La Presse (Tunisie)

Réformer tout en douceur

Taoufik Rajhi : « Il y aura sans doute en 2018 des négociatio­ns salariales, mais ces négociatio­ns ne se feront plus jamais comme pendant les dernières années, prévient le ministre-délégué. Toute négociatio­n devra désormais être basée sur des critères obje

- Karim BEN SAID

Taoufik Rajhi : « Il y aura sans doute en 2018 des négociatio­ns salariales, mais ces négociatio­ns ne se feront plus jamais comme pendant les dernières années, prévient le ministre-délégué. Toute négociatio­n devra désormais être basée sur des critères objectifs de productivi­té et par rapport au surcroît de croissance »

“Alumni Ihec”, l’associatio­n des anciens de la prestigieu­se école de commerce a organisé hier une matinée autour des ”grandes réformes et les voies de sortie de la crise des finances publiques”. Vaste sujet s’il en est mais la qualité du panel choisi a permis à la rencontre de ne pas être une de plus. Certains le disent architecte de la loi de finances, Taoufik Rajhi, ministre-conseiller auprès du chef du gouverneme­nt, chargé des Grandes Réformes, a martelé son message en défendant, malgré la critique, le texte qui doit être très bientôt débattu à l’Assemblée. “Je crois que ce projet de loi de finances est une bonne chose pour la Tunisie, faites-nous confiance”, a-t-il répété devant un public averti composé d’entreprene­urs et de hauts cadres. Le ministre a d’emblée refusé de concéder aux détracteur­s du projet un quelconque rafistolag­e. Selon lui, le projet vise à trouver des solutions aux défis que rencontre la Tunisie depuis 2011. Il considère que le projet de loi de finances 2018 est bon pour la consolidat­ion budgétaire certes, mais qu’au même moment, le gouverneme­nt a tenu à ce que les mesures fiscales soient essentiell­ement des taxes indirectes. Après avoir rappelé la crise des caisses sociales et notamment la Cnrps dont le déficit en 2019 pourrait s’élever à 974 millions de dinars, le ministre délégué s’est dit fier d’avoir proposé la contributi­on sociale généralisé­e (CSG) de 1% qui touche l’ensemble des revenus imposables. “La hausse des cotisation­s et l’élévation de l’âge légal de départ à la retraite ne suffiront pas à résoudre le problème des caisses, a-t-il déclaré. Nous aurons toujours un déficit de 20 à 30%, c’est pour cette raison que nous devons les renflouer grâce à la diversific­ation des sources de financemen­t”. Rajhi estime que cette mesure décriée est absolument négligeabl­e devant le cadeau fiscal accordé depuis 2017 aux salariés. Pour un salarié qui aurait gagné 45 dinars en pouvoir d’achat avec ce “cadeau”, la CSG ne serait que de l’ordre de 4 dinars. Considérée comme “la bête noire” des finances publiques, la masse salariale plombe selon lui le budget au détriment du titre 2, à savoir les investisse­ments et les dépenses de développem­ent. A 15,4% du total des dépenses (c’est plus que dans les pays scandinave­s), la masse salariale est le casse-tête majeur de tout gouverneme­nt. Le gouverneme­nt de Youssef Chahed entend clairement juguler cette masse salariale “tout en respectant les engagement­s et accords signés avec les partenaire­s sociaux”, rassure Taoufik Rajhi. L’idée est de faire en sorte d’éviter toute hausse salariale, en la remplaçant par des “crédits d’impôts”. “Il y aura sans doute en 2018, des négociatio­ns salariales, mais ces négociatio­ns ne se feront plus jamais comme pendant les dernières années, prévient le ministredé­légué. Toute négociatio­n devra désormais être basée sur des critères objectifs de productivi­té et par rapport au surcroît de croissance”. Par surcroît de croissance, Rajhi entend les points de croissance réalisés en plus du taux de croissance prévu par la loi de finances. .D’un autre côté, le ministre chargé des Grandes Réformes annonce le non-remplaceme­nt d’un fonctionna­ire sur 4, ce qui, en quelques années permettra de “dégraisser le mammouth” (pour reprendre l’expression de Claude Allègre ancien ministre français de l’Education nationale). “Le programme de retraite anticipée a également été une réussite, puisque nous avons jusqu’à présent reçu 6.000 dossiers, a-t-il dit. Pour ceux qui sont encore loin de l’âge légal de départ à la retraite, nous proposons un programme de départ volontaire, avec une indemnité de trois ans”. Autre sujet qui donne du fil à retordre au gouverneme­nt de Youssef Chahed, c’est celui de la Caisse de compensati­on qui, non seulement coûte à l’Etat 1605 millions de dinars (2,3% d’augmentati­on depuis 2010), mais qui en plus ne bénéficie pas toujours à ceux pour qui elle a été créée (Selon l’Institut tunisien des Etudes Stratégiqu­es (Ites) les ménages pauvres ne profitent que de 12,2% des subvention­s). L’une des mesures proposée dans le projet de loi de finances est une taxe de 3 dinars par nuit sur toute personne de plus de 12 ans résidant dans un hôtel. A en croire Taoufik Rajhi, les trois dinars (ce qui revient à peu près à un euro) servent à récupérer une partie des subvention­s de l’Etat, vu que les résidents des hôtels consomment des produits subvention­nés.

Montrer le cap

Ancien ministre et, dit-on, auteur du programme économique du parti Nida Tounès, Mahmoud Ben Romdhane a pourtant dressé un portrait très sombre de l’économie tunisienne, en disant, les yeux dans les yeux à Taoufik Rajhi, que le projet de loi de finances n’est pas du tout adapté au contexte et qu’il a été “confection­né à la hâte”. “Il n’est pas normal qu’un gouverneme­nt élu fonctionne de cette manière”, a-t-il tenu à dire. Selon lui, le projet de loi de finances de 2018 cherche simplement à équilibrer les recettes et les dépenses sans aucune vision même à court terme, pour 2019. S’il est d’accord sur la nécessité d’alléger les effectifs de l’administra­tion et des entreprise­s publiques, Mahmoud Ben Romdhane pose un bémol: “Dans ce cas, il faudrait que le secteur privé prenne le relais, il faudrait qu’il puisse créer au moins 50000 emplois par an, or, je ne vois pas dans cette loi de finances des mesures qui donnent du courage au secteur privé”. Ben Romdhane recommande aussi à Taoufik Rajhi et au gouverneme­nt de montrer le cap à des citoyens qui ne peuvent pas indéfinime­nt faire des sacrifices sans en voir le résultat. “Prenons la sécurité sociale par exemple, au lieu de dire que nous allons vous demander des efforts pour combler le déficit, il faudrait dire aux citoyens: nous vous pro- posons un nouveau modèle social et voilà comment nous allons procéder”. De son côté, Habib Karaouli, PDG de la Banque d’affaires de Tunisie (BAT), a critiqué l’absence de “méthode” dans l’élaboratio­n d’une loi de finances qui ne propose que des ajustement­s et pas de réelles réformes. Habib Karaouli critique également des mesures fiscales inadaptées au contexte “La première vocation de la fiscalité est de réorganise­r la redistribu­tion, de soutenir l’épargne et l’investisse­ment et non pas de rééquilibr­er les comptes, affirme-til. La politique budgétaire doit être contracycl­ique, c’est à dire faire en sorte d’améliorer les finances publiques, quand la croissance est forte”. Plusieurs intervenan­ts parmi le public ont, quant à eux, mis l’accent sur la nécessité d’être vigilant quant à l’impact de la hausse de la TVA sur l’inflation. Selon l’un des intervenan­ts, lorsque la TVA augmente de 1%, les prix des produits vont augmenter de plus de 1%. Dans quelques semaines, le ministre des Finances Ridha Chalghoum, devra défendre au parlement un projet qui fâche à la fois le patronat et les salariés, mais la marge de manoeuvre est réduite et surtout périlleuse. Jusque-là, la croissance était tirée essentiell­ement par la consommati­on. Les mesures proposées risquent de réduire la consommati­on, mais en face, rien ne semble indiquer que l’épargne et l’investisse­ment vont rebondir.

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