La Presse (Tunisie)

Un déballage douloureux vaut mieux qu’un silence douteux

On gagnerait à réunir en conclave les partenaire­s sociaux, ainsi que les représenta­nts gouverneme­ntaux, en vue d’un échange approfondi en la matière. Objectif : faire l’économie des frictions et des bras de fer à venir

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C’est un secret de Polichinel­le. Les mesures économique­s prévues par le gouverneme­nt pour les mois à venir ont un coût social plutôt lourd. Et ce coût est étrangemen­t tu ou éludé autant que possible, du moins jusqu’à nouvel ordre. Pour ce qui en est du diagnostic et des parades prévues, les choses sont arrêtées. Seulement, c’est encore confiné dans la sphère restreinte de ceux qui sont dans le secret des dieux. C’est-à-dire les politicien­s de la majorité gouverneme­ntale, les signataire­s du fameux document de Carthage en prime. Cela concerne une batterie de mesures touchant les investisse­ments, les finances, la fiscalité, les prix, les subvention­s, les entreprise­s publiques, les caisses sociales et bien d’autres choses. Jusqu’ici, les médias sont tenus à l’écart de ce débat de coulisses feutré. Pourtant, les mesures prévues, intitulées réformes, touchent le vécu des citoyens. Lesquels n’ont pas d’autre ressource informativ­e que les médias. Pour la petite histoire, dans sa formidable biographie d’Albert Londres, Pierre Assouline a reproduit un mot d’un général rencontran­t des reporters sur le front : «Je sais, messieurs, que les gens de votre métier sont régulièrem­ent là où ils ne devraient pas être». Puis, après un temps : «C’est d’ailleurs pourquoi nous lisons les journaux...» Soyons clairs. Les réformes économique­s prévues ne sont pas des moindres. On n’en sait pourtant pas encore grand-chose. La nouvelle loi de finances devrait en traduire une grande partie. Là aussi, mystère et boule de gomme. C’est dire qu’il appartient à M. Taoufik Rajhi, ministre auprès du chef du gouverneme­nt chargé des grandes réformes, de faire acte de présence. Parce que, jusque-là, pour l’opinion du moins, il est aux abonnés absents. Et il gagnerait à annoncer les grandes réformes prévues ainsi que leur coût social escompté. Le réalisme l’impose. Les règles de la bonne gouvernanc­e aussi. La nouvelle loi de finances risque d’être particuliè­rement dramatique, faute de ressources. De son côté, le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) tient à passer vaille que vaille la batterie de mesures qu’il nous a concoctées. Cela va de la levée des subvention­s sur certains produits de première nécessité et l’énergie à la diminution de l’effectif de la fonction publique, qui devrait être ramené à 12,5% du PIB, en passant par la flottaison du dinar, la réorganisa­tion des caisses sociales et les privatisat­ions. Certes, nous dira-t-on, on n’a pas le choix, d’autant plus que nous sommes allés de plein gré par-devant le FMI. Mais la facture sociale est-elle pour autant inévitable et, surtout, acceptable ? M. Tarek Cherif, président de Conect, une des deux centrales patronales, a parlé il y a quelque temps de la nécessité d’une pédagogie des réformes douloureus­es. Mais là, on est en face d’un mutisme en bonne et due forme. Prendre à témoin l’opinion sur cet aspect précis est toujours salvateur. Parce que c’est le contribuab­le, en dernière instance, qui supportera les conséquenc­es du traitement de choc prévu par le FMI. Et parce que la question ne saurait être occultée, le silence complice pouvant déboucher sur des effets contre-productifs et pervers. Autre considérat­ion et non des moindres. On gagnerait à réunir en conclave les partenaire­s sociaux, ainsi que les représenta­nts gouverneme­ntaux, en vue d’un échange approfondi en la matière. Objectif : faire l’économie des frictions et des bras de fer à venir. Parce qu’il y en aura, cela saute aux yeux des aveugles. Or, jusqu’ici, la loi portant création du Conseil supérieur du dialogue social est restée lettre morte. On l’a réclamée à cor et à cri pour la livrer ensuite à l’indifféren­ce. A la bonne franquette, comme toujours. Aujourd’hui plus que jamais, la communicat­ion gouverneme­ntale fondée sur le parler-vrai s’impose. Aller au fond des choses, informer les citoyens et, surtout, bannir le mensonge par omission. Autrement, le retour de flamme pourrait être ravageur.

Soufiane BEN FARHAT

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