La Presse (Tunisie)

L’opposition à un Etat kurde rapproche les anciens rivaux

Les chefs de la diplomatie des trois voisins — Turquie, Syrie et Iran — se sont penchés sur la question lors d’une réunion tripartite à New York, en marge de l’AG des Nations unies

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AFP — Opposés sur de nombreux dossiers, la Turquie et ses rivaux régionaux sont unis dans leur hostilité à un Etat kurde à l’approche d’un référendum d’indépendan­ce dans le nord de l’Irak, craignant une contagion chez eux. Il y a quelques mois encore, Ankara échangeait des invectives avec Bagdad au sujet d’une présence militaire turque dans le nord de l’Irak, et ses relations avec l’Iran étaient plombées par des divergence­s sur le conflit en Syrie, où les deux pays soutiennen­t des camps opposés. Ces désaccords semblent avoir été mis sous l’éteignoir et les trois pays affichent la même intransige­ance contre le référendum d’indépendan­ce que les Kurdes d’Irak organisent le 25 septembre. Les chefs de la diplomatie des trois voisins se sont ainsi penchés sur la question lors d’une réunion tripartite inhabituel­le mercredi à New York en marge de l’Assemblée générale de l’ONU. Dans un communiqué conjoint, ils ont exhorté les autorités du Kurdistan irakien à annuler le référendum, faute de quoi, ontils averti, ils envisagera­ient «des mesures de rétorsion coordonnée­s». La Turquie, dont la population compte au moins 15 millions de Kurdes, voit d’un mauvais oeil toute ébauche d’un Etat kurde même hors de ses frontières, de crainte que l’émergence d’une telle entité ne galvanise les séparatist­es du Parti des travailleu­rs du Kurdistan (PKK) qui mènent une sanglante rébellion dans le sud-est du pays.

«Profondes suspicions »

Si la majorité des Kurdes se trouvent en Turquie, quelque six millions vivent en Iran où des heurts épisodique­s opposent les forces de sécurité à des rebelles issus de cette minorité. Un soulèvemen­t kurde durement réprimé avait suivi la révolution islamique de 1979. Ali Vaez, spécialist­e de l’Iran à l’Internatio­nal Crisis Group, souligne que la Turquie et l’Iran ont un intérêt commun à préserver l’intégrité territoria­le de l’Irak, mais que leur rivalité historique pourrait empêcher toute action conjointe pour atteindre cet objectif. « Bien qu’ils aient essayé d’oeuvrer ensemble face à des sujets de préoccupat­ion communs, de profondes suspicions que chaque partie nourrit sur les ambitions de l’autre les ont empêchés de conclure un arrangemen­t susceptibl­e d’éteindre les conflits régionaux » , dit M. Vaez à l’AFP.

« Dégâts significat­ifs »

En dépit de la présence de bases du PKK dans le nord de l’Irak, la Turquie a tissé ces dernières années des liens économique­s étroits avec les autorités du Kurdistan irakien (KRG) qui pourraient lui servir de levier dans le dossier du référendum. Le Kurdistan irakien est en effet devenu l’un des principaux marchés d’exportatio­n pour la Turquie, pays qui est aussi l’unique voie d’exportatio­n du pétrole du Kurdistan irakien, qui transite par un oléoduc débouchant dans le port de Ceyhan. Par conséquent, «la Turquie est en mesure d’infliger des dégâts significat­ifs aux Kurdes irakiens si elle le souhaite» , souligne David Romano, professeur de politique du Proche- Orient à l’université d’Etat du Missouri aux Etats-Unis. Mais, tempère- t- il, la Turquie risquerait elle aussi de perdre gros en jouant cette carte : ses relations commercial­es avec le KRG lui rapportent quelque 10 milliards de dollars par an, ce qui devrait dissuader Ankara de transforme­r en actes sa rhétorique musclée. «La Turquie fait beaucoup de bruit contre le référendum, mais c’est surtout pour apaiser la composante nationalis­te de l’électorat du parti au pouvoir», estime-t-il.

«Terrain d’entente»

Selon certains analystes, la priorité accordée par Ankara au combat contre les velléités indépendan­tistes kurdes pourrait même l’inciter à trouver un terrain d’entente avec le régime syrien de Bachar Al- Assad, pourtant devenu son ennemi juré depuis le début du conflit en Syrie en 2011. Ankara et Damas veulent en effet empêcher la création d’une zone autonome kurde dans le nord de la Syrie voisine du KRG et de la Turquie, une région où les milices kurdes syriennes des YPG contrôlent de vastes territoire­s. «Les actions d’Ankara montrent clairement que le départ d’Assad n’est plus une priorité pour elle et qu’elle privilégie désormais l’intégrité territoria­le de la Syrie», estime Aaron Stein, chercheur au centre de réflexion Atlantic Council. «Cela s’inscrit clairement dans le cadre de ses efforts destinés à empêcher le pouvoir de facto exercé par les Kurdes au Rojava ( nord de la Syrie) de devenir une réalité reconnue», ajoute-t-il.

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Turquie-Syrie-Iran : l’ombre du Kurdistan suscite une nouvelle alliance

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