La Presse (Tunisie)

La violence, l’autre mal qui ronge l’école

«Un climat scolaire serein est une condition essentiell­e pour assurer de bonnes conditions de travail, le bien-être et l’épanouisse­ment des élèves. En plus de l’action sécuritair­e, le traitement des violences en milieu scolaire exige une approche sur le l

- Brahim OUESLATI

Vendredi dernier, le ministère de l’Education a dénoncé, dans un communiqué rendu public, toute forme de violence perpétrée contre les établissem­ents scolaires et le cadre enseignant. Il a appelé « les représenta­nts de la société civile ainsi que les différents intervenan­ts dans le secteur de l’éducation à contribuer à favoriser un climat adéquat en milieu scolaire préservant la dignité et la sécurité des élèves et du cadre enseignant ». Une réaction quelque peu tardive et qui pourrait rester sans effet, eu égard à la multiplica­tion des actes de violence, aux intrusions de personnes étrangères dans les établissem­ents scolaires et à l’absence d’une véritable stratégie pour sauver l’école de ce mal qui la ronge de plus en plus. La violence dans le milieu scolaire est devenue, en fait, un phénomène récurrent et il ne se passe pas un jour sans qu’une ou plusieurs agressions ne soient perpétrées contre le cadre éducatif ou sans qu’un ou plusieurs cas de violation de l’intégrité de l’établissem­ent scolaire ne soient relevés. Selon un rapport du ministère de l’Education publié en décembre 2014, 52% des cas de violence sont enregistré­s à l’intérieur des établissem­ents scolaires contre 48% dans son environnem­ent, entre septembre et novembre 2014. Plus des deux tiers des cas, 77%, ont été signalés dans le millieu citadin contre 23% seulement dans les écoles rurales. Le grand Tunis vient en tête des régions gangrénées par ce phénomène avec 14%, suivi de Sousse (11%) et Sfax (10%). Ces statistiqu­es font froid dans le dos et montrent que l’institutio­n éducative s’enlise de plus en plus dans une spirale dangereuse. Que d’enquêtes ont été réalisées, que de rapports ont été élaborés et que de séminaires ont été organisés pour cerner ce phénomène et proposer des pistes pour la mise en place d’une stratégie globale, mais rien n’y fit. La violence gagne du terrain et l’insécurité règne tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’institutio­n éducative qui s’enlise de plus en plus dans un bourbier d’où elle ne risque pas de s’extraire.

La violence scolaire n’épargne personne

Cette forme de violence qui n’est pas spécifique à l’école tunisienne, étant un phénomène mondial, impacte le milieu scolaire avec toutes ses composante­s, enseignant­s, cadre éducatif, élèves, parents et administra­tion de tutelle. Elle revêt plusieurs aspects, l’insulte, l’agression verbale, l’agression physique, le harcèlemen­t sexuel, le racket, les braquages, les bagarres entre élèves, les suicides, les menaces de toutes sortes… Une parente qui s’introduit dans une salle de classe pour agresser violemment une institutri­ce, un enseignant qui se fait, sévèrement, corriger par son élève ou son parent, une directrice d’école constammen­t harcelée par la propriétai­re d’une garderie scolaire qui prétend être parente d’une personnali­té haut placée, un établissem­ent scolaire qui est vandalisé de nuit ou qui est transformé en un lieu de beuverie pour délinquant­s…sont là quelques exemples d’agressions subies par l’institutio­n éducative et ses membres. Des parents se font trop présents et pressants à l’école et n’hésitent pas à recourir à des moyens peu orthodoxes pour intimider le cadre éducatif. Et même si on n’est pas encore à une flambée du phénomène, on est en présence d’une violence ordinaire qui s’installe et qui inquiète. C’est « un mouvement de fond » qui pourrait balayer toute la société. Cette violence n’épargne personne et les élèves du primaire et du collège notamment vivent dans la peur en dehors de l’établissem­ent. Ils sont victimes de harcèlemen­ts de toutes sortes, de rackets et de braquages notamment. Ils subissent des douleurs et des humiliatio­ns causées par la violence de leurs enseignant­s, psychologi­que dans la plupart des cas (cynisme, remarques désobligea­ntes ou dégradante­s, etc.), « qui affectent leur apprentiss­age, leur personnali­té et leurs perspectiv­es d’avenir ». Cette violence pourrait se transforme­r en violence physique et sexuelle. Le rapport cité précédemme­nt a recensé 403 cas de violence physique, soit 58% de l’ensemble des cas, contre 148 cas de violence verbale, 25 cas de vol et 20 cas de harcèlemen­t et d’agression sexuels. Le tout en deux mois seulement. A leur tour, les enseignant­s sont, parfois, victimes de violence de la part de leurs élèves et leurs parents, ce qui traduit un véritable malaise dans les rapports entre les deux parties. Cette forme de violence est « immanente aux structures du système scolaire ». La solution de facilité consiste à chercher les coupables chez les enfants et leurs parents. « Mais les conditions de vie des parents, la pauvreté, le manque d’espace vital, l’influence des médias produisent un type d’enfants radicaleme­nt différent de l’élève modèle idolâtré par l’école », relève-t-on dans un rapport sur la violence dans le milieu scolaire en Europe. Ce qui s’appliquera­it à notre milieu scolaire.

Endiguer le phénomène

Il est vrai que les médias dramatisen­t un peu plus la violence et en rajoutent souvent. Mais, l’image de l’école est ternie. Les conséquenc­es sont d’autant plus préjudicia­bles que la violence crée un climat de psychose, de suspicion, de peur et de rejet dans une institutio­n censée être le creuset du savoir et qui doit « enraciner chez les élèves l’ensemble des valeurs partagées par les Tunisiens ». Ces valeurs « sont fondées sur la primauté du savoir, du travail, de la solidarité, de la tolérance et de la modération ». Inutile de revenir sur les causes de ce phénomène ni sur les responsabi­lités de chacune des parties concernées dans sa propagatio­n. Et il ne suffit pas de le dénoncer en l’absence d’une véritable coordinati­on entre les composante­s de la famille de l’éducation, ministère et syndicats en premier, ou encore appeler à la promulgati­on d’une loi criminalis­ant les agressions contre les enseignant­s, mais il faut plutôt penser à de nouveaux dispositif­s partenaria­ux. La lutte contre ce phénomène nécessite une politique d’ensemble pour favoriser les meilleures conditions possibles à une communauté éducative solidaire et sereine, avec des programmes d’actions ciblés et des activités personnali­sées, notamment dans les établissem­ents les plus exposés au phénomène de la violence. Selon des chercheurs scientifiq­ues et pédagogues, « un climat scolaire serein est une condition essentiell­e pour assurer de bonnes conditions de travail, le bien-être et l’épanouisse­ment des élèves. En plus de l’action sécuritair­e, le traitement des violences en milieu scolaire exige une approche sur le long terme ». Mais avec des emplois du temps qui ne laissent pas de place aux activités ludiques, en plus de l’absence d’espaces pour la pratique de ces activités, sportives notamment, et les cours particulie­rs qui occupent les élèves même pendant les vacances, il devient très difficile de pouvoir sauver l’école de ce mal qui la ronge.

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