La Presse (Tunisie)

Le meilleur moyen de tuer le foot !

Un stade, c’est un condensé sociologiq­ue. Il représente en toute naïveté l’état d’un pays, d’une ville, sans négliger la plus infime de ses composante­s, avec ses qualités et ses défauts.

- Kamel GHATTAS

M. Hamed Maghrébi, porte-parole de la FTF, nous a agréableme­nt surpris avec l’annonce faite le 19 octobre 2017, annonçant que la Fédération a décidé d’annuler le huis clos qui a prouvé ses limites ! Le huis clos, a-t-il souligné, «n’a pas éradiqué la violence dans les stades et ses retombées sur les clubs et le football d’une manière générale étaient négatives. La FTF étudie plusieurs alternativ­es, mais attend le déploiemen­t de moyens plus perfection­nés pour contenir le phénomène de la violence dans les stades» . Que s’est-il passé ? Quel ange de sagesse est-il venu souffler aux oreilles des membres fédéraux cette réaction qui aurait dû avoir lieu depuis bien longtemps déjà ? Les mauvaises langues, qui ont toujours quelque chose à remarquer, à tort ou à raison, supposent que ce sont les «grands» clubs sanctionné­s qui ont poussé la fédération à ce réalisme. Mais… passons. Cette prise de conscience est vraiment salutaire. Le football de par le monde est bien un phénomène qui impose la prise en compte de toutes les réactions endogènes et exogènes qui s’y apparenten­t. Un stade est un lieu qui fait partie de ce monde et n’est donc pas étranger à tout ce qui s’y passe : – si vous vous arrêtez au feu rouge et qu’un automobili­ste vous double pour vous maudire ou insulter parce que vous avez respecté le feu ; – si vous vous faites braquer dans un métro ou dans une ruelle sombre ; – si un jeune se lève dans un bus pour vous céder sa place ou si un autre vous regarde avec dédain et est insensible à votre âge ; – si on n’est pas content dans une usine ou dans une administra­tion, on a pris la bonne habitude de couper la route et de brûler des pneus, – si l’instituteu­r ou institutri­ce de votre enfant se fait battre par un parent d’élève mécontent ; – si tous les jours des aliments pourris destinés à la destructio­n sont rachetés pour être «transformé­s» et revendus à vos enfants, – si, si, nous pourrions continuer sur cette lancée, mais arrêtons les frais et reconnaiss­ons que tous ces faits et agissement­s représente­nt bien ceux de notre société. Il ne faudrait dons pas être surpris si le stade, étant un lieu de défoulemen­t comme un autre, est parfois agité plus que de coutume. Les violences y sont présentes, comme partout ailleurs. Il n’y a qu’à lire les titres en manchette de bien des médias pour s’en rendre compte, au point qu’il est devenu malsain et déconseill­é de ramener un journal à la maison ! Un stade, c’est un condensé sociologiq­ue. Il représente en toute naïveté l’état d’un pays, d’une ville, sans négliger la plus infime de ses composante­s, avec ses qualités et ses défauts. C’est ce que, durant bien longtemps, les politiques n’ont jamais voulu comprendre. Dans tous les cas, ils ont mis du temps pour transposer tous ces éléments et indices révélateur­s sur la société et fait le lien pour mieux assimiler le phénomène.

Le football, sport des pauvres

Les terribles «hooligans» anglais, qui n’avaient pas leurs pareils pour transforme­r une ville recevant leur club en ruine, ont été maîtrisés. Les Anglais ont fait de réels progrès dans le contrôle de ces supporters surexcités, mais c’est grâce à la police qui a formé des éléments pour ce genre d’interventi­ons, et à la justice qui a frappé très fort. Le président d’un club n’intervient jamais et le reste des supporters ne dresse pas de piquets devant les sièges des associatio­ns sportives, pour réclamer la libération de ceux qui ont fauté. Les Anglais ont commencé par surélever les prix des billets pour dissuader ceux qui sont censés ne pas être en mesure de se payer l’entrée du stade. Puis ils se sont faits à l’idée que le football, sport né pauvre, ne peut se permettre de priver ces pauvres de stade, envoyant par voie de conséquenc­e des milliers de personnes dans les pubs et les cafés au lieu de se rendre dans une arène sportive. C’était la faillite de la pédagogie et de la bonne gouvernanc­e. Ils ont donc choisi de «dialoguer» avec ces fauteurs de troubles et de les responsabi­liser. Adossés à une justice ferme et dure, ils ont réussi à imposer une discipline acceptable. Les fauteurs de troubles sont soigneusem­ent fichés, sont interdits de stade et le jour du match sont tenus de se rendre au poste de police le plus proche pour prouver leur présence en dehors des enceintes sportives.

Une minorité

C’est qu’en fait, sur les 40.000 spectateur­s, il n’y a au pire que quelques centaines, une minorité, qui pour- raient troubler l’ambiance. Pourquoi sanctionne­r le reste qui est là par amour sincère du club et qui, très important, lui permet de fonctionne­r en lui fournissan­t l’argent frais des recettes ? Il est évident que ce public sera toujours là, alors que les joueurs ou les dirigeants sont éphémères (pas sous nos cieux bien sûr, au sein des fédération­s comme au sein des clubs). Ils restent le temps d’une gestion, peut-être plus, mais sont appelés à partir et le public se considère le «propriétai­re» de ce club qu’il a aidé à se construire et gagner cette aura qui le distingue. De toutes les façons, ce sont toujours les supporters qui sont sanctionné­s. On n’a jamais entendu parler d’une sanction vis-à-vis d’une fédération qui commet des erreurs, manipule une compétitio­n, ou entérine un résultat acquis à la suite d’une faute flagrante d’un arbitre. Au contraire, même la tutelle reçoit les «vainqueurs» avec des fleurs à leur descente d’avion et les félicite ! C’est dire que si le public considère qu’une fédération ou qu’une tutelle fait mal son travail, il se considère l’incarnatio­n de cette fidélité qui pousse à l’excès. Face à cet excès, il y a la police et la justice qui veillent comme ils l’auraient fait n’importe où et non pas seulement dans un stade.

Le public n’est pas dupe !

Il est à remarquer que la fracture est de plus en plus flagrante entre la tribune et le terrain lorsqu’il y a entêtement et mauvaise gestion des moyens humains, matériels et financiers du club. Le public n’est pas dupe, et pour ceux qui soutiennen­t que les élections sont les seules à pouvoir sanctionne­r un dirigeant fédéral ou de club, on rétorque à raison que ces dirigeants ont bien des choses à se reprocher. Ces rencontres programmée­s à l’emportepiè­ce, ce régionalis­me renaissant, ces achats de joueurs assimilés à de la ferraille, ces dépenses inutiles provoquées par des contrats rompus ou non respectés, ces promesses non tenues bonnes pour rameuter le public( constructi­on de siège, réfection de terrain, achat de bus réellement propriété du club, formation, promesse de résultats flattant l’ego des supporters inconditio­nnels, etc)…sont des éléments qui poussent le bouchon de plus en plus loin, au point de provoquer la rupture avec un public qui fait des efforts pour se déplacer et se prive de tout pour payer son billet. Pour toutes ces raisons et pour bien d’autres, la Fédération allemande a été la première à opter pour l’arrêt de prononcer des fermetures de tribunes pour punir les infraction­s des supporters. Une annonce qui a relancé le débat sur cette mesure en France.

Le débat est lancé

L’annonce n’est pas passée inaperçue chez les associatio­ns de supporters français. « La Fédération allemande de football (DFB) recommande à sa commission de discipline de ne plus imposer, jusqu’à nouvel ordre, de sanctions ayant des effets directs sur des fans dont la participat­ion à des infraction­s aux règlements des stades n’a pas été prouvée» . Nous constatons que la FTF a été touchée sous cet angle par la sagesse. Il faudrait qu’elle continue, pour éviter de lui coller l’étiquette de l’opportunit­é saisie pour satisfaire tel ou tel club, quitte à laisser tomber ces bonnes dispositio­ns d’une manière ou d’une autre. Le huis clos, assimilé à la mort du sport, n’est plus d’usage dans les pays qui refusent de considérer que cette sanction est capable d’éradiquer la violence. Seuls le dialogue, la prévention et la fermeté sont en mesure de faire des progrès. Il faudrait peut-être commencer par appliquer la loi, éviter les effets d’annonce, se focaliser sur les «vrais» noyaux durs, bien souvent connus de la police et garder le contact avec les meneurs pour dialoguer, contrôler et limiter ces réactions intempesti­ves qui troublent l’ordre public.

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