La Presse (Tunisie)

«Le manque de visibilité n’encourage pas les investisse­urs»

Dans une conjonctur­e économique des plus difficiles, le gouverneme­nt a annoncé récemment certaines mesures qui seront incluses dans la loi de finances 2018. Des mesures qui s’inscrivent dans le cadre des efforts pour pallier les difficulté­s à mobiliser de

- Propos recueillis par Maha OUELHEZI

Dans une conjonctur­e économique des plus difficiles, le gouverneme­nt a annoncé récemment certaines mesures qui seront incluses dans la loi de finances 2018. Des mesures qui s’inscrivent dans le cadre des efforts pour pallier les difficulté­s à mobiliser des ressources financière­s suffisante­s pour honorer le budget de l’Etat. Avec des dépenses qui dépassent largement les revenus, le déficit budgétaire s’aggrave et constitue un défi colossal pour la stabilité des finances publiques. Mais si le gouverneme­nt a opté pour une augmentati­on des taux comme solution, Habiba Laouti, experte en fiscalité et érudit de l’administra­tion fiscale, estime que ce n’est pas la bonne solution, puisqu’elle comporte les risques d’impacter négativeme­vt le pouvoir d’achat du consommate­ur, de renforcer le marché parallèle et de freiner l’investisse­ment.

Pensez-vous que les mesures annoncées récemment pour la loi de finances 2018 soient les bonnes pour pallier les difficulté­s économique­s et financière­s et pour combler le déficit budgétaire qui s’aggrave ? Bien que je sois convaincue du besoin urgent de ressources pour faire face aux dépenses publiques en évolution continue, je ne pense pas qu’augmenter les taxes soient la bonne solution. Ceci dit, j’aurais peutêtre pris la même décision si j’étais encore à l’administra­tion par manque de moyens plus rentables. En effet, et de par l’expérience, il apparaît qu’une telle solution pourrait avoir des effets pervers dans le sens où elle aura tendance à renforcer le marché parallèle qui offre des prix nettement inférieurs à ceux de l’économie formelle. Ce qui mettrait en péril toutes les mesures prises par les gouverneme­nts post- révolution oeuvrant pour l’intégratio­n du marché parallèle dans l’économie formelle. Les mesures prises dans ce sens ont concerné essentiell­ement la suppressio­n de la majoration de la TVA, et par cette mesure son taux passe de 22.5% à 18%, la réduction des droits de douane pour les matières premières notamment et la suppressio­n des droits de consommati­on pour certains produits tels que les pneumatiqu­es et sa réduction pour certains d’autres tels que les boissons alcoolisée­s. Toutes ces mesures avaient pour objectif de réduire les prix et par la même rendre le secteur formel compétitif avec les garanties qu’il offre par rapport au secteur informel.

Avec des réserves en devises

en baisse et un endettemen­t en hausse, quel genre de mesures, selon vous, serait indispensa­ble pour sortir le pays de la situation actuelle ? Il est nécessaire de se remettre au travail, d’améliorer la produc- tivité des entreprise­s et d’éviter des arrêts intempesti­fs de la production. Cela ne pourrait se réaliser que par une concorde nationale engageant toutes les forces du pays. Ce qui engendrera une augmentati­on de nos exportatio­ns et une réduction des importatio­ns des produits finis qui seront fabriqués en Tunisie avec des prix compétitif­s. Ce qui n’est pas le cas actuelleme­nt. Par ailleurs, il faut lever rapidement les obstacles pour attirer dans le système financier les devises en abondance dans le circuit parallèle.

Les difficulté­s que connaissen­t les caisses sociales s’amplifient de plus en plus. Quelles sont les meilleures solutions pour gérer ces difficulté­s ? Le déficit des caisses sociales continue de se creuser, il atteindrai­t, en 2018 pour la Caisse nationale de retraite et de protection sociale (Cnrps), environ 862 MDT, d’où la nécessité de trouver des solutions urgentes. Par contre , les mesures actuelles proposées dans le projet de loi de finances 2018 ( augmentati­on des taux de la TVA, timbre fiscal, vignettes, etc.) sont des mesures qui impactent lourdement le pouvoir d’achat du consommate­ur et des ménages, surtout avec la réforme de la Caisse de compensati­on, sans oublier les effets négatifs sur le tissu économique du marché parallèle. La réforme des caisses sociales doit passer par la convergenc­e des deux régimes et par la mise en oeuvre de la convergenc­e des taux et plafonds, la suppressio­n des niches d’avantages, la valorisati­on de tous les actifs des caisses, la rationalis­ation des dépenses et l’améliorati­on de la gouvernanc­e et des méthodes de gestion.

Selon vous, quels sont les préalables pour la réussite de la réforme fiscale telle qu’annon-

cée par le gouverneme­nt ?

Actuelleme­nt, il ne faut plus se hasarder à entreprend­re des actions de réforme, car la situation de la Tunisie postrévolu­tion n’est pas favorable à la réussite des réformes. D’ailleurs, l’exemple type de l’échec des réformes entreprise­s est celui qui concerne la réforme fiscale, car toutes les mesures prises dans le cadre de la loi de finances 2018 vont à l’encontre de celles préconisée­s dans la réforme fiscale déjà entamée qui a d’ailleurs coûté beaucoup de temps et beaucoup d’argent avec des résultats négatifs, comme en témoigne la situation financière actuelle du pays. En effet, les principaux axes des réformes étaient la simplifica­tion de la fiscalité, l’allégement de la charge fiscale de l’entreprise et l’élargissem­ent de l’assiette. Seulement, et du fait de la situation économique et financière difficile du pays et le besoin urgent de ressources, tous ces axes ont été ignorés. Les augmentati­ons des taxes prévues par le projet de loi de finances de 2018 en sont la preuve. Le plus urgent à faire actuelleme­nt est d’investir dans l’administra­tion fiscale (contrôle et recouvreme­nt). En effet, il faut améliorer les conditions de travail des agents de l’administra­tion fiscale en les outillant de tous les moyens leur permettant de parfaire leur travail et d’améliorer leur rendement.

La loi de finances est généraleme­nt le reflet de la vision politique et économique du gouverneme­nt. Pensez-vous que cette vision —telle qu’elle se présente aujourd’hui— est assez en harmonie avec les aspiration­s de réformes radicales et avec l’objectif de booster l’investisse­ment ? Les mesures prises dans le cadre de la loi de finances 2018 se basent essentiell­ement sur la mobilisati­on des recettes fiscales pour couvrir les dépenses publiques et réduire le déficit des caisses sociales. Donc, elles ne peuvent pas être en harmonie avec l’objectif de booster l’investisse­ment. En effet, pour encourager l’investisse­ment il faut assurer une certaine stabilité de notre cadre législatif et surtout celui fiscal. Le manque de visibilité n’encourage pas les investisse­urs et surtout ceux étrangers à investir en Tunisie, car il y a toujours une différence entre le cadre fiscal qui a motivé leur intention d’investir en Tunisie et le cadre fiscal applicable une fois l’investisse­ment en activité. La preuve est l’augmentati­on proposée du taux de la retenue à la source due sur les dividendes de 5 à 10%, sachant que cette augmentati­on a été prévue dans le cadre de la réforme fiscale mais couplée par une réduction du taux de l’impôt sur les sociétés de 25% à 20%. Alors pour booster l’investisse­ment, il faut tout d’abord garantir aux investisse­urs un climat des affaires sain et une certaine stabilité législativ­e.

La réforme des caisses sociales doit passer par la convergenc­e des deux régimes et par la mise en oeuvre de la convergenc­e des taux et plafonds, la suppressio­n des niches d’avantages, la valorisati­on de tous les actifs des caisses, la rationalis­ation des dépenses et l’améliorati­on de la gouvernanc­e et des méthodes de gestion.

Pour encourager l’investisse­ment, il faut assurer une certaine stabilité de notre cadre législatif et surtout celui fiscal.

Les mesures actuelles proposées dans le projet de loi de finances 2018 (augmentati­on des taux de la TVA, timbre fiscal, vignettes, etc.) impactent lourdement le pouvoir d’achat du consommate­ur et des ménages, surtout avec la réforme de la Caisse de compensati­on, sans oublier les effets négatifs sur le tissu économique du marché parallèle.

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