes, important, et concerne les entreprises et les machines. Mais il concerne aussi le capital humain. Le capital humain, notion introduite par l’économiste Gary Becker, analyse l’homme comme un facteur de production. Selon l’économiste Adam Smith, qui passe pour être le père de l’économie moderne, «les hommes contribuent à la croissance économique. En effet, les travailleurs, qui font des études supérieures, ont du savoir-faire, un bagage culturel et intellectuel important. Ils sont donc plus productifs, ce qui améliore leur efficacité. Cette meilleure efficacité et efficience leur permet par conséquent d’être plus innovants. Ainsi, la théorie du capital humain assure qu’il est plus rentable d’investir dans l’éducation et la formation des individus que dans les machines et les usines, le retour sur investissement est plus important sur le long terme». Le capital humain est un facteur qui détermine largement la capacité de gains et les perspectives d’emploi des individus. De récents travaux de l’Ocde ont confirmé l’importance de l’investissement dans la formation dans le processus de croissance économique et l’on observe également des liens entre l’éducation et divers avantages non économiques, comme la santé, par exemple.
Dès son indépendance, la Tunisie, qui n’est pas dotée de richesses naturelles importantes, a misé sur le capital humain, comme source principale de richesses. Des moyens énormes ont été consacrés à l’éducation et à l’enseignement, devenus obligatoires et gratuits. Et l’Etat ne cesse d’augmenter les dépenses consacrées à l’éducation: pour le primaire, l’Etat dépense actuellement 1300 dinars par élève contre 280 dinars en 1995. Pour le secondaire, les dépenses s’élèvent à 2400 dinars en 2015 contre 475 dinars en 1995 par élève. Et selon les experts, un étudiant tunisien coûte annuellement aux pouvoirs publics entre 1 000 et 1 500 euros (pour les branches des sciences humaines, économie et gestion) et entre 2 000 et 2 500 euros (pour les branches scientifiques). Chez les privés, ces coûts doivent être majorés de 20 à 25 %. Le pays dispose donc d’une richesse inestimable. Cet investissement concerne aussi la formation, la recherchedéveloppement, l’innovation, le marketing, les technologies de l’information, la publicité etc.
Cependant, le récent classement mondial du Capital humain, élaboré par le World Economic Forum, indique que la Tunisie n’exploite pas assez son Capital humain et se place au 115e sur 130 pays. L’indice mondial du capital humain sonde la capacité des pays à tirer profit des compétences et des connaissances de leurs ressources humaines. Ces compétences dénommées « Capital humain » donnent un indice sur la contribution de l’individu dans le système économique mondial. Donc ce ne sont pas seulement le niveau scolaire ou les diplômes qui sont pris en compte. Les 4 critères sont la capacité, le déploiement, le développement et le savoir-faire. Or, on constate un taux élevé du nombre des diplômés chômeurs de l’enseignement supérieur: 30,3% soit plus de 250 000, au second semestre 2017. Et il y a cette grosse perte de compétences avec cette «fuite des cerveaux» dont on a parlé, ici, au mois de juillet dernier. On cite le chiffre de plus de 4.000 savants et chercheurs tunisiens résidant à l’étranger; et selon la dernière session du forum des compétences tunisiennes résidant à l’étranger, conjointement organisée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et l’Agence tunisienne de la Coopération technique (Atct), il y aurait 8000 tunisiens cadres (ingénieurs, médecins, avocats) qui exercent à l’étranger. Ce qui fait dire au ministre des Affaires sociales, citant un rapport arabe sur le savoir basé sur l’indicateur de migration de la Banque Mondiale que « la Tunisie est considérée ainsi comme un pays qui chasse les compétences ».
Le chef du gouvernement, Youssef Chahed, s’en inquiète. Il déclarait, en juillet dernier que : «La Tunisie regorge aujourd’hui de jeunes compétences capables de lui décrocher une meilleure place dans le système mondial d’économie immatérielle si elles disposent des ressources nécessaires ». Et il a souligné la responsabilité des établissements éducatifs et universitaires, les centres de recherche et de formation, l’administration et les entreprises économiques dans l’instauration d’un environnement propice au développement des compétences individuelles et collectives de manière à les encourager à créer et à innover dans tous les domaines scientifiques et techniques. Il s’agit, en définitive, de faire de la Tunisie un site d’attraction des compétences et non pas un facteur de fuite de celles-ci vers les pays étrangers. Sera-t-il entendu ?
La Tunisie ne peut se permettre des investissements à «fonds perdus».