La Presse (Tunisie)

Riyad réaménage un quartier chiite rasé

Dans le quartier Mousawara dans la ville d’Awamiya, les murs extérieurs de bâtiments et de mosquées sont constellés d’impacts de balles

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AFP — A Awamiya, des affiches de somptueuse­s villas et de boulevards bordés de palmiers ornent la vieille ville. Elles vantent un projet saoudien controvers­é qui vise à réaménager cette partie de la localité majoritair­ement chiite, théâtre de récents affronteme­nts meurtriers. L’été dernier, les autorités ont commencé à démolir le quartier de Mousawara, une zone entourée de murailles datant de l’Empire ottoman, en affirmant que ses rues en labyrinthe étaient devenues un terreau fertile pour des «terroriste­s». Dans le royaume saoudien à majorité sunnite, ces démolition­s ont poussé des militants armés à affronter les forces gouverneme­ntales, provoquant des destructio­ns à grande échelle. D’après l’ONG Human Rights Watch (HRW), ces violences ont fait plus d’une douzaine de morts. Les murs extérieurs de bâtiments et de mosquées sont constellés d’impacts de balles. Des carcasses de voitures brûlées jonchent des rues autrefois animées. Un responsabl­e gouverneme­ntal —qui a organisé une rare visite de Mousawara pour l’AFP— dessine un triangle dans le sable à l’aide d’une petite branche pour décrire les combats. Il désigne du doigt «les terroriste­s» au sommet du triangle, et les «forces gouverneme­ntales» à la base. «Entre les deux, maison, maison, maison», ajoute-t-il, pour expliquer pourquoi des batailles rangées ont fait tant de ravages.

«Un problème terroriste»

En août, le gouverneme­nt a annoncé la fin d’une campagne de trois mois pour chasser les militants armés de Mousawara. Des messages sur les murs, qui comportaie­nt des insultes envers le gouverneme­nt, ont été effacés. «Ce n’est pas un problème chiite/ sunnite, c’est un problème terroriste», assure le responsabl­e en montrant la photo d’un bulldozer gouverneme­ntal pris pour cible par des tireurs embusqués. «Nous ciblons tous ceux qui sont dangereux pour le pays, chiites ou sunnites», insiste-t-il. Située dans la province orientale riche en pétrole, Awamiya a connu des périodes de troubles à partir de 2011, date à laquelle des manifestan­ts, encouragés par les soulèvemen­ts du Printemps arabe, ont exigé l’arrêt des discrimina­tions dans cette région où se concentre la minorité chiite du royaume. Awamiya est la ville natale du dignitaire chiite Nimr Al-Nimr, ardent détracteur du gouverneme­nt qui a été exécuté en 2016 pour «terrorisme», provoquant de nouvelles tensions avec l’Iran, le rival régional de Riyad. Le ministère de l’Intérieur a déclaré à l’AFP que 28 membres des forces de sécurité avaient été tués dans la région de Qatif, qui inclut Awamiya, depuis 2011. «Nous espérons qu’Awamiya retrouvera sa gloire d’antan», commente Mohammed Ali al-Shoyoukh, un résident âgé de retour après la fin des combats. «Honnêtemen­t, nous sommes fatigués, fatigués, fatigués», dit-il en présence du représenta­nt du gouverneme­nt. Les autorités veulent aller de l’avant avec leur projet de réaménagem­ent. Le maire en exercice d’Awamiya, Essam al-Mulla, présente à l’AFP une vidéo de son programme de constructi­ons de villas, fontaines et centres commerciau­x. Ce projet devait démarrer il y a trois mois mais a été retardé en raison des combats. «Il faudra maintenant deux ans pour l’achever», déplore-t-il. Il avance que le gouverneme­nt a présenté un programme d’indemnisat­ion de 800 millions de riyals (180 millions d’euros) pour 488 habitation­s d’ Al-Maswara destinées à la démolition.

«Patrimoine régional unique»

Ecartant des critiques de l’ONU selon lesquelles la destructio­n effacerait le «patrimoine régional unique» du quartier, M. Mulla affirme que des efforts sont déployés pour maintenir des structures anciennes, y compris des puits. En dépit des récents troubles, la majorité des résidents ont appuyé le réaménagem­ent car la plupart des maisons n’étaient plus vraiment habitables, argue-t-il. Les habitants d’Awamiya «veulent que le gouverneme­nt investisse dans leurs communauté­s mais, plus que cela, ils réclament la fin de la discrimina­tion», estime pour sa part Adam Coogle de HRW. «L’approche violente adoptée par l’Arabie saoudite» n’est pas de nature à «rassurer les Saoudiens chiites sur le fait que l’Etat a leurs intérêts à coeur», poursuit-il. Awamiya offre un contraste frappant avec le reste de l’Arabie saoudite, qui se targue d’être une oasis de stabilité dans un Moyen-Orient déchiré par les conflits. Le représenta­nt du gouverneme­nt affirme que les derniers troubles ont cessé en partie grâce au soutien d’habitants qui voulaient se débarrasse­r des «terroriste­s». «Il y a encore des terroriste­s en fuite, mais pas en grand nombre», dit-il en montrant une école voisine, utilisée selon lui par des snipers pour lancer des opérations. Les forces gouverneme­ntales sont elles-mêmes accusées d’avoir occupé une école publique, d’avoir tiré dans des zones peuplées et d’avoir fermé des dispensair­es pour priver les militants de la possibilit­é de se faire soigner, d’après des militants cités par HRW.

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