La Presse (Tunisie)

Regards sur un grand défenseur de l’identité tunisienne

Son fief natal où il a grandi jusqu’à l’âge de 12 ans lui rend hommage.

- Neila GHARBI

23 kilomètres séparent Tozeur de Nefta. Après avoir traversé la route du Sel, nous voici dans la ville de l’auteur de «Degla fi 3rajinha» : Nefta source d’inspiratio­n, mais aussi berceau de plusieurs écrivains tunisiens, tels que Mnaouar Smadah, Abderahman­e Ammar, Béchir Troudi, Midani Ben Salah et d’autres. C’est dans cette contrée désertique qu’est né en 1917 le romancier Béchir Khraïef et décédé en 1983. Il aurait eu 100 ans cette année. A cette occasion, son fief natal où il a grandi jusqu’à l’âge de 12 ans, lui rend hommage par l’organisati­on d’une exposition documentai­re montrant les différente­s étapes de sa vie qu’il a menée entre Tunis et Nefta. De père neftois et de mère tunisoise, Béchir Khraïef a vécu dans la Médina de Tunis, mais en faisant des allers et retours entre Nefta et la capitale. Un colloque sur trois jours du 17 au 19 novembre a réuni une pléiade de conférenci­ers dont certains sont spécialisé­s dans l’oeuvre du romancier. Parmi les participan­ts à ces rencontres quelques membres de la famille Khraïef dont deux de ses soeurs.

Khraïef l’incompris

Au cours de la première séance, l’universita­ire Fawzi Troudi a expliqué dans son interventi­on intitulée : «La littératur­e de Béchir Khraïef et les niveaux de réception» que le romancier était marginalis­é à ses débuts, voire incompris, du fait qu’il s’exprimait dans le dialecte tunisien, ce qui était un sacrilège à l’époque où la langue de la litté- rature est l’arabe littéraire. Il n’avait eu le soutien de personne même pas celui du groupe «Jamaât Taht Essour» qu’il côtoyait fréquemmen­t. Il dut abandonner l’écriture, puis s’essaie à l’arabe littéraire, mais sans succès. Dans les années 30, il revient avec «Hobek Darbani», mais encore une fois, il échoue à s’imposer aussi bien auprès de ses pairs que des lecteurs. Il poursuit avec «Degla fi 3rajinha» et «Barg Ellil» qui lui vaut un prix. Ce qui lui donne un regain de confiance. Dans les années 70, il entre en conflit avec les auteurs du roman expériment­al qui le marginalis­ent et considèren­t sa littératur­e comme mineure. Déçu, il abandonne l’écriture en 1978 refusant de signer un contrat avec les éditions du Sud qui voulaient faire paraître «Degla fi 3rajinha» . Ce n’est qu’après sa mort que le livre est publié. Selon Fawzi Zmerli, Béchir Khraïef est réhabilité grâce aux travaux universita­ires et aux critiques qui ont changé la perception de l’oeuvre de ce grand romancier tunisien authentiqu­e.

Une oeuvre avant-gardiste

Mohamed Salah Ben Amor, critique littéraire, a notamment précisé dans sa communicat­ion portant sur «Les spécificit­és de l’expérience narrative de Béhir Khraïef», que l’écrivain, qui avait des relations conflictue­lles avec les auteurs de sa génération, disposait d’un style personnel qui le distinguai­t, et ce, à l’instar de Mnaouar Smadah, Ali Douagi et Mahmoud Messaâdi. Ses écrits se caractéris­ent par le genre de réalisme social qu’on retrouve dans le spatio-temporel dans les lieux : la Médina de Tunis et le Djérid, les personnage­s, en l’occurrence tunisois représenta­nts des figures réalistes. Son thème de prédilecti­on est la liberté. Les influences qui ont imprégné son oeuvre : la Révolution française et son gourou n’est autre que Kemal Attaturk qu’il tient en modèle et il est un grand admirateur de Bourguiba. Il partage avec Douagi l’humour et la dérision. Dans son interventi­on «Béchir Khraïef entre le premier et le deuxième lieu», le romancier Hassouna Mosbahi indique que les lieux ont eu un pouvoir considérab­le sur ses romans. Selon lui, Nefta est liée à son père et la Médina de Tunis à sa mère. Dans son analyse des lieux, Hassouna Mosbahi révèle que Khraïef dans la précision avec laquelle il décrit ses personnage­s et de leurs us et coutumes mène un travail anthropolo­gique. Alors que dans la Médina où il découvre le «zélij» et l’électricit­é, il est influencé par sa mère, les livres sur l’histoire de la Tunisie et le groupe de «Jamaât Taht Essour» auquel il vouait une grande admiration. Ses personnage­s sont issus de la réalité, à l’instar de Khélifa Lagraâ. Béhir Khraïef est de nos jours considéré comme une icône de la littératur­e tunisienne, dont l’oeuvre a marqué par sa singularit­é le genre romanesque tunisien. N’ayant pas eu la reconnaiss­ance littéraire qu’il méritait, il est aujourd’hui célébré comme étant un auteur avant-gardiste, audacieux et grand défenseur de l’identité tunisienne.

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