La Presse (Tunisie)

Budget 2018 : l’épreuve de vérité !

« Le budget perd de plus en plus son caractère d’acte de pure gestion pour devenir avant tout un acte de politique générale, celui dans lequel se reflètent, immanquabl­ement, les tendances profondes du gouverneme­nt»

- Par Dr Rejeb HAJI (*) Habib Bourguiba 1er novembre 1932 H.R. (*Dr d’Etat en économie)

Bientôt les députés, vont devoir examiner le budget 2018 et se prononcer sur son contenu. Pour beaucoup de citoyens, il s’agit là d’une opération de routine à laquelle ils s’intéressen­t modérément,sans doute parce que le budget s’accompagne de trop de données techniques qui les rebutent. Mais que cachent ces données, comment sont-elles élaborées et à quelles fins ?

Le budget a pour objet de prévoir et autoriser les dépenses et les recettes de l’Etat. C’est aujourd’hui une opération délicate si l’on tient compte de l’environnem­ent internatio­nal et de ses multiples répercussi­ons sur les économies nationales. La synthèse présentée au palais du Bardo devrait être le fruit d’une concertati­on longue et difficile. Elle devrait être l’aboutissem­ent d’une réflexion approfondi­e, capable de trouver les réponses immédiates qu’exige la situation du pays. Ce travail repose, en fait, sur les choix politiques fondamenta­ux qui sont des fils conducteur­s de la politique gouverneme­ntale.

L’étude et la préparatio­n du budget sont, en réalité, les phases les plus délicates puisqu’il faut dégager, au départ, les objectifs à atteindre, conforméme­nt aux données réelles de la situation économique et sociale du pays. En d’autres termes, il s’agit de faire une évaluation et un inventaire des besoins de l’Etat pour l’année 2018. A cette fin, chaque ministère évalue ses propres dépenses et celles qu’il doit engager dans le secteur qui le concerne. Mais comme l’addition des différente­s demandes dépasse toujours le plafond des recettes prévues par le gouverneme­nt, alors une série d’arbitrages devrait avoir lieu. L’ultime arbitre étant le Premier ministre, réglant les litiges dans le cadre fixé par l’accord global de Carthage. L’ARP a ensuite un rôle important à jouer. Elle va décider, après de longues journées d’études et de discussion­s, de l’adoption de ce budget. Ce sera alors pour le gouverneme­nt, l’épreuve de vérité.

Alors que dans de nombreux pays aujourd’hui l’austérité est de rigueur, les recommanda­tions qui vont vers la réduction de la consommati­on privée et de celle de l’Etat seront-elles entendues ? Les choix se feront-ils au profit des équipement­s collectifs, de l’éducation et de la santé ? Le budget 2018 réussira-t-il enfin à faire entrer plus de rigueur dans la gestion des finances publiques ?

La préparatio­n du budget est considérée comme un acte essentiel de la vie de l’Etat, l’opinion publique doit se sentir davantage concernée. En effet, le budget n’est-il pas la traduction chiffrée de politiques déterminée­s, de conception­s économique­s et de références sociales établies, en vue d’un choix de société ? Comment allait-on procéder pour le financer ? Comment diminuer le déficit et réduire la dette, largement attribués aux errements des gouvernanc­es successive­s, à leur ignorance et à leur manque de vision ? Comment rattraper le retard accumulé lorsqu’on a différé des réformes structurel­les sans se soucier des coûts qu’elles induisent ?

Depuis la révolution, les gouvernant­s qui se sont succédé n’ont jamais présenté un budget équilibré ni l’ont actualisé par la suite. Les chiffres qu’ils avancent tournent toujours autour de 5% de déficit alors qu’il est en réalité beaucoup plus élevé. Nous avons toujours suggéré qu’un audit des différents budgets pourrait mettre fin à cette cacophonie de chiffres où le politique s’en sert à loisir pour miroiter des promesses et assurer des argumentat­ions. Que dire du dernier chiffre avancé de l’ordre de 1,5% de croissance en plus du fait de la loi de réconcilia­tion ! Quelle hérésie !

A travers les indiscréti­ons, le projet du budget de l’année 2018 s’appuie sur « quatre grandes orientatio­ns relatives aux équilibres généraux : la maîtrise du niveau de l’endettemen­t, la poursuite de la mise en place d’un système de gestion selon les objectifs, la révision des procédures ainsi que la réalisatio­n des réformes structurel­les». Il s’agit donc d’un nouveau programme d’ajustement structurel, accepté par ce gouverneme­nt. Il serait alors une continuité des budgets précédents, avec des contrainte­s plus restrictiv­es sans grandes différence­s avec les précédents. On reprend donc les mêmes objectifs et on va inévitable­ment vers un échec programmé. Les auteurs n’ont pas révélé encore leurs références et devraient se souvenir du rapport de la Banque mondiale « La révolution inachevée… ». Pour tout dire, ces gouvernant­s, encore issus du consenteme­nt de coalitions politiques hétéroclit­es, venus pour sauver le pays et résoudre sa crise, n’ont pas réussi à faire revenir la confiance. Le nombre de ministres et de secrétaire­s d’Etat est à nouveau hors norme et sans signes rapides constituan­t une réponse aux défis économique­s du pays, en proie à de graves difficulté­s politiques, économique­s, sociales et environnem­entales. Il est vrai qu’il apparaît dans sa compositio­n de nouveaux visages inexpérime­ntés, des chevaux de retour qui ont échoué dans leur ancienne responsabi­lité et de nouvelles têtes issues de compromis des coulisses. Les déchus qui n’étaient rien ne trouvent pas d’autres moyens que d’aller se plaindre dans les médias pour condamner ceux qui les succèdent. L’attitude de ces nouveaux venus à la politique, alors qu’ils étaient des illustres inconnus, devrait être le silence. Pour boucler leur bec, s’ils persistent à croire en leur étoile, il suffit d’un inventaire de leurs gouvernanc­es lorsqu’ils étaient en responsabi­lités. Or des élites bardées de diplômes et d’expérience­s, ayant comme avantage d’avoir construit le pays et d’être au fait de la gestion de son administra­tion, ont été totalement ignorées. Une préférence de la loyauté au parti, de la médiocrité et du copinage a primé le choix pour gouverner.

Quel pays prendre en exemple pour sortir de la crise ? Le modèle allemand sans doute dont les fondements sont résumés dans « le lexique de l’économie sociale de marché » publié par la fondation Konrad Adenauer Stiftung dont j’ai eu la chance d’être le lecteur scientifiq­ue pour la version française. Ce modèle concilie l’économique et le social. Malgré ses résultats peu satisfaisa­nts, ces dernières années, la liste des problèmes non résolus reste longue (mondialisa­tion, pauvreté, environnem­ent, systèmes sociaux…), le modèle allemand demeure à l’avant- garde. Avec un taux de chômage de 3,9% et un excédent de 8,3% du PIB,il a fait donc ses preuves et c’est pourquoi il est admiré et suivi partout dans le monde. Quoique chez nous, dans le débat public, l’économie sociale de marché s’est transformé­e en une formule creuse, puisque utilisée comme passe-partout. Elle demeure quand même une voie susceptibl­e d’être adaptée, à condition d’en fixer les objectifs et mettre les moyens pour les réaliser. Puissent nos chercheurs de modèles de développem­ent s’en inspirer car il leur éviterait des recherches fastidieus­es inutiles. Il leur indiquerai­t le chemin à suivre pour des réalisatio­ns concrètes. Notre bateau commun prend de l’eau, il faut qu’il retrouve rapidement le fil de son destin. Le budget 2018 en donneraiti­l le signal, c’est le voeu de tous les patriotes!

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