La Presse (Tunisie)

Une réalité livrée telle quelle

Le film est un hommage à toutes ces femmes qui doivent se serrer les coudes et mener elles aussi leur combat contre cet ennemi dévastateu­r.

- Meysem M.

Pour sa dernière projection, jeudi dernier, au Ciné Mad’Art, après Le Mondial et Le Rio, le film «Séparation : Havibon», de l’Irakien Hakar Abdulqader, sélectionn­é dans la compétitio­n officielle des films documentai­res, n’a pu être projeté, pour causes techniques, qu’à 19h30. Une heure de retard nous séparait de ces femmes kurdes yézidis qui voient leur monde s’effondrer. Rongées par l’amertume et le désarroi, elles doivent quand même tenir le coup et veiller sur leurs enfants. Mais quel avenir a un enfant dans une région déchirée par la guerre? Quel avenir a un enfant quand il est logé dans un camp de réfugiés? (Les plus chanceux). Quel avenir a un enfant quand son père est porté disparu ? C’est ce qu’on lit dans les yeux d’une jeune femme à travers la caméra du réalisateu­r, un regard vide de vie, d’espoir. La jeune femme est ailleurs, fumant clope sur clope. Comme un automate, elle effectue des tâches ménagères quotidienn­es et communique à peine avec les siens : sa belle-mère et ses trois enfants en bas âge (dont un bébé). Les deux femmes, comme tant d’autres comme elles, ont fui Daech pour trouver refuge dans un camp à Shingal, haut-lieu de la religion yezidie. Face à l’effondreme­nt de sa belle-fille, la mère du jeune homme disparu fait de son mieux pour garder sa famille unie. Elle ne perd pas espoir et continue à chercher son fils. Le film est un hommage à toutes ces femmes qui doivent se serrer les coudes et mener elles aussi leur combat contre cet ennemi dévastateu­r. Et parce que le besoin rend ingénieux, ces femmes ont su s’adapter à la vie dans le camp, installant des fours en terre cuite pour leur pain, cousant des vêtements à partir de couverture en laine et partageant ce qu’elle ont. Car dans la vie dans le camp, cet ennemi commun, ce malheur qui les unit, leur a appris à tout partager à s’entraider. Pas une grande présence masculine dans la caméra du réalisateu­r, ce sont surtout des femmes que l’on voit, que l’on écoute parler, entre deux sanglots, de leur désespoir. Il n’y a qu’à un vieil homme que ce dernier daigne donner assez de temps en image. Sorte de leitmotiv, son image revient, une longue barbe d’un blanc immaculé, il est accroupi devant une tente, le regard dans le vide, tenant un chapelet, priant et attendant un quelconque dénouement à cette tragédie, ou alors le retour d’un fils disparu ou peut-être même la mort… L’attente en effet est présente et se fait sentir à travers la narration, dans l’écriture de ce documentai­re avec un rythme lent qui figure cette ambiance pesante et étouffante. Une réalité poignante que Hakar Abdulqader nous livre, telle quelle, sans retenue et sans fioritures picturales.

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