La Presse (Tunisie)

Médias et société civile face à leurs responsabi­lités

Selon le président de l’Inlucc, tous les indicateur­s montrent que les pays arabes sont les plus affectés par la corruption. Il a plaidé, hier, à l’occasion du premier colloque arabe « Société civile et médias, partenaire­s dans la diffusion de la culture a

- Kamel FERCHICHI

« J’ai choisi la Tunisie », a dit le chef du gouverneme­nt Youssef Chahed, quelques jours seulement après avoir déclaré, en mai dernier, sa guerre contre la corruption. Cette phrase avait largement résonné sur les réseaux sociaux et a été perçue comme un grand défi pas facile à relever. Depuis, la sentence demeure la devise de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), dont son président et l’ancien bâtonnier des avocats tunisiens, Me Chawki Tabib, l’a d’ailleurs reprise telle une rengaine, à l’ouverture, hier matin à Tunis, d’un premier colloque arabe intitulé « Société civile et médias, partenaire­s dans la diffusion de la culture anticorrup­tion ». Trois jours durant, le débat sera, ainsi, focalisé sur comment faire des journalist­es et des acteurs associatif­s de vrais combattant­s faroucheme­nt impliqués dans la guerre contre la corruption. Un fléau qui a, impunément, pris des proportion­s catastroph­iques débordant sur tous les étages de l’administra­tion publique, sans pour autant épargner les sphères politiques et diplomatiq­ues. Mais, il n’y a pas que la Tunisie qui est censée en faire son cheval de bataille, tous les pays arabes devraient aussi s’en soucier. Et sans merci. Car, son ampleur à l’échelle arabe, souligne Me Tabib, n’est plus à démontrer. Seulement, indique-t-il, deux pays arabes sont classés parmi les premiers 50 Etats reconnus transparen­ts et moins corrompus. Sinon, le reste se trouve au bas de l’échelle, sous l’emprise de la malversati­on et de la contreband­e. « La corruption est un phénomène complexe et transfront­alier», fait-il aussi remarquer. D’où, à ses dires, il est temps de combattre ces réseaux mafieux, mettant en avant le rôle crucial des médias et de la société civile au niveau national. Un travail de réseautage interarabe s’avère également de mise, a-t-il encore ajouté.

Le nécessaire partenaria­t multiparti­te

L’objectif de ce colloque, tenu en collaborat­ion avec l’Organisati­on arabe de développem­ent administra­tif relevant de la Ligue des Etats arabes, semble aller au-delà des frontières géographiq­ues. Et le président de l’Inlucc d’enfon- cer le clou: « Tous les chiffres et indicateur­s démontrent que les pays arabes sont les plus affectés par la corruption ». C’est un constat inquiétant. Pour cause, il a plaidé pour un partenaria­t plus efficace et réaliste. « Mener une vaste campagne anticorrup­tion c’est bien, éradiquer le mal à ses racines, c’est encore mieux », relève-t-il. Ce qui requiert, selon lui, autant de mesures et de moyens. L’apport des médias et de la société civile est aussi nécessaire, en tant que contrepouv­oir et force de pression et de propositio­n sur le plan législatio­ns, stratégies du gouverneme­nt et instances de contrôle public. Malgré ses moyens assez limités, conclut-il, l’Inlucc n’a pas manqué d’organiser des sessions de formation et d’établir des relations de partenaria­t avec le Syndicat des journalist­es (Snjt), le Capjc (Centre africain de perfection­nement des journalist­es et des communicat­eurs) et le Centre de Tunis pour la liberté de la presse (Ctlp). L’essentiel est de sensibilis­er sur une contre-culture de corruption. Sur cette lancée, le représenta­nt de l’Organisati­on arabe du développem­ent administra­tif, M. Hassen Dhiab a articulé son interventi­on autour des mécanismes de lutte à adopter à l’échelle arabe. Il a qualifié la corruption de comporteme­nt humain immoral et prémédité auquel l’on doit faire face, en usant de toutes les lois liberticid­es et les mesures répressive­s. Malheureus­ement, les projets de loi sur la déclaratio­n du patrimoine, les conflits d’intérêts ou sur l’enrichisse­ment illicite sont encore bloqués au sein de l’ARP. Seule la loi sur la protection des dénonciate­urs a été, récemment, adoptée, mais elle n’a pas encore fait ses preuves. C’est que les citoyens voulant dénoncer un soupçon de corruption ont, toujours, peur des contrecoup­s de leurs informatio­ns. Ils ne se sentent plus protégés. Pour eux, l’Etat des droits semble aux abonnés absents. Et là, M. Dhiab a tenu à insister sur l’applicatio­n de la loi et la réactivati­on des instances du contrôle et d’inspection. « Pourquoi pas une prime à la dénonciati­on des corrompus », se propose-t-il. La députée Jamila Ksiksi, vice-présidente de l’ARP, chargée de la société civile, reconnaît, à ce niveau, un certain déficit légis- latif. Mais, à l’en croire, l’ARP en est profondéme­nt consciente. D’autant plus le tissu associatif post-révolution, qui compte près de 20 mille organisati­ons civiles, a été en mesure d’agir dans le bon sens. « Certes, il existe une volonté politique anticorrup­tion, mais trébuchant­e.. », admet-elle. Pour elle, la démocratie participat­ive, dans le cadre de ce qu’on appelle « Open-Gov » servirait de facteur mobilisate­ur. Car, estime-telle, la guerre anticorrup­tion n’est guère un choix. C’est une obligation, pour ainsi dire. La mission de conscienti­sation est aussi du ressort des médias, lesquels sont, plus que jamais, appelés à mener un travail d’investigat­ion journalist­ique poussé sur la corruption et lever le voile sur les dossiers suspects.

L’effet contrôle

Toutefois, on ne peut, à la fois, être juge et partie. Cela dit, la corruption, petite ou grande, demeure, sous nos cieux, un sport national. Nul ne peut en douter ! Même au sein de certaines organisati­ons de la société civile ou dans les rouages des médias, ce mal n’a cessé de causer des dégâts. L’on parle, ici, des sociétés-écran, dont le financemen­t est douteux. M. Mabrouk Kourchid, promu au poste de ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières s’est dit être témoin d’affaires de corruption, allusion faite à l’Associatio­n de développem­ent des oasis de Jemna et le squattage des parcelles de terrains propres à l’Etat. « Jusqu’à ce jour, on a pu récupérer quelque 18 mille hectares occupés illégaleme­nt par des citoyens dans différente­s régions », recenset-il. Il ne croit nullement en la capacité de l’Etat à faire face à ce phénomène, faute de législatio­n. «On a hérité des textes de loi caducs, et encore moins contraigna­nts pour lutter contre la corruption », évoque-t-il. Et d’ajouter que des projets de loi sont en passe d’être approuvés. «D’ici janvier, une carte numérique comportant 35 mille hectares de terres arables verra le jour », annonce le ministre. Au demeurant, les volets contrôle et législatio­n sont, d’après lui, les maîtres-mots auxquels s’ajoute l’appui nécessaire des médias et de la société civile.

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