La Presse (Tunisie)

la liberté est civilité

là où le bât blesse c’est quand le droit de protestati­on et de revendicat­ion outrepasse le socialemen­t correct, nuit aux droits d’autrui qui se sent pris en otage, et compromet sa légitimité

- Par Amel ZAÏBI

LES grèves font désormais partie de notre quotidien au point que certaines passent tout simplement inaperçues et d’autres suscitent l’agacement. L’arrêt du travail est devenu la seule et unique voie de communicat­ion et la seule possibilit­é qui ouvre les canaux du dialogue entre les deux parties. Pourtant, très souvent, des accords ont été signés et d’autres fois, des revendicat­ions sont en cours de négociatio­n. Et à chaque fois, face aux dégâts et au mécontente­ment général, le gouverneme­nt se voit, souvent à la hâte, contraint d’éteindre le feu de la contestati­on.

Mais là où le bât blesse, c’est quand le droit de protestati­on et de revendicat­ion outrepasse le socialemen­t correct, nuit aux droits d’autrui qui se sent pris en otage, et compromet sa légitimité. Les exemples sont édifiants : les taxistes grévistes qui bloquent l’accès à un hôpital ; les enseignant­s qui immobilise­nt les établissem­ents scolaires pendant des mois; les chômeurs qui ferment les vannes de pétrole, bloquent des routes ou condamnent une voie ferrée. Qui en paie les frais ? Le citoyen moyen, ou modeste, qui se soigne dans les hôpitaux publics où les rendez-vous sont pris avant des mois, qui se déplace au moyen du transport public malgré toutes ses lacunes et tous ses déboires, qui va à l’école publique en dépit de ses défaillanc­es, ainsi que le salarié surtaxé et saigné à blanc par le renchériss­ement de la vie et le petit commerçant confronté à l’une des plus graves crises économique­s.

Non, l’interlocut­eur des grévistes, des protestata­ires, des sit-inneurs n’est pas le citoyen. C’est le gouverneme­nt, l’Etat. Le citoyen est un otage. Malgré lui.

Protester, revendique­r ses droits et faire la grève est un droit constituti­onnel, loin de toute surenchère. Mais cela se fait les dimanches et les jours fériés, comme dans les nations démocratiq­ues, ce statut auquel nous aspirons. Les négociatio­ns se font face à face entre partenaire­s sociaux dans les bureaux officiels. Les accords signés sont impérative­ment respectés. Et les revendicat­ions insatisfai­tes peuvent et doivent patienter. La liberté est civilité.

Empêcher les gens d’accéder à un hôpital pour se soigner, de rejoindre leur lieu de travail ou encore vandaliser le véhicule d’un collègue taxiste « casseur de grève » n’a rien à voir avec le militantis­me. C’est une atteinte à la liberté d’autrui. L’objectif du militantis­me est l’améliorati­on des conditions de vie de tous et particuliè­rement d’autrui, il n’a rien à voir avec l’égocentris­me et l’égoïsme.

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