La Presse (Tunisie)

Les autorités récoltent les terres des Rohingyas

Inquiétude­s accrues sur les possibilit­és de retour des 600.000 Rohingyas ayant fui l’Etat Rakhine suite aux violences de l’armée

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AFP — La Birmanie a commencé hier à récolter le riz sur les terres abandonnée­s en raison des violences dans l’Etat Rakhine (ouest), a-t-on appris hier auprès d’un responsabl­e local, confirmant les informatio­ns des médias étatiques, une initiative qui soulève des inquiétude­s sur les perspectiv­es de retour pour plus de 600.000 Rohingyas ayant fui cette région. La région, frontalièr­e du Bangladesh, s’est vidée depuis fin août de la plupart de ses habitants rohingyas, membres d’une minorité musulmane apatride et persécutée dans ce pays majoritair­ement bouddhiste, suite à des opérations militaires qualifiées de nettoyage ethnique par l’ONU. Des centaines de villages ont été rasés et selon l’ONU près de 603.000 Rohingyas dont quelque 60% d’enfants ont franchi la frontière vers le Bangladesh depuis fin août. Soumise à d’intenses pressions internatio­nales, la Birmanie a accepté de rapatrier des réfugiés pouvant prouver leur résidence dans l’Etat Rakhine mais les détails de ce projet restent flous. Un responsabl­e local a confirmé hier les informatio­ns des médias d’Etat selon lesquelles le gouverneme­nt a lancé la récolte de quelque 29.000 hectares de riz dans la région de Maungdaw, particuliè­rement touchée par les violences. «Nous avons commencé aujourd’hui la récolte sur les terres du village de Myo Thu Gyi», a déclaré à l’AFP Thein Wai, responsabl­e à Maungdaw du ministère de l’Agricultur­e. «Nous allons récolter des champs de paddy de Bengalis qui se sont enfuis au Bangladesh», a-til ajouté, utilisant le terme qui sert en Birmanie à désigner les Rohingyas.

«Assurer la récolte»

«Nous ne savons pas quand ces Bengalis qui se sont enfuis de l’autre côté vont revenir. C’est pourquoi nous devons assurer la récolte», a-t-il ajouté précisant qu’il ne savait pas ce que le gouverneme­nt entendait ensuite faire de ces champs. Selon le journal officiel Global New Light of Myanmar, des travailleu­rs seront ainsi convoyés en autocars depuis d’autres parties du pays. La Birmanie a rejeté les accusation­s de nettoyage ethnique et défendu son opération militaire, engagée pour riposter selon elle à une attaque de rebelles rohingyas contre des postes de police fin août qui a fait au moins une dizaine de morts. Mais les médias, des organisati­ons de défense des droits de l’Homme et l’ONU ont publié des rapports documentés sur des témoignage­s de réfugiés rohingyas faisant état d’atrocités commises par des membres birmans des forces de sécurité. Vendredi, des experts de l’ONU en matière de droits de l’Homme se sont dits «profondéme­nt perturbés» après avoir parlé à des réfugiés rohingyas au Bangladesh. Les témoignage­s entendus évoquent «des actions méthodique­s» constituan­t des «violations flagrantes des droits de l’Homme affectant des centaines de milliers de personnes», a dit Marzuki Darusman qui dirigeait la mission d’enquête. La dirigeante birmane Aung San Suu Kyi, qui n’a aucun contrôle sur la puissante armée birmane, a créé une commission pour superviser la réinstalla­tion de déplacés de l’Etat Rakhine où des dizaines de milliers de membres d’autres minorités ont également fui les violences. La constructi­on de maisons pour des minorités comme les Mro a débuté, selon les médias officiels. Mais les craintes demeurent de voir les Rohingyas oubliés, alors que la Birmanie refuse de les reconnaîtr­e formelleme­nt comme une minorité, ce qui rend quelque 1,1 million de Rohingyas apatrides.

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