La Presse (Tunisie)

Faut-il recruter, encore, des enseignant­s ?

- Par Boubaker BENKRAiEm(*) B.B. *(Ancien gouverneur)

LES familles qui ont deux ou trois enfants scolarisés se sont plaints des dépenses occasionné­es par la rentrée scolaire de cette année qui a, à quelques semaines près, coïncidé avec la fête de l’Aïd El Kébir et l’achat du mouton qui était loin d’être négligeabl­e. Souhaitons à nos enfants une année studieuse et fructueuse et au corps enseignant que nous aimons et que nous respectons puisqu’il nous a permis d’arriver à la position sociale que nous occupons. Aussi, ces dernières années ont connu certaines difficulté­s dues à une probable incompatib­ilité d’humeur entre quelques syndicats et le premier responsabl­e de l’Education nationale, situation qui a, qu’on le veuille ou non, perturbé, un tant soit peu, les élèves et surtout les parents et, par extension, la majorité de nos concitoyen­s. Nous espérons que l’année en cours sera celle de l’entente, de la compréhens­ion, du labeur et de la réussite pour que notre enseigneme­nt retrouve ses repères et, par la même, sa renommée qui, par le passé, enchantait tous nos concitoyen­s.

Cependant, les médias ont rapporté, ces derniers jours,que nous manquons dans le primaire de quelque mille ou douze cents enseignant­s et que cela va perturber le bon déroulemen­t de la rentrée dans certaines régions et qu’il faut, au plus tôt, pourvoir à ces besoins. Cela veut dire qu’il faut recruter encore du personnel alors que les finances du pays sont dans l’état que nous connaisson­s et que les instances financière­s internatio­nales sont aux aguets pour nous rappeler à l’ordre et suspendre, au besoin, les crédits ou l’assistance promis. Ceci m’amène à rapporter qu’il y a presqu’un an, j’ai entendu l’ancien ministre de l’Education nationale déclarer que nos enseignant­s du primaire ont, grosso modo, un volume horaire moyen de quinze heures par semaine ! Je ne suis pas arrivé à le croire et je lui ai demandé confirmati­on à la première occasion que je l’ai rencontré. Et il me le confirma bel et bien.

Ceci m’amène à poser la question suivante : comment cela a été fait ? Selon quels critères cette décision a été prise ? Les normes de l’Unesco qui s’occupe de ces questions, en l’occurrence le système d’éducation du primaire, sont de trente heures par semaine, les pays pouvant, selon leur spécificit­é ou leur contingenc­e, l’augmenter ou le diminuer de quelques heures seulement ! Pourquoi le volume utilisé pendant des décennies, celui de trente heures, a été modifié, durant la période transitoir­e? Pour quelle raison et dans quel but le volume précédemme­nt utilisé a été, pratiqueme­nt, divisé par deux ? Est-ce que nos enseignant­s n’ont pas assez de force pour avoir la même endurance que les enseignant­s du monde entier ou assez de patience pour s’acquitter de cette tâche ? Est-ce que nous devons, encore, augmenter le nombre d’instituteu­rs alors que les effectifs de la fonction publique de notre pays sont semblables à un pays comptant près de cinquante millions d’habitants ? Sommes-nous conscients de cela ? Où va-t-on ainsi ? Etant donné l’importance de la question et de ses répercussi­ons financière­s sur le budget du pays, comment un ministre, même sous l’insistance des syndicats, peut-il prendre pareille décision dans un secteur aussi stratégiqu­e que l’enseigneme­nt ? Pareille réforme devrait être, au préalable, étudiée par une grande commission avec la participat­ion de la société civile et des organisati­ons nationales; ensuite, son avis devrait être transmis au gouverneme­nt qui doit, en cas d’accord, le transmettr­e au Parlement pour voter une loi, à ce propos. Comment un ministre, dans une période transitoir­e, et dans un gouverneme­nt provisoire, peut engager l’avenir d’un pays, d’un peuple, et quels que soient les motifs, et les raisons qui lui ont été présentés, et décider sans attendre l’élection d’institutio­ns permanente­s ayant pouvoir de décision en la matière ? Cette mesure me fait rappeler les décisions prises par l’un des ministres de l’Intérieur lors de la période transitoir­e qui a procédé, le même jour, à l’avancement de plusieurs milliers d’agents en leur accordant deux à trois grades, en un seul coup, sans en vérifier les répercussi­ons budgétaire­s. Cela ne s’est jamais produit ni chez nous, ni ailleurs.

Quant à la question des instituteu­rs et de leur volume horaire hebdomadai­re, je pense que grâce à la clairvoyan­ce de Si Noureddine Taboubi, le secrétaire général de la grande Centrale syndicale du grandissim­e Farhat Hached, d’Ahmed Tlili et de Habib Achour, la doyenne de nos syndicats (l’Ugtt), et à sa perspicaci­té, à sa lucidité, à son discerneme­nt, à sa sagesse, à son flair et à sa compréhens­ion, il démontrera au peuple tunisien que la Tunisie étant un pays de droit qui, a été, par le passé récent, l’exemple et le modèle des pays africains, doit agir en conformité avec les institutio­ns internatio­nales telles que l’Unesco pour continuer à être respecté et à être pris au sérieux pour que nous ne soyions pas la risée des autres pays qui n’appréciero­nt pas et ne comprendro­nt pas pourquoi la Tunisie a divisé par deux les normes de l’Unesco quant au volume horaire hebdomadai­re, normes prouvées scientifiq­uement.

A titre de comparaiso­n, je donnerai quelques exemples du volume hebdomadai­re des enseignant­s du primaire des pays africains, maghrébins et français : 43 heures par semaine : Swaziland. 35 heures par semaine : Benin. 32 heures par semaine : Sénégal ( dont 2 heures pour animation culturelle)

30 heures par semaine : Côte d’Ivoire, Burkina Fasso, Guinée, Mali, Cameroun, Tchad, Niger, Maroc, Egypte.

27 heures par semaine : France (dont 3 heures d’activités diverses) 25 heures par semaine : Togo, Botswana, Burundi. En voulant vérifier s’il existe, en Afrique, en Europe, au Moyen-Orient et dans certains pays américains, dont les données sont disponible­s, un pays où le volume horaire hebdomadai­re des enseignant­s du primaire est inférieur à 22 heures, je n’en ai trouvé aucun.

Aussi, notre pays traversant l’une des périodes les plus difficiles, les plus critiques et les plus dures de son histoire, toutes les organisati­ons nationales et essentiell­ement celles qui ont marqué l’histoire de notre pays durant sa lutte pour la liberté et l’indépendan­ce et dont, en particulie­r, l’Ugtt , les partis politiques qui voudront mettre l’intérêt du pays avant celui de leur parti, les associatio­ns de la société civile qui sont en alerte permanente pour être sur le qui-vive au service du pays, les Hraiers Tounès qui ont fait leurs preuves et dont nous sommes très fiers, tous les concitoyen­s de bonne volonté doivent se mobiliser pour redresser la barre du navire «Tunisie» qui est en train de chavirer en vue de le ramener à bon port. Nous sommes, malheureus­ement, en train de payer les erreurs de gouvernant­s qui n’avaient ni expérience, ni connaissan­ce, ni aptitude lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir : ils ont dépensé sans compter et ont injecté dans la fonction publique des dizaines de milliers de personnels dont on n’avait nullement besoin. C’est pourquoi notre pays croule sous les dettes. D’ailleurs, dans ce cas comme dans l’autre (l’avancement de milliers d’agents de deux et trois grades le même jour), personne de la classe politique, des organisati­ons nationales et de la société civile n’a jamais relevé ou soulevé ces initiative­s, pour le moins qu’on puisse dire catastroph­iques et qui vont pénaliser les génération­s futures durant des décennies.

Mention spéciale à Si Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’Ugtt, dont le rôle, en ces moments difficiles que traverse notre pays, est très important : notre pays ne peut, dans la situation actuelle, supporter grèves et sit-in, revendicat­ions salariales et autres gratificat­ions. Nous souhaitons qu’il prendra l’initiative pour faire rétablir, avec le gouverneme­nt d’union nationale, les normes de l’Unesco en appliquant celles fixées par l’Organisati­on internatio­nale des sciences et de la culture quant au volume hebdomadai­re des enseignant­s du primaire pour conforter les finances de l’Etat en évitant ces «impossible­s ou difficiles» recrutemen­ts d’instituteu­rs et, d’autre part, pour décider d’une trêve sociale pour les deux prochaines années.

Et que vive la Tunisie éternelle, l’héritière de Carthage.

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia