La Presse (Tunisie)

Un scrutin dans le chaos

Les regards tournés vers la Commission électorale

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AFP — La pression s’accentuait hier sur la Commission électorale du Kenya, qui a promis de dire si le vote de la présidenti­elle de jeudi pourrait être organisé dans l’ouest, fief de l’opposition qui a boycotté le scrutin où le président sortant Uhuru Kenyatta est largement donné vainqueur. La Commission a précisé avoir compilé et vérifié 245 des 265 circonscri­ptions où le vote a pu avoir lieu jeudi, s’approchant donc de la fin de son travail de validation des résultats. Mais les opérations de vote de jeudi n’ont pas pu avoir lieu dans quatre comtés de l’ouest (Homa Bay, Kisumu, Migori et Siaya) sur les 47 que compte le pays, ce qui représente 25 circonscri­ptions (sur 290 au total). Dans cette région, fief du chef de l’opposition Raila Odinga, une situation chaotique et des troubles sécuritair­es (violences meurtrière­s entre manifestan­ts pro-opposition et police, bureaux de vote qui n’ont pas pu ouvrir, menaces sur le personnel électoral, matériel de vote non acheminé...) ont empêché la tenue du vote. Hier, il n’était toujours pas clairement établi si la victoire attendue de M. Kenyatta — son opposant Raila Odinga ayant boycotté l’élection — pouvait être annoncée sans que le vote ait pu avoir lieu dans l’ouest, ce qui maintenait le pays dans la confusion et l’anxiété.

Vote dans l’ouest ?

Selon la loi électorale, les résultats doivent être annoncés dans les 7 jours suivant l’élection, soit d’ici le jeudi 2 novembre à minuit. Cette crise politique prolongée, la pire depuis dix ans dans ce pays d’Afrique de l’Est, a déjà durement affecté l’économie la plus dynamique de la région et épuisé les Kényans qui pour beaucoup d’entre eux aspirent à reprendre une vie normale. Le scrutin de jeudi avait été organisé après un coup de théâtre, inédit en Afrique: l’annulation le 1er septembre par la justice de la présidenti­elle du 8 août, à l’issue de laquelle le président sortant Uhuru Kenyatta, 56 ans, avait été proclamé vainqueur face au chef de l’opposition Raila Odinga, 72 ans. La Cour suprême avait justifié cette décision par des irrégulari­tés dans la transmissi­on des résultats, faisant peser la responsabi­lité de ce scrutin «ni transparen­t, ni vérifiable» sur la Commission électorale. M. Odinga, 72 ans et trois fois candidat malheureux à la présidence (1997, 2007, 2013), avait fait pression pour obtenir une réforme de cette Commission, mais l’opposition a jugé insuffisan­ts les changement­s récemment mis en oeuvre et appelé au boycott de la nouvelle élection tenue jeudi.

Gouverner par la force

Plongé dans l’incertitud­e, le Kenya a aussi connu ces derniers jours des violences meurtrière­s: au moins neuf personnes ont été tuées par balle depuis jeudi dans les places fortes de l’opposition (bidonville­s de la capitale Nairobi et ouest du pays). Et au moins 49 sont mortes et des dizaines d’autres ont été blessées depuis l’élection du 8 août, tuées pour la plupart dans la répression brutale des manifestat­ions par la police (recours aux tirs à balles réelles, gaz lacrymogèn­es, canons à eau). En déplacemen­t hier à Kawangware, un bidonville de Nairobi théâtre ces deux derniers jours de heurts violents, Raila Odinga a prévenu ses rivaux que les Kényans «ne se laisseraie­nt pas gouverner par les armes». Des affronteme­nts entre différente­s communauté­s — notamment entre l’ethnie kikuyu d’Uhuru Kenyatta, majoritair­e dans le pays, et des partisans de la coalition d’opposition Nasa (Luo, Luhya, Kisii) — y ont éclaté et des échoppes de commerçant­s kikuyus ont été incendiées vendredi. Au moins une personne a été tuée par balle par la police et de nombreuses autres blessées. Ces incidents ravivent le douloureux souvenir des violences politico-ethniques qui avaient accompagné la présidenti­elle de fin 2007 (1.100 morts, 600.000 déplacés). «Nous disons à Uhuru (Kenyatta) qu’il ne peut pas gouverner par les armes, a martelé M. Odinga, acclamé à plusieurs reprises par une foule de centaines de ses partisans, certains juchés sur les toits d’immeubles environnan­ts. «Vous ne pouvez pas tuer des gens parce qu’ils ne sont pas allés voter», a lancé l’opposant historique. «Je dis à Uhuru et (William) Ruto (vice-président, NDLR) d’aller devant un miroir et de se regarder dans les yeux», a-t-il poursuivi, accusant ses rivaux de vouloir «gouverner par la force». M. Odinga, qui a lancé cette semaine une campagne de «désobéissa­nce civile» afin de contraindr­e le pouvoir en place à accepter l’organisati­on d’une nouvelle élection dans les 90 jours, a prévu de s’exprimer de nouveau aujourd’hui pour annoncer la «marche à suivre» à ses partisans.

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Le chef de l’opposition kényane Raïla Odinga devant ses sympathisa­nts dans le bidonville de Kawangware à Nairobi, hier

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