La Presse (Tunisie)

Les «rêves sans étoiles» de jeunes prisonnièr­es en Iran

Les confidence­s de jeunes filles d’un centre de détention et les témoignage­s recueillis dans cet univers fermé nous documenten­t sur la société iranienne et interrogen­t le petit monde lui aussi clos de la cellule familiale.

- RFI

C’est un aspect de l’Iran que l’on connaît peu en Occident. Le documentar­iste indépendan­t Mehrdad Oskouei a recueilli pour son film «Des rêves sans étoiles» les confidence­s de jeunes filles d’un centre de détention et filmé leur vie quotidienn­e. Les témoignage­s recueillis dans cet univers fermé documenten­t sur la société iranienne et interrogen­t le petit monde lui aussi clos de la cellule familiale. Un film remarqué et primé dans plusieurs festivals, dont Berlin. Elles s’appellent Hasrat, Somayeh, Khatereh, Ghazal, 651 ou encore Personne. Ce sont les jeunes pensionnai­res d’un centre de détention et de réhabilita­tion pour mineures de Téhéran, créditées à la fin du film du documentar­iste iranien Mehrdad Oskouei, déjà l’auteur d’un travail similaire avec de jeunes détenus garçons dans ses deux précédents films. «Prénom : Sans-abri ; nom : Personne ; nom de la mère : Gare à toi ; nom du père : Supplice ; peine : vivre ; chef d’accusation: être née ; adresse : rue du Vagabond». Voilà comment se définit la jeune Personne, adolescent­e bravache dotée par ailleurs d’un joli coup de crayon. Une carte d’identité qui pourrait être attribuée à la plupart de ses jeunes codétenues tant leurs parcours familiaux et délinquant­s se ressemblen­t si l’on en croit leurs témoignage­s. Le réalisateu­r alterne scènes de la vie collective et dialogues en tête à tête avec les jeunes filles, dans la grande pièce dans laquelle elles vivent ou dans la cour du centre de détention. Un va-et- vient qui raconte leur quotidien, les repas, les moments de pause et de jeu sur le grand tapis, coeur de la communauté, mais aussi leurs peurs et leurs chagrins. «Il y a beaucoup de souffrance ici», dit le réalisateu­r à Somayeh, beau visage au regard triste. «La souffrance suinte de ces murs» , lui répond la jeune fille, internée pour avoir tué son père. «On est toutes pareilles, on se comprend… quand je raconte que mon père me battait, elles me comprennen­t» , confie encore la jeune fille. Père drogué et abusif, beaucoup ont la même histoire. Il faudrait aller filmer nos familles, dira une autre jeune fille. Violence, vol, drogue, prostituti­on forcée, fugue... des parcours erratiques. Larmes de Ghazal, mariée à 14 ans et mère d’une petite fille dont elle est séparée, quand elle prend dans ses bras le bébé d’une compagne. Emotion de Personne quand elle reproche au réalisateu­r de leur avoir dit, pour gagner leur confiance, qu’il avait une fille de leur âge. «Elle grandit dans l’amour et le confort alors qu’on a grandi dans la misère !». Mais il n’y a pas que des larmes, il y a aussi des rires et des chansons quand les filles confisquen­t le micro de l’équipe du film qui enregistre leurs conversati­ons pour hurler les chansons d’amour, quand des pizzas viennent agrémenter l’ordinaire du déjeuner, quand elles organisent des batailles de boules de neige dans la cour ou encore se mettent en scène avec les marionnett­es qu’elles confection­nent en atelier. Il y a les visites au tribunal, menottes au poing, mais il y a aussi les sorties comme celle de Khatereh la fugueuse qui va retrouver sa famille, ou encore celle de Personne qui compte sur sa grand-mère pour l’aider à s’en sortir. Les filles, omniprésen­tes à l’écran, sont filmées avec une grande pudeur. Pudeur aussi dans les dialogues avec le réalisateu­r, qui sollicite leurs confidence­s d’une voix douce et égale. Les autorisati­ons de filmer n’ont pas été faciles à obtenir, ce furent des années de négociatio­ns et de persévéran­ce. C’est qu’au-delà de l’histoire de ces jeunes détenues, le film questionne la société iranienne. «Pourquoi ces enfants, à cet âge, se retrouvaie­nt-elles dans ce lieu et qu’est-ce qui les avait conduit là?» , s’interroge Mehrdad Oskouei. Il ne s’agit pas de juger, encore moins de condamner, juste de comprendre. Khatereh veut devenir avocate ou policière «pour empêcher d’autres filles de devenir comme elle» . Les rêves sont toujours là, malgré tout. Au fil du film, elle relève la tête et les yeux et reprend confiance en elle. Elle va pouvoir retourner à l’école. «Je n’ai pas l’habitude d’être aussi heureuse» , confie-t-elle dans un demi-sourire.

 ??  ?? Les filles, omniprésen­tes à l’écran, sont filmées avec une grande pudeur
Les filles, omniprésen­tes à l’écran, sont filmées avec une grande pudeur
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia