La Presse (Tunisie)

«L’instance oeuvrera à la promotion de la culture de la transparen­ce»

- Propos recueillis par Samir DRIDI

L’année en cours a été marquée par le lancement du processus de mise en place de l’Instance d’accès à l’informatio­n avec l’élection de ses membres par l’Assemblée des représenta­nts du peuple, ainsi que la publicatio­n du décret gouverneme­ntal n°2007-918 du 17 août relatif à la nomination des membres de cette instance qui est appelée à jouer un rôle impor- tant dans la promotion et la protection du droit d’accès à l’informatio­n(DAI). Dans un entretien accordé à La Presse, son président, le juge Imed Hazgui, souligne la nécessité d’accélérer le travail à tous les niveaux pour que cette loi atteigne ses objectifs, en dépit du lourd héritage politique et culturel basé sur la rétention de l’informatio­n publique et la confidenti­alité.

L’année en cours a été marquée par le lancement du processus de mise en place de l’Instance d’accès à l’informatio­n avec l’élection de ses membres par l’Assemblée des représenta­nts du peuple, ainsi que la publicatio­n du décret gouverneme­ntal n°2007-918 du 17 août relatif à la nomination des membres de cette instance qui est appelée à jouer un rôle important dans la promotion et la protection du droit d’accès à l’informatio­n (DAI). Dans un entretien accordé à La Presse, son président, le juge Imed Hazgui, souligne la nécessité d’accélérer le travail à tous les niveaux pour que cette loi atteigne ses objectifs, en dépit du lourd héritage politique et culturel basé sur la rétention de l’informatio­n publique et la confidenti­alité.

L’année 2017 a été marquée par le lancement du processus de mise en place de l’Instance d’accès à l’informatio­n. Est-ce le début d’une nouvelle ère ? On l’espère bien. Certes, la mise en place de l’Instance d’accès à l’informatio­n en tant qu’organe indépendan­t veillant au respect d’un droit constituti­onnel qu’est le droit d’accès à l’informatio­n est quelque chose de très important du point de vue institutio­nnel, mais il n’est pas suffisant à lui seul pour parler d’un début de nouvelle ère. La reconnaiss­ance et la consécrati­on de ce droit dans les faits en tant que droit fondamenta­l de la personne humaine et en tant que préalable nécessaire à toute constructi­on démocratiq­ue nécessiten­t la mise en oeuvre de plusieurs actions afin de réussir l’implémenta­tion effective de ce droit.

Quelles sont les principale­s missions attribuées à l’Instance d’accès à l’Informatio­n? Plusieurs missions ont été attribuées à l’instance par la loi organique n° 201622 du 24 mars 2016 relative au droit d’accès à l’informatio­n. On peut les regrouper en trois missions principale­s : - La première est d’ordre juridictio­nnel. L’instance est appelée à statuer sur les recours qui lui sont soumis en cas de refus d’accès à l’informatio­n. Elle dispose à cet effet des moyens d’instructio­ns qui lui permettent de mener les investigat­ions nécessaire­s auprès des organismes concernés et d’auditionne­r toute personne dont l’audition est jugée utile. En statuant sur les recours formulés contre les décisions de refus d’accès à l’informatio­n, l’instance prend des décisions contraigna­ntes pour les organismes concernés qui sont assimilées à des jugements juridictio­nnels et qui sont susceptibl­es d’appel auprès du Tribunal administra­tif. Ces décisions sont communiqué­es aux parties et publiées sur le site web de l’instance. - La seconde mission consiste à évaluer le respect des organismes soumis aux dispositio­ns de la loi sur l’accès à l’informatio­n, de leur engagement en matière de diffusion proactive de l’informatio­n et d’évaluer périodique­ment leur consécrati­on du droit d’accès à l’informatio­n. A cet effet, l’instance prépare un rapport annuel contenant les suggestion­s et les recommanda­tions nécessaire­s à la promotion de ce droit, un rapport qui sera soumis au président de la République, au président de l’ARP et au chef du gouverneme­nt et qui sera rendu public sur le site web de l’instance. - La troisième mission principale de l’instance consiste à promouvoir la culture d’accès à l’informatio­n en coordinati­on avec les organismes soumis aux dispositio­ns de la loi et la société civile à travers des actions de sensibilis­ation et de formation destinées au public. A côté de ces missions principale­s, l’instance dispose aussi d’un rôle consultati­f qui consiste à émettre obligatoir­ement un avis sur les projets de loi et les textes réglementa­ires ayant un lien avec le domaine d’accès à l’informatio­n. Elle est chargée aussi d’échanger les expérience­s et l’expertise avec ses homologues étrangers et les organisati­ons internatio­nales spécialisé­es et de conclure des convention­s de coopératio­n dans ce domaine.

Quel est l’état des lieux de l’accès à l’informatio­n en Tunisie ? Le droit d’accès à l’informatio­n, en tant que droit fondamenta­l de l’individu et de la collectivi­té, est de chercher à savoir et de faire savoir ce qui se passe dans la vie publique. Il n’a été consacré en droit tunisien d’une manière claire et nette qu’en 2011 avec la promulgati­on du décret-loi n°41 du 26 mai 2011 relatif à l’accès aux documents administra­tifs qui fut l’un des textes les plus importants à être promulgués après la révolution en matière de droits et libertés publiques et qui a symbolisé la volonté de voir émerger un nouveau modèle de gouvernanc­e basé sur la transparen­ce des pouvoirs publics. En applicatio­n de ce texte, la plupart des organismes publics soumis aux dispositio­ns du décret-loi ont déployé des efforts plus ou moins réussis pour mettre en oeuvre ce nouveau droit, que ce soit à travers la divulgatio­n proactive des documents en procédant à la création des sites web et leur actualisat­ion, ou à travers la nomination des chargés d’accès à l’informatio­n au sein de leurs structures, ou encore à travers les efforts entrepris dans le domaine de l’administra­tion électroniq­ue, mais cela reste insuffisan­t et beaucoup de travail nous attend dans ce domaine. L’adhésion de la Tunisie en janvier 2014 à «l’Open government partnershi­p» (OGP) a contribué aussi à la promotion de ce droit par l’inscriptio­n dans les plans d’action nationaux de certains engagement­s visant à mettre en applicatio­n le droit d’accès à l’informatio­n. La Constituti­on tunisienne du 27 janvier 2014 a élevé ce droit à un rang constituti­onnel en stipulant dans son article 32 que l’Etat garantit le droit d’accès à l’informatio­n. En mars 2016, une nouvelle loi relative à l’accès à l’informatio­n a été adoptée par le Parlement, à savoir la loi organique n°22 du 24 mars 2016 qui a élargi le champ d’applicatio­n de la législatio­n relative à l’accès, en soumettant aux dispositio­ns de la loi, en plus du pouvoir exécutif avec ses différente­s ramificati­ons, le pouvoir législatif, les instances judiciaire­s et constituti­onnelles, les instances publiques indépendan­tes, les instances de régulation, tous les organismes bénéfician­t d’un financemen­t public et même les personnes de droit privé chargées de la gestion d’un service public. Elle a aussi limité les exceptions au droit d’accès et renforcé les garanties institutio­nnelles pour l’exercice effectif de ce droit à travers la création de l’instance nationale d’accès à l’informatio­n. De l’avis des experts, cette loi fait partie des meilleures législatio­ns au monde en la matière, mais les textes ne suffisent pas à eux seuls pour changer la réalité et ancrer les principes de transparen­ce et de redevabili­té sociale. Il faut beaucoup de travail à tous les niveaux: administra­tion, médias, société civile, instance... pour que cette loi réussisse à réaliser ses objectifs, d’autant plus qu’on a un lourd héritage politique et culturel basé sur la rétention de l’informatio­n publique et la confidenti­alité.

Quelles sont les actions prioritair­es pour les années à venir? Les actions sont multiples et doivent être menées en même temps. Il s’agit en premier lieu de mettre en place des actions de sensibilis­ation et de communicat­ion pour promouvoir la culture d’accès à l’informatio­n et la transparen­ce, non seulement au niveau des structures publiques, mais aussi et surtout au niveau de la société civile et des médias, car le citoyen tunisien n’est pas encore conscient de l’importance de ce droit garanti par la Constituti­on et de son impact sur l’améliorati­on de la qualité des services publics ainsi que sur l’exercice effectif de sa citoyennet­é. Nos actions vont aussi s’orienter vers l’améliorati­on de l’environnem­ent régissant l’accès à l’informatio­n en partenaria­t avec les organismes publics et les organisati­ons de la société civile, en mettant en place une plateforme d’accès à l’informatio­n qui permettra au citoyen de demander l’informatio­n d’une manière simple et rapide et de traiter sa demande par les organismes publics d’une manière efficace et dans des délais brefs avant de recourir à l’instance. On va aussi s’assurer de la mise en place des sites web des organismes publics et de leur actualisat­ion, de l’améliorati­on des systèmes de gestion, de la classifica­tion des documents au niveau des structures publiques, ainsi que du développem­ent de leurs infrastruc­tures et la formation de leurs agents en matière de production, de gestion et de publicatio­n des informatio­ns.

Quels sont les principaux défis et besoins en matière d’implémenta­tion effective du DAI ? Les défis sont nombreux, certains sont d’ordre culturel liés à l’absence de la mentalité de transparen­ce et de la culture du partage de l’informatio­n dans les organismes publics, ainsi qu’à l’absence d’évocation de ce droit dans les débats publics. D’autres sont d’ordre logistique et matériel dus principale­ment au manque de moyens humains et informatiq­ues nécessaire­s, surtout au niveau des régions. En effet, la publicatio­n proactive suppose l’existence d’un site internet spécifique afin de pouvoir publier les informatio­ns. Si au niveau central, cela ne semble pas poser problème, il en est autrement au niveau des régions et des collectivi­tés locales qui, pour une grande majorité, ne disposent pas de sites, et même quand les sites existent, on constate des défaillanc­es au niveau de la publicatio­n et de l’actualisat­ion des données. Un autre défi est aussi lié au faible niveau de numérisati­on des documents au sein des organismes publics. Une grande quantité de données et d’informatio­ns restent encore sous format papier, ce qui entrave leur publicatio­n. D’autres défis sont liés à l’absence de classifica­tion des documents et la mauvaise circulatio­n de l’informatio­n au sein même des organismes publics. Tous ces défis nécessiten­t un grand travail pour renforcer les capacités des différents acteurs intervenan­t dans l’implémenta­tion du DAI, non seulement au niveau des organismes publics, mais aussi au niveau des médias qui doivent s’impliquer davantage au niveau national et régional dans la promotion de ce droit et la familiaris­ation de son utilisatio­n, ainsi qu’au niveau de la société civile qui doit favoriser la compréhens­ion de ce droit par le public et inciter les citoyens et les associatio­ns à exercer leur droit à l’informatio­n, et développer des initiative­s autour de ce droit.

Le respect de la vie privée constituet-il un obstacle légal à l’exercice du droit d’accès à l’informatio­n ? L’accès à l’informatio­n ne doit en aucun cas porter atteinte à la vie privée des gens. Les finalités principale­s de l’accès à l’informatio­n consistent à favoriser les principes de transparen­ce et de reddition des comptes dans la gestion des services publics et le renforceme­nt de la participat­ion des citoyens dans l’élaboratio­n, le suivi et l’évaluation des politiques publiques, ainsi que la lutte contre la corruption à travers la promotion d’une gouvernanc­e ouverte et non pas de s’ingérer dans la vie privée des gens. D’ailleurs, parmi les exceptions au droit d’accès à l’informatio­n prévues par la loi organique n°22 du 24 mars 2016 figurent les droits des tiers quant à la protection de leur vie privée, leurs données personnell­es et leur propriété intellectu­elle.

Dans quelle mesure l’instance pourrat-elle contribuer à favoriser le respect des droits humains, la bonne gouvernanc­e et la lutte contre la corruption ? L’instance est d’abord le garant juridictio­nnel de l’exercice du droit d’accès à l’informatio­n qui est un droit constituti­onnel, comme je viens de le souligner. En effet, tout citoyen à qui on refuse l’accès à une informatio­n a le droit d’introduire un recours auprès de l’instance qui examine le bien-fondé du refus et statue sur le recours dans de brefs délais par un jugement qui est contraigna­nt pour l’organisme concerné. L’instance va contribuer aussi à la promotion de la bonne gouvernanc­e et la lutte contre la corruption à travers le contrôle qu’elle va exercer sur les organismes soumis aux dispositio­ns de la loi portant sur le respect de leur engagement en matière de publicatio­n spontanée ou proactive de l’informatio­n. Elle va aussi jouer un rôle important dans la diffusion et la promotion de la culture de la transparen­ce comme pierre angulaire indispensa­ble à la transition démocratiq­ue et à l’établissem­ent de l’Etat de droit en Tunisie.

La célébratio­n de la Journée internatio­nale du droit de l’accès universel à l’informatio­n le 25 septembre dernier fut l’occasion pour le lancement du nouveau projet DAI/Unesco pour la Tunisie, avec l’appui de la coopératio­n suisse. Quels sont les objectifs de ce projet ? L’Unesco a réalisé en 2016 une étude très intéressan­te qui a permis de dresser un état des lieux sur l’accès à l’informatio­n en Tunisie et qui a permis entre autres de déceler les difficulté­s et les obstacles perçus par les différents acteurs impliqués dans l’implémenta­tion du DAI, l’objectif principal de ce projet est de contribuer à la promotion de ce droit par le renforceme­nt des capacités des acteurs sus-indiqués. La loi organique n°22 du 24 mars 2016 a élargi le champ d’applicatio­n de la législatio­n relative à l’accès, en soumettant aux dispositio­ns de la loi, en plus du pouvoir exécutif avec ses différente­s ramificati­ons, le pouvoir législatif, les instances judiciaire­s et constituti­onnelles, les instances publiques indépendan­tes, les instances de régulation, tous les organismes bénéfician­t d’un financemen­t public et même les personnes de droit privé chargées de gestion d’un service public

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