La Presse (Tunisie)

Une éruption volcanique géante a-t-elle eu raison de l’Ancienne Égypte ?

Une équipe d’historiens a récemment établi un lien entre les éruptions volcanique­s passées, dont les preuves sont gravées dans les carottes de glace, et les variations saisonnièr­es des inondation­s du Nil, arguant que cette perturbati­on du «sang égyptien»

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Changement­s climatique­s et bouleverse­ments sociaux vont souvent de pair, entraînant des changement­s spectacula­ires dans la politique et l’économie qui peuvent ainsi entraîner des civilisati­ons entières à leur perte. Cette nouvelle suggère ici que des éruptions massives de l’autre côté de la planète et dont les traces ont été retrouvées dans des carottes glaciaires auraient perturbé l’écoulement du Nil en refroidiss­ant l’atmosphère de la planète. Dans l’Antiquité, cela aurait alors entraîné des pénuries alimentair­es et accru les tensions politiques déjà existantes dans la région. Le Nil est aujourd’hui célèbre pour être le plus long fleuve du monde, mais pour les anciens Égyptiens, il était le centre de tout.

Quand la crue du Nil était bonne, la vallée était l’un des endroits les plus productifs du monde

Durant cette période, les agriculteu­rs égyptiens dépendaien­t en effet de l’inondation annuelle du Nil de juillet à septembre pour irriguer leurs champs de céréales et ils avaient inventé des systèmes de canaux et de barrages pour stocker le débordemen­t de la rivière. «Quand la crue du Nil était bonne, la vallée était l’un des endroits les plus productifs du monde» , explique Francis Ludlow, historien du climat au Trinity College de Dublin et coauteur de l’étude. «Mais la rivière était également sujette à un niveau élevé de variations». Il arrivait en effet parfois que le Nil ne débordait pas suffisamme­nt pour inonder les terres. Les archives historique­s suggèrent par exemple qu’une pénurie de céréales et les troubles qui suivirent étaient à l’origine du retour de Ptolémée III en Égypte, vers 245 av. J.-C. Selon les chercheurs, une éruption géante suivie d’une réaction en chaîne aurait ainsi perturbé l’écoulement du Nil, précipitan­t ensuite le retour du souverain. Les cendres et les particules de soufre peuvent en effet former des aérosols qui se dispersent dans la stratosphè­re, reflétant ensuite la lumière du soleil de manière à influencer les températur­es et les précipitat­ions. Ainsi, le Nil était sujet aux perturbati­ons et les éruptions volcanique­s survenues ailleurs dans le monde seraient ici pointées du doigt. Les chercheurs se sont ici tournés vers des simulation­s informatiq­ues s’appuyant sur les archives du Nil dans lesquels sont inscrits les différents niveaux saisonnier­s du fleuve depuis le début du VIIe siècle. L’équipe a ensuite remarqué que les « mauvaises années », autrement dit lorsque le fleuve ne débordait pas, s’alignaient avec les principale­s éruptions volcanique­s survenues à cette époque. À la lecture de ces résultats, les chercheurs suggèrent que lorsque les volcans explosent, le Nil a tendance à rester calme. L’équipe a ensuite creusé plus loin pour voir si cela pourrait avoir un impact sur la société égyptienne à l’époque ptolémaïqu­e, riche en papyrus et autres documents écrits. Encore une fois, les échéances ont été les mêmes : les éruptions volcanique­s ont précédé de nombreux événements politiques et économique­s importants qui ont touché l’Égypte (cela inclut le retour de Ptolémée III, juste après une éruption majeure enregistré­e en 247 BCE). Vers 44 av. J.-C., sous le règne de la reine Cléopâtre VII, une éruption volcanique, particuliè­rement sévère ailleurs dans le monde, aurait notamment projeté un gigantesqu­e panache de cendres et de gaz chauds dans l’atmosphère, perturbant ainsi les moussons et entraînant par la suite des famines.

Une agitation sociale aura certaineme­nt précipité la Reine Cléopâtre à quitter la scène.

La domination de Cléopâtre était déjà bancale à cette époque, mais elle ne fut nullement aidée par une pénurie alimentair­e qui bouleversa l’économie et contribua à lisser le chemin de la famine, de la peste et de la mort lorsque les paysans envahirent les villes. En fin de compte, cette agitation sociale aura certaineme­nt précipité la Reine à quitter la scène. Les spécialist­es soulignent que les éruptions volcanique­s n’ont pas provoqué elles-mêmes ces bouleverse­ments, mais elles ont «très probableme­nt alimenté les tensions économique­s, politiques et ethniques existantes». Ces résultats pourraient également concerner les population­s modernes. À l’heure actuelle, l’Éthiopie est en train de construire un barrage gigantesqu­e sur le Nil Bleu. Les tensions sont déjà élevées avec l’Égypte qui s’inquiète maintenant de la façon dont les ressources en eau de la rivière seront distribuée­s. «Un changement soudain de climat tel qu’une éruption volcanique pourrait rendre ces querelles politiques déjà lourdes encore plus lourdes» .

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Les spécialist­es soulignent que les éruptions volcanique­s n’ont pas provoqué elles-mêmes ces bouleverse­ments, mais elles ont « très probableme­nt alimenté les tensions économique­s, politiques et ethniques existantes ».

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