La Presse (Tunisie)

«Les grandes réalisatio­ns sont toujours précédées de grands sacrifices»

- Entretien conduit par Mohamed Hedi ABDELLAOUI

« Il faut éviter de placer très haut la barre des promesses sociales. On doit expliquer aux jeunes que certaines réformes peuvent être douloureus­es, mais qu’on peut par la suite, sur le long terme bien évidemment, en cueillir les fruits.»

La singularit­é et la complexité du processus de démocratis­ation tunisien nécessiten­t un grand travail pédagogiqu­e pour expliquer au peuple que les grandes réalisatio­ns sont précédées de grands sacrifices, de l’avis du politologu­e américain Francis Fukuyama. Interviewé par La Presse, à l’occasion de sa récente visite en Tunisie, l’auteur de «La Fin de l’histoire et le dernier homme » a, le temps d’un tour d’horizon, parlé politique, économie et géopolitiq­ue.

« Il faut éviter de placer très haut la barre des promesses sociales. On doit expliquer aux jeunes que certaines réformes peuvent être douloureus­es, mais qu’on peut par la suite, sur le long terme bien évidemment, en cueillir les fruits.» La singularit­é et la complexité du processus de démocratis­ation tunisien nécessiten­t un grand travail pédagogiqu­e pour expliquer au peuple que les grandes réalisatio­ns sont précédées de grands sacrifices, de l’avis du politologu­e américain Francis Fukuyama.

Interviewé par La Presse, à l’occasion de sa récente visite en Tunisie, l’auteur de «La Fin de l’histoire et le dernier homme » a, le temps d’un tour d’horizon, parlé politique, économie et géopolitiq­ue. Entretien. Comment avez-vous trouvé la Tunisie six ans après la «Révolution de 2010-2011» et peut-on toujours la considérer comme une locomotive du réveil arabe ? Je pense que la Tunisie a tous les atouts de se sentir fière de sa révolution. D’ailleurs, parmi tous les pays arabes, elle est en bonne position pour jouir d’une bonne démocratie. Dès lors, elle est le premier pays arabe à s’inscrire dans la troisième vague de démocratie et se montre ainsi comme une importante locomotive du réveil arabe. Mais, ce qui m’ inquiète aujourd’hui, c’est le futur de cette démocratie. Si bien que les promesses lancées par les gouverneme­nts successifs semblent être restées lettre morte. Surtout celles ayant trait au progrès économique et à la question du chômage. Pallier ce genre de difficulté­s ne relève toutefois pas de l’ordre de l’impossible, mais je vois que certaines autorités en Tunisie manquent de volonté pour mettre en oeuvre les changement­s qu’il faut. Le Tunisien révolution­naire se place dans le stress permanent de sa propre action et refuse tout retour en arrière, parfois aux dépens de l’intérêt collectif. Les gouvernant­s se trouvent, quant à eux, souvent obligés de composer avec cet état d’esprit. Est-ce un attribut de la démocratie ou une fausse trajectoir­e? Le gouverneme­nt gagnerait en efficacité à communique­r honnêtemen­t avec son peuple et à faire preuve de patience. Dans une phase de pleine reconstruc­tion, on doit expliquer aux jeunes que certaines réformes peuvent être douloureus­es, mais qu’on peut par la suite, sur le long terme bien évidemment, en cueillir les fruits. Puis, il ne faut pas perdre de vue que la Tunisie fait face à un enjeu de taille, à savoir l’instaurati­on d’un régime démocratiq­ue stable et prospère. En d’autres termes, résoudre les difficulté­s inhérentes à la mise en place d’une démocratie libérale qui marche représente le principal défi «post-révolution­naire» pour un pays associé à la troisième vague de démocratis­ation. D’où la nécessité de s’armer de patience face à des mouvements populaires alliant complexité et singularit­é.

Les Tunisiens qui se sont un jour soulevés contre l’ordre établi avant 2010- 2011 se rassemblen­t aujourd’hui dans des bulles sociales ou idéologiqu­es. Qu’est, ce que donc les périls de la transforma­tion politico- sociale auprès des conflits quotidiens de la civilisati­on ? L’État a lancé des promesses à tire-larigot envers les population­s, surtout en termes de couverture sociale. Or, pour la réalisatio­n d’un tel objectif, il faut de grands moyens dont la Tunisie ne dispose pas. D’autant que l’économie tunisienne n’est ni l’économie italienne, ni celles française ou encore allemande. Il faut donc éviter de placer très haut la barre de ses promesses sociales sans pour autant être capable de les honorer. Car il faut toujours avoir les moyens de ses ambitions. Pour ce qui est du rassemblem­ent des individus dans des bulles idéologiqu­es ou sociales, il faut dire que la permanence des inégalités entre les composante­s du même tissu social favorise les divisions et les conflits d’intérêts. Par ailleurs, la présence d’une société civile dynamique serait une bonne alternativ­e, dans la mesure où elle aide au développem­ent économique, donc démocratiq­ue. L’économie sera le juge de paix de la transforma­tion tunisienne, de l’avis de certains politologu­es et analystes européens. Or, le pays, coincé entre le sabre des revendicat­ions sociales et le goupillon d’un contexte géopolitiq­ue mondial changeant, peine à faire tourner une machine grippée. Quel plan d’action selon vous pour un véritable redresseme­nt économique?

Je ne pense pas que la conjonctur­e internatio­nale soit favorable à la Tunisie. Si j’ai des conseils à donner à Tunis, je dirais que le pays se frayerait un chemin sur la voie du progrès, en procédant à élargir sa coopératio­n avec l’Union européenne, dans un premier temps, puis avec les pays arabes et ceux du Grand Moyen-Orient. Car le commerce intra-arabe, cette entité civilisati­onnelle et culturelle au grand potentiel économique, reste en deçà des attentes et aspiration­s des peuples de la région.

La région du Grand Maghreb était au coeur des intérêts stratégiqu­es des Français, des Britanniqu­es et des Espagnols au XIXe siècle et durant la première moitié du XXe siècle. Aujourd’hui, il semble que les Américains s’emploient à rebattre les carte du jeu géopolitiq­ue. Qu’en pensez-vous ? Le problème majeur qui se pose aujourd’hui dans la région maghrébine est inhérent aux vagues d’immigratio­n clandestin­e à destinatio­ns de l’Europe. Et ce fléau inquiète les dirigeants européens, surtout ceux qui cultivent des politiques populistes. Ces derniers essayent toujours d’exploiter ces mouvements migratoire­s, dans l’objectif de mettre en place de nouvelles politiques dans leurs pays respectifs. Je pense qu’il est temps pour les pays d’origine de cette immigratio­n de concevoir une politique de croissance économique efficace, en vue d’inciter les jeunes aspirant à une vie meilleure à rester chez eux. Les partenaire­s européens n’ont qu’à soutenir une telle orientatio­n afin de mieux protéger leurs frontières.

Et les Américains dans tout cela ?

Les États- Unis sont aussi confrontés à une politique populiste. Notre pays vit une phase politique très particuliè­re en ce moment, étant donné que le président ( Donald Trump, ndlr) et son influence sur un certain nombre de mentalités qui sévissent sur le continent américain a joué en faveur du retrait de notre administra­tion de plusieurs organisati­ons. Tout autant que l’on est revenu sur plusieurs engagement­s à l’échelle internatio­nale. Toujours est- il que les USA restent une grande puissance internatio­nale. Notre économie étant toujours forte. J’espère que nous allons retourner à la case départ le plus tôt possible.

La Tunisie a tous les atouts de se sentir fière de sa révolution, parmi tous les pays arabes, elle est en bonne position pour jouir d’une bonne démocratie.

Le gouverneme­nt gagnerait en efficacité à communique­r honnêtemen­t avec son peuple et à faire preuve de patience.

Surmonter les difficulté­s inhérentes à la mise en place d’une démocratie libérale qui marche représente le principal défi «post-révolution­naire» pour un pays associé à la troisième vague de démocratis­ation. D’où la nécessité de s’armer de patience face à des mouvements populaires alliant complexité et singularit­é.

Votre pays se frayerait un chemin sur la voie du progrès, en procédant à élargir sa coopératio­n avec l’Union européenne, dans un premier temps, puis avec les pays arabes et ceux du Grand MoyenOrien­t

On doit expliquer aux jeunes que certaines réformes peuvent être douloureus­es, mais qu’on peut par la suite, sur le long terme bien évidemment, en cueillir les fruits.

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