Ces films marquants de la compétition
Mis à part les films tunisiens sur lesquels nous reviendrons, lors de leur sortie nationale, trois longs métrages de la compétition officielle de cette 28e édition des JCC se sont révélés des plus importants et des plus marquants. Il s’agit de «Sheïkh Jackson» de l’Egyptien Amr Salama, «The train of salt and sugar» du Mozambicain Luciano Azevedo et «En attendant les hirondelles» de l’Algérien Karim Moussaoui. Disons au moment où nous mettions sous presse, avant la proclamation du palmarès de cette édition, que ces trois opus sont tanitables ou plus simplement méritent vraiment d’être récompensés. Nous avons déjà rendu compte de l’importance du film de Moussaoui, à l’occasion de Cannes 2017, qui, pour résumer, dénonce la dévastation de la politique et de la société sur les individus. Errance des êtres et blocages de la société. Donc, focalisons-nous sur les films égyptien et mozambicain. «Sheikh Jackson» s’ouvre sur le jour de la mort de la pop-star américaine Michael Jackson, en 2009. En apprenant la nouvelle et sous le coup de l’émotion, Khaled Hani (Ahmed Fichaoui), Imam et prédicateur ultra-conservateur, ne contrôle plus sa voiture qui finit sa course dans un arbre. Le cheikh salafiste perd ses certitudes et sa foi s’ébranle quand il replonge dans son passé, du temps où il était adolescent (Ahmed Malek) et avait pour surnom «Jackson». Pris dans les tourments du doute et de la culpabilité cet Imam, dont le prénom Khaled signifie «l’éternel» a recours à une psychiatre pour comprendre, s’accepter, s’aimer et faire la paix avec son passé. Un passé triste et douloureux en raison de la disparition précoce de la mère (Dorra Zarrouk), durant son enfance, et de l’autoritarisme de son père (Maged Kedouani), à l’adolescence seul l’amour fébrile qu’il vouait à son idole, «le roi de la pop» dont il est un fan inconditionnel, absorbait tout son intérêt. Mais cette adoration pour la star n’était pas pour plaire à un père hypermâle considérant que cette admiration excessive pour «un chanteur efféminé» constituait une menace pour l’identité de genre masculin et un danger pour les valeurs patriarcales. Ainsi, le mur d’incompréhension érigé entre l’ado et son père les mène à la brouille et à la séparation: Khaled quitte l’Alexandrie et monte au Caire pour vivre avec son oncle maternel, un sheikh pur et dur qui ne tarde pas à l’endoctriner… Comédie dramatique, «Sheikh Jackson» relève quasiment du genre autobiographique, dans la mesure où le réalisateur lui-même était un fan de Michael Jackson avant d’être endoctriné à l’université par des salafistes rigoristes rejetant entre autres toutes les formes d’arts dont notamment la musique et la danse. Le réalisateur sait, donc, de quoi il parle en se focalisant sur ce tiraillement et cette déchirure entre deux «cultures», l’une occidentale et l’autre tournée vers le passé traditionaliste. La qualité du film, dont le récit coule de source, réside, notamment, dans le fait que le réalisateur ne tombe ni dans le manichéisme, ni dans les stéréotypes, et encore moins dans les clichés. Ses personnages fort bien construits sont tout simplement humains. Et le recours aux flash-back confère toute la profondeur nécessaire au personnage central afin d’expliquer sa conversion au salafisme suite à la crise identitaire vécue à l’adolescence ainsi que l’ébranlement de sa foi à l’âge adulte. S’achevant sur une fin ouverte, le cheïckh Khaled se réconcilie avec son passé, d’abord avec son père, dans une scène émouvante, et ensuite, avec «Jackson» dans une scène à la fois aérienne et plaisante. Cette comédie aux accents graves, voire dramatiques pose le problème de l’éducation dans nos sociétés arabo-musulmanes mais pose aussi un regard sur les sociétés patriarcales, conservatrices et oppressants dont l’autoritarisme et la violence peuvent mener à tous les dangers dont les crises et les déchirures identitaires ou pis encore à l’extrémisme tout court. Dans une mise en scène originale, toute en touches délicates, teintées d’humour, (scène de la prière façon Michael Jackson) le réalisateur réussit à refléter un aspect des sociétés arabes à l’ère de l’islamisme rigoriste. La qualité du film se décline, également, dans le jeu parfaitement maîtrisé de tous les acteurs.
une leçon de cinéma
«T he train of salt and sugar» de Licinio Azevedo, cinéaste et écrivain brésilien installé au Mozambique, met en scène un «trip» ou un voyage, en train très risqué, à travers le Mozambique déchiré, alors en 1989, par la guerre civile. Rosa, infirmière, la tête pleine de rêves, prend le train pour rejoindre son hôpital. Parmi les centaines de passagers se trouvent des marchands qui pratiquent le troc du sel contre le sucre en allant de Manpula au Malawi. Trois garnisons de soldats indisciplinés, censés protéger ces voyageurs sont également du convoi. Mais les passagers seront vite pris en otage entre la convoitise (rackets, droit de cuissage) des militaires et la violence des rebelles qui les violentent et les pillent. L’action se déroule dans l’immensité de paysages westerniens où le train symbolise un pays en marche vers un avenir incertain. Car tout n’est que lutte sanglante et affrontements (entre les militaires et les rebelles et entre les différentes ethnies, etc). Rackets, rapines, sexisme, violence, pauvreté, misère, c’est là le lot quotidien d’une population minée par le fatalisme et croyant dur au monde fantasque et magique. Cette dimension irréelle et sublimée aide peutêtre cette population à accepter le réel triste et douloureux. Ce film dont l’enjeu central est la lutte sanglante et incessante pour le pouvoir convoque tous les styles et tous les genres : aventure, amour, réalisme, fantastique, dramatique et surtout le western référant aux plus grands du genre : Ford, Pékinpah, Zimeman, Leone, etc. Cet opus, en fait, une vraie leçon de cinéma, bruissante de vie et riche en émotion, est loin, hélas, de se clore sur une note d’espoir puisque la dernière image se focalisant sur les aiguillages du train incarne la séparation des chemins et des destins dans un pays, nous dit le réalisateur, consumé par les divisions, la déchirure et la désunion sources d’instabilité (dans lequel se trouve aujourd’hui le pays) et de conflits.