Un problème d’éthique ?
Indépendance des médias, le sujet est récurrent. Le débat s’ouvre à chaque fois qu’il y a péril en la demeure, préjudice à la ligne éditoriale. Et on en redemande, parfois avec des coups de gueule. Le sujet est toujours d’actualité. Mercredi dernier, il a
Cela s’inscrit dans le prolongement d’une formation poussée, déclinée en 12 modules, actuellement en cours, destinée aux étudiants en fin d’études de l’Ipsi, mais aussi à un certain nombre de journalistes professionnels. Soit une semaine à l’Ipsi qui semble bien chargée, avant de partir à Bordeaux pour une seconde qui ne sera pas de moindre importance. Cette formation, initiée par la fondation « Médias et Démocratie », avec le concours de l’Association francotunisienne des Pyrénées-Atlantiques (Afraht 64) et en partenariat avec l’Ipsi, est un cursus à deux volets ; théorique et pratique. Le représentant du ministère de l’Enseignement supérieur, Driss Sayah, chargé de communication, y voit un projet « passionnant et extraordinaire », voire une dynamique très positive en termes de capitalisation sur les acquis universitaires. Mme Hamida El Bour, directrice de l’Ipsi, la qualifie « d’initiative encourageante », fruit d’un travail de partenariat de plus en plus renforcé avec « Médias et Démocratie » et l’Afraht 64. Entamée l’année dernière, cette formation de deux semaines sera rehaussée par des conférences et l’immersion dans des essais rédactionnels au sein de « Sud-Ouest », journal local de Bordeaux. Pour Mme El Bour, l’indépendance des médias, ça s’apprend au fil des jours, bien qu’il y ait certains écueils à ce niveau, d’autres liés à la mentalité. « Associer les étudiants à ce genre de débat, c’est important », conclut-elle. Quant à M. Mohamed Ferchichi, il est intervenu pour présenter son association «Afraht 64», partenaire dans ce projet. L’homme, originaire de Testour, résidant à Pau (France), veut que toutes les actions humanitaires et scientifiques menées par son association, créée en 2011, soient au service de son pays natal, la Tunisie. Trois convois chargés de matériel médical ont déjà été acheminés au profit de certains hôpitaux du nord-ouest. Deux mois plus tôt, il a signé, sous l’égide de feu Slim Chaker, ex-ministre de la Santé, un accord de jumelage entre l’hôpital de Gafsa et celui de Pau.
Indépendance, ça se discute !
Au départ, le mot de bienvenu partagé était, somme toute, comme lanceur d’alerte sur une profession à la croisée des chemins, où l’indépendance peut faire la différence. Etre proche tout en restant à distance n’est toujours pas évident. Les nouveaux médias à profusion ne font, aujourd’hui, que bruit et confu- sion. Et la charte déontologique est réduite à sa plus simple expression qu’elle se voit courir à sa perte. La ligne éditoriale n’existe presque pas, à moins que certains médias prétendent la mettre encore en avant. Image de façade, dirait-on, ni moins ni plus. Un tel paysage médiatique aussi contrasté touche-t-il la véracité de l’information ? Certes, il y a du vrai et du faux. Comment faire? La formation académique ne répond guère à ce mystère. Et c’est logique ! Seul l’exercice du métier est censé distinguer le bon grain de l’ivraie. Tous les intervenants étaient, d’ailleurs, unanimes sur le droit à une information juste, vérifiée, objective et indépendante de tout pouvoir coercitif. Ce dont on a tant besoin. Mais, à quel prix ? Animateur du panel, M. Olivier Piot, journaliste-écrivain, fondateur de « Médias et Démocratie », a tenu à recentrer le débat de la sorte: « Comment les médias peuvent aider la démocratie ? Et pourquoi la démocratie ne peut pas fonctionner sans médias ? ». Dans ce couple médias et démocratie, déjà mis à mal, analyse-t-il, il y a des termes qui viennent à l’esprit, tels que la liberté d’expression, celle de la presse et l’indépendance des médias. Qu’entend-on par indépendance des médias ? De quel média parle-t-on ? Est-ce public, privé, presse écrite, télé, radio, électronique. Pour lui, cela veut dire essentiellement la vocation d’information, la vérité et l’objectivité. Cela dit, « il faut être à distance d’un certain nombre d’autres pouvoirs qui sont aussi légitimes dans la société, mais qui peuvent y mettre des contraintes. L’on parle, ici, du pouvoir économique, politique, idéologique». Soit, récapitule M. Piot, l’indépendance est la capacité à rester à la bonne distance de tous ces pouvoirs-là. De son avis, la démocratie que la Tunisie est en train d’instaurer n’est pas une chose qui existe une fois pour toutes. C’est, en quelque sorte, un chemin qui se construit en marchant. D’ailleurs, dans plusieurs pays, comme la France, a-t-il noté, la démocratie n’est pas à l’abri des menaces des temps modernes.
Evolution relativement positive
«Qu’en est-il des médias tunisiens, six ans après la révolution ?, se demande l’animateur Olivier Piot. Quant à notre collègue Manoubi Marouki, ex-rédacteur en chef de « La Presse », il a tenu à lui répondre par l’affirmative : « oui absolument, la liberté d’expres- sion demeure, alors, un acquis fort important ». Mais, cette liberté ne se donne pas aussi facilement, elle s’arrache. En revanche, révèle-t-il, l’entrée en scène des magnats de la finance et des lobbies politiques a influencé le cours de la transition démocratique des médias. «Malheureusement, il y a des forces qui tirent vers l’arrière », juge-t-il. N’empêche. Et de rebondir, « cette indépendance, on doit la créer par notre professionnalisme, notre compétence et par notre manière de traiter l’information ». Loin du buzz et de l’émotionnel. Y a-t-il une distance entre l’Etat et les médias ?, enchaîne M. Piot, en allusion au degré de neutralité dans les médias dits de service public. La directrice de l’Ipsi est entrée dans le débat, cette fois-ci, en tant qu’ex-P.D.G. de la TAP (Tunis-Afrique Presse). D’après elle, entre la TAP d’hier et celle d’aujourd’hui, il y a, certainement, une évolution énormément positive en termes de liberté d’expression. Prise à témoin, Mme El Bour a cité des exemples marquant ce tournant éditorial. Bref, en matière d’indépendance, il y a, à l’en croire, un pas en avant. «Quand même, le chemin reste, encore, long », conclut-elle. Quid de la Haica ? Supposée régulatrice de l’audiovisuel, cette instance s’est montrée, parfois, incapable de décider de ce qu’il faut pour mettre un terme aux dérives, notamment déontologiques, commises par certaines chaînes de télévision ou de radio. Ses prérogatives ne vont pas plus loin. «En 2014, il y a eu un certain glissement des médias vers des positions politiques pour tel ou tel parti candidat aux législatives », rappelle-t-elle. L’expérience du privé a été aussi relatée par Mme Fatma Karray, rédactrice en chef au journal arabophone « Echourouk ». Tant il est vrai que les médias privés l’emportent en nombre sur ceux du service public. Un métier, avouet-elle, qui a ses forces et ses faiblesses. La journaliste n’y va pas par quatre chemins pour dénoncer la mainmise sur le secteur par les barons des médias privés. Vouloir le beurre et l’argent du beurre, pour ainsi dire. Entre-temps, la parole a été donnée aux jeunes étudiants de l’Ipsi, futurs journalistes, l’ultime but étant de leur apprendre les leçons qu’ils n’ont jamais eues dans leur cursus universitaire. Car l’indépendance des médias s’apprend dans les salles de rédaction.