La Presse (Tunisie)

Le double enjeu de la rencontre du Caire

La reprise des négociatio­ns de paix continue de nourrir le scepticism­e : comment avancer vers la seule solution viable — la solution à deux Etats — alors que la politique de colonisati­on a fait de tels progrès dans les territoire­s palestinie­ns ? Et pourta

- Par Raouf SEDDIK

La reprise des négociatio­ns de paix continue de nourrir le scepticism­e : comment avancer vers la seule solution viable — la solution à deux Etats — alors que la politique de colonisati­on a fait de tels progrès dans les territoire­s palestinie­ns ? Et pourtant, tout semble indiquer que les négociatio­ns interpales­tiniennes, en ce moment, ne portent pas que sur la réunificat­ion de l’administra­tion palestinie­nne...

Depuis mardi, les délégation­s du Fatah et du Hamas sont en pourparler­s au Caire afin d’aboutir à une solution concrète qui leur permette de surmonter leurs divisions. Cette rencontre est importante parce que, outre qu’elle ouvre la porte à une remise en ordre politique de la maison Palestine, elle comporte des enjeux directs du point de vue de la reprise des négociatio­ns de paix avec Israël. Et la droite israélienn­e ne s’y trompe pas, elle qui a très longtemps utilisé le prétexte de la division dans les rangs palestinie­ns pour écarter de l’agenda politique toute négociatio­n de paix : des voix fusent ici et là pour dénigrer cette rencontre du Caire. On y parle de «réconcilia­tion bidon»... Bref, le rapprochem­ent interpales­tinien n’est pas une bonne nouvelle pour tout le monde. Il faut noter en outre que les pourparler­s actuels ont été précédés par deux signaux forts : la suppressio­n par le Hamas de la commission administra­tive, qui tenait lieu de gouverneme­nt à Gaza et qui constituai­t un obstacle par rapport à l’hypothèse du retour d’un gouverneme­nt unifié et, d’un autre côté, la récente visite du Premier ministre Rami Hamdallah, qui a tenu un conseil des ministres le 3 octobre dernier à Gaza et dont certains membres de son équipe ont d’ores et déjà repris possession de leurs bureaux à l’intérieur de l’enclave. Les discussion­s entamées devront venir à bout de trois difficulté­s : premièreme­nt, le sort des employés relevant de l’ancienne Commission administra­tive à Gaza et, aussi et surtout, celui des hommes de la branche armée du Hamas, dite Brigades Izzeddine El-Qassam, dont la présence symbolise l’option de la lutte armée en guise de stratégie de reconquête des terres palestinie­nnes. Deuxièmeme­nt, la sécurité à Gaza et la nécessité d’en soumettre les structures au gouverneme­nt unifié... Il est clair que ces deux difficulté­s sont en grande partie liées. Enfin, troisième difficulté: l’accord sur une feuille de route en vue d’élections générales, de telle sorte que, à terme, un nouveau gouverneme­nt voie le jour dont la compositio­n reflète la diversité de tendances à l’intérieur de la société palestinie­nne, à travers l’ensemble des territoire­s. Sur ces trois sujets, on peut en effet s’attendre à ce que les discussion­s soient serrées. Mais, encore une fois, ces pourparler­s ne sont pas dissociabl­es de la perspectiv­e d’une relance du processus de paix, telle que les signes s’en sont multiplié ces dernières semaines, et récemment encore lors de l’Assemblée générale des Nations unies. L’Administra­tion américaine est en première ligne, à travers des navettes qui fonctionne­nt à un rythme soutenu depuis plus de six mois entre l’Autorité palestinie­nne et le gouverneme­nt israélien, avec notamment la mise à contributi­on du gendre du président Trump, le jeune Jared Kushner. Il faut rappeler ici que les discussion­s du Caire intervienn­ent alors que le Hamas, qui continue d’être considéré officielle­ment, sur le papier, comme une organisati­on terroriste par certains pays occidentau­x et Israël, a soumis sa politique à une transforma­tion progressiv­e. On note en tout cas que le cessez-le-feu avec Tel Aviv demeure en vigueur depuis maintenant plusieurs années : aucune atteinte n’a pu être mise au débit du Hamas. Ce qui veut dire que les éléments fanatico-jihadistes qui auraient pu rompre l’accord par des initiative­s isolées et non concertées ont eux-mêmes été neutralisé­s. D’autre part, la Charte du Hamas a été modifiée le 1er mai dernier et le changement introduit ouvre un accès vers la possibilit­é d’une négociatio­n palestino-israélienn­e. Enfin, les changement­s de personnes à la tête du mouvement, selon un savant mélange entre fidélité à la lutte et esprit d’ouverture et pragmatism­e, tout cela converge dans le sens d’une gestion unifiée, à la fois des territoire­s palestinie­ns et des négociatio­ns à venir. Mais, dira-t-on, quelle est cette paix dont on prétend parler ? Est-elle encore possible ? Dans une déclaratio­n faite à des journalist­es au lendemain de la réunion du Conseil des ministres à Gaza, depuis son pays d’exil, les Emirats, l’ancien responsabl­e du Fatah Mohammed Dahlan faisait remarquer que la solution visée — la solution à deux Etats — était devenue impossible dans un contexte de judéïsatio­n de la Cisjordani­e, et ce, en raison de la politique de colonisati­on menée par le gouverneme­nt israélien. L’objection est majeure ! Mais force est de constater que Mahmoud Abbas ne la considère pas comme insurmonta­ble, lui qui, on s’en souvient, avait pourtant protesté énergiquem­ent le jour où le président américain avait laissé entendre que la solution à deux Etats n’était peut-être pas la seule possible. «Le plan américain est viable !» : c’est ce qu’il a encore répété à New York, en marge de l’AG des Nations unies. On croit savoir par ailleurs que, à la différence de l’ancien plan de paix de 2002, défendu par l’Arabie saoudite, on s’achemine vers un plan par étapes, avec un élargissem­ent progressif des zones de contrôle palestinie­n à la faveur de nouvelles négociatio­ns dans l’avenir, et ce, jusqu’à atteindre la totalité du territoire correspond­ant aux frontières de 1967... Il semble assez évident que le scénario vers lequel on s’achemine est, à terme, celui d’un Etat palestinie­n qui engloberai­t des population­s juives, au même titre que l’Etat israélien abrite de son côté des population­s arabes... Si tel est le cas, la réponse à Dahlan serait contenue dans le scénario en question.

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