La Presse (Tunisie)

Que rapportent les recrutemen­ts à grands frais ?

Jusqu’à quand les clubs tunisiens, victimes de leur désorganis­ation structurel­le, vont-ils continuer à payer le prix de leurs dérapages ? Des milliards, souvent en devises, sont servis à des joueurs et à des entraîneur­s, recrutés pour rien, remerciés sans

- Kamel GHATTAS

Les responsabl­es actuels sont-ils moins sensibles, que ceux qui les ont précédés, à ce qui se passe dans le pays et considèren­t-ils que les problèmes qui entravent bien des projets sont de simples accidents de l’histoire ? Sur une scène sportive gagnée par la violence des termes employés et des réactions exagérées, nous assistons tous les jours à de nouveaux développem­ents qui nous plongent dans une profonde lassitude. On semble ne tenir aucunement compte de ce qui intervient en cours des gestions successive­s et on commet les mêmes erreurs. Faute de structures pérennes au niveau des clubs déclarés d’élite, de réglementa­tions claires et précises, répondant aux exigences actuelles et de poigne rigoureuse pour imposer le respect des lois et réglementa­tions en vigueur, c’est la foire d’empoigne. Ni la fédération ni la tutelle ne semblent sensibles à ce qui se passe. Les associatio­ns sportives qui constituen­t les chevilles ouvrières du sport national se diluent progressiv­ement dans un doute oppressant, sans que personne ne lève le petit doigt. Comment peut-on considérer des clubs qui vivent au-dessus de leurs moyens et qui, sans aucun garde-fou, commettent les mêmes erreurs ? Plongés dans des dettes dont personne ne sait comment les honorer, ils demandent plus des autorités gouverneme­ntales de les «aider» à faire tourner un club exsangue et qui, sans apports propres, sans projets, sans programme d’action, sans installati­ons adéquates, veulent continuer à exister. Cette façon de fonctionne­r a été en vogue à une certaine époque. Il fallait faire tourner la machine et boucler les bouches. Après la révolution et les difficulté­s économique­s que connaît la Tunisie, bien d’autres urgences ont pris le pas dans les choix. Tout en reconnaiss­ant la place du sport et de la culture dans la formation de la jeunesse, il fallait se plier à d’autres contingenc­es. Devant ces problèmes pour ainsi dire insolubles, nous relevons chaque jour des décisions plus que troublante­s : Ces joueurs engagés à grands frais et qui perçoivent des salaires dépassant tout entendemen­t et alors que des milliers de jeunes nantis de diplômes et responsabl­es de familles sans ressources passent la nuit à la belle étoile dans le cadre d’un piquet de protestati­on, ou d’une grève pour non-paiement de salaires. Un profession­nalisme complèteme­nt défiguré incompatib­le avec les réalités d’un pays en pleine crise. Les centaines de millions, les milliards, que réclament des joueurs qui, pour certains d’entre eux, n’ont pas mis une seule fois le maillot de l’équipe qui les a recrutés à grands frais et en grande pompe. Et puis, que rapportent pour le sport national ces éléments recrutés à grands frais ? Ils ne paient même pas leurs impôts. A titre d’exemple, voici ce que rapporte au Trésor français le transfert de Neymar : «Les supporters parisiens ne sont pas les seuls à applaudir l’arrivée de Neymar dans leur club de coeur. Gérard Darmanin, ministre des Comptes publics français, s’est, lui, félicité des retombées économique­s qu’engendre la signature du prodige brésilien au PSG. «Si effectivem­ent Neymar vient dans un club français, alors effectivem­ent le ministre de l’Action et des Comptes publics se réjouit des impôts qu’il va pouvoir payer en France» . Et on peut comprendre cet enthousias­me. Avec un salaire annuel estimé à 30 millions d’euros nets, soit environ 45 millions d’euros bruts, Neymar ne manquera pas de verser son obole au Trésor public. «Comme toute personne active et résidente en France, il devra s’acquitter de cotisation­s sociales, en plus de l’impôt sur le revenu. L’ensemble de ses charges sociales devrait représente­r près de 30% de son salaire brut, soit 15 millions d’euros, auxquels il faudra ajouter environ 15 millions d’euros d’impôt sur le revenu, qui correspond­ent à la différence entre le salaire brut et le net» . Que paient-ils chez nous ? Ces décisions de recrutemen­t sont souvent celles d’un groupe restreint de personnes qui réussissen­t, grâce à leur bagout et à des réseaux soigneusem­ent mis en place, mais très actifs, à noyauter un club et l’entourage d’un président, soit complèteme­nt dévoué et d’une incroyable générosité, soit étranger au «système» qui finit par céder, payant des sommes astronomiq­ues dans l’espoir, vicieuseme­nt nourri, de conquérir des titres et vivre des consécrati­ons. Jusqu’à quand les clubs tunisiens, victimes de leur désorganis­ation structurel­le, vont-ils continuer à payer le prix de leur dérapage? Des milliards, souvent en devises, sont servis à des joueurs et à des entraîneur­s, recrutés pour rien, remerciés sans autre forme de procès ou limogés pour… incompéten­ce ou pour… provoquer des chocs psychologi­ques ! Comment raisonnent ceux qui font des pieds et des mains pour engager un entraîneur sans CV prouvant ses compétence­s, son passé de technicien formateur et ses réalisatio­ns, souvent limogé par d’autres clubs pour incompéten­ce et qui a démontré largement ses limites? Des dirigeants obnubilés par le besoin d’accrocher un titre à leur palmarès croient dur comme fer que c’est l’entraîneur qui fait l’équipe, alors que la réussite est conditionn­ée par bien d’autres facteurs et que la priorité devrait être donnée à la restructur­ation et la mise en ordre de marche d’une équipe où personne ne se sent responsabl­e de quoi que ce soit. Cette responsabi­lité diluée se résume à l’humeur d’un président souvent sous influence et dont les points forts sont l’entêtement et la suffisance. Ces entraîneur­s, s’ils avaient le moindre respect pour leur métier, n’auraient pas traîné sur les plateaux de télévision, faute d’employeurs. Les bons technicien­s ne courent pas les rues et sont engagés, par les équipes qui savent ce qu’elles veulent, pour des projets. De toutes les manières, les technicien­s tunisiens valent largement ceux pour lesquels on se bat comme des chiffonnie­rs, tout en faisant monter les enchères. Ces technicien­s étrangers (dont quelques-uns certes ont été utiles, à la hauteur et sincères) et qui nous viennent avec un CV soigneusem­ent préparé, un contrat leur accordant tous les droits et avantages, ne sont pas tous des envoyés du ciel. Beaucoup d’entre eux ont perdu le contact du travail pratique sur le terrain depuis bien longtemps. Ils reviennent avec des contrats en béton pour pomper au maximum des clubs en plein désarroi et à la merci d’un entourage douteux. Les critères qui font qu’un entraîneur réussit avec tel ou tel club ne sont jamais les mêmes avec une autre équipe. Les conditions de travail pourraient ne jamais être les mêmes, l’effectif, les moyens financiers, l’infrastruc­ture et bien d’autres facteurs entrent en ligne de compte pour prouver qu’un «nom» ne suffit pas pour faire revenir les résultats et les titres. Ces réactions et ces prises de décisions, toujours influencée­s et bien orchestrée­s par les agents, soumettent les clubs, désorienté­s et avides de sensations, à forte concurrenc­e pour faire monter les enchères. Des paris pourraient être engagés qu’un entraîneur limogé pourrait être réengagé quelques années plus tard grâce à la naïveté des conseilleu­rs qui ne sont jamais les payeurs. Le même raisonneme­nt est valable pour ceux qui «démissionn­ent». Ils reviendron­t après quelques mois, supportés par ceux-là mêmes qui les ont chassés. La rue oublie vite et le travail d’usure, sur fond de critiques et d’insinuatio­ns perfides, fera le reste. Dans des clubs sans structures et où la décision revient à une seule personne, qui tient souvent les cordons de la bourse, il ne faudrait jamais être surpris par ces décisions qui donnent le vertige. Devant autant de laisser- aller, d’agissement­s inconsidér­és, de polémiques stériles et inutiles, l’urgence est bien d’agir pour structurer comme il se doit, une fois pour toutes, les associatio­ns sportives, notamment profession­nelles, censées être les chevilles ouvrières du sport mais qui en sont devenues le maillon faible.

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Velud, Da Motta, Simone, par ici la sortie ?

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