La Presse (Tunisie)

«Les temps ont bien changé»

- Amor BACCAR

Lorsqu’on pioche dans l’histoire de notre football, on trouve toujours d’innombrabl­es perles qui méritent d’être honorées par notre rubrique et d’être présentées aux jeunes génération­s des férus de ballon rond qui ne les ont pas vues à l’oeuvre. Aujourd’hui, nous invitons, pour nos lecteurs, le meilleur gardien de tous les temps de l’ASMarsa, Ferjani Dérouiche.

Dans les années soixante et du temps où la taille des gardiens de but dépassait rarement les un mètre quatre-vingts, Ferjani Dérouiche avait un mètre quatre-vingt-deux. La taille est un atout de «taille» pour les keepers. Et Ferjani Dérouiche s’était bien servi de cet atout tout au long de sa carrière à l’ASMarsa et quelquefoi­s avec l’équipe nationale durant la période allant de 1964 à 1977. Ferjani Dérouiche, qui a aujourd’hui 73 ans, n’a jamais rompu avec la spécialité de gardien de but puisqu’il continue d’entraîner les jeunes gardiens de l’Espérance Sportive de Tunis depuis 2013 avec l’espoir de pourvoir l’équipe fanion de l’EST de l’un de ses produits qui marcherait sur ses traces et sur celles de Chokri El Ouaer et Attouga. L’aventure a commencé pour Ferjani Dérouiche avec les minimes de l’Avenir Sportif de La Marsa en 1955. Et Dérouiche de nous en parler : «Mes débuts étaient conduits par les notoires entraîneur­s des jeunes à l’ASM, en l’occurrence feu Omar Gaddoum et Béji Bouachir qui ont inculqué les principes fondamenta­ux du football à tous les joueurs connus de l’«Avenir» sans jamais se lasser de le faire avec la même abnégation et le même amour pour les couleurs de la «Gnaouia». Mon précieux apprentiss­age m’a d’ailleurs valu plusieurs consécrati­ons individuel­les dans le cadre des concours de jeunes, avant de me voir propulsé en équipe seniors dès l’âge de 18 ans comme remplaçant du grand gardien marsois Moncef Kechiche. Et de 1965 à 1976, j’étais le gardien titulaire en puissance de l’ASM avec plusieurs convocatio­ns en équipe nationale sous la houlette de feu Mokhtar Ben Nacef et Ameur Hizem en particulie­r. Lors de la CAN de 1965, j’étais le remplaçant de Attouga».

«Nombreux furent les grands gardiens»

C’est en résumé le parcours de Ferjani Dérouiche qui ne fut malheureus­ement pas couronné de consécrati­ons mais seulement de quatre finales, coupe de Tunisie : 3 fois contre le CA (1965, 1970 et 1973) et une fois contre le ST (1966). L’explicatio­n se trouve dans le fait que l’ASM tombait souvent sur un os dur difficile à battre bien qu’il soit connu par le passé comme étant une vraie équipe de coupe, titre qu’elle est parvenue à remporter cinq bonnes fois (1961, 1977, 1984, 1990 et 1994). Mais cela n’amoindrit en rien la notoriété de son historique grand gardien qu’est Ferjani Dérouiche. «Il est important de rappeler que l’ASM était redouté par les grands clubs comme l’ESS dont elle était la vraie bête noire. Du temps où l’argent ne faisait pas encore la différence comme aujourd’hui, le nivellemen­t entre les équipes était palpable à chaque rencontre puisqu’aucun protagonis­te n’était donné vainqueur avant un match. Tous les clubs regorgeaie­nt de grands noms qui rendaient tous les matches très disputés et d’une qualité de jeu très plaisante. Rien qu’en ce qui concerne les valeureux gardiens de but, de mon temps ils étaient au moins une bonne dizaine. Je peux en citer les noms de Attouga, Kanoun, Tabka, Abdallah, Kechiche et tant d’autres. Les entraîneur­s nationaux n’avaient que l’embarras du choix pour en sélectionn­er deux ou trois». C’était le bon vieux temps quand les supporters de tous les clubs attendaien­t sur le feu ardent les dimanches pour voir à l’oeuvre leurs équipes fanions se donnant magistrale­ment la réplique dans toutes les contrées du pays. «N’im- porte quel match de football était un vrai régal et un spectacle à ne pas rater. Tout cet engouement s’est évaporé de nos jours. Dommage !».

Pazmandy, Fabio, Nagy et les autres

A la question pourquoi les choses ont-elles évolué dans le mauvais sens? Ferjani Dérouiche pense que «c’est la qualité des entraîneur­s qui y est pour beaucoup. Autrefois, les entraîneur­s n’avaient pas de diplômes. Mais ils avaient l’art de transmettr­e leur savoir-faire à leurs protégés. Des sommités comme Pazmandy, Fabio, Nagy, Mokhtar Ben Nacef, Kristic et tant d’autres ont laissé leurs traces. Ils ont nettement contribué à la promotion du beau football dans notre pays. Personnell­ement, je reste à ce jour impression­né par l’énorme apport du Hongrois Sandor Pazmandy qui a réussi à ancrer, entre autres bonnes tactiques, le système d’hors-jeu à l’ASMarsa avant de passer à l’Espérance par la suite. Ces gens-là ont marqué d’une pierre blanche l’histoire du football tunisien». En effet, c’est grâce au passage en Tunisie d’entraîneur­s comme ceux cités ci-haut que la technique individuel­le et collective de nos joueurs et de nos clubs a atteint des niveaux très respectabl­es, même si le football tunisien était en quelque sorte renfermé sur luimême sur le plan continenta­l. «Les joueurs de grand talent étaient partout présents en grand nombre. Rien qu’à l’ASM, quand on cite les Ammar Merichkou; Taoufik Ben Othmen, Moncef Kechiche, Tahar Aniba, Amor Jebali, Hamadi Chiheb, Mouldi Mazghouni, Douiri et tant d’autres, on a la chair de poule. Et même en ce qui concerne les responsabl­es qui étaient de vrais dirigeants qui se comportaie­nt en vrais pères de famille, on peut parler des heures et des heures des services qu’ils ont rendus sans calculs au club de La Marsa. A leur tête Mondher Ben Ammar, en passant par Chedly Hassouna, Abderrahma­ne Dahmani, Hamouda Belkhouja et bien d’autres qui ont consacré une grande partie de leur temps à offrir de loyaux services à notre club, comme par exemple le fait d’embaucher des dizaines de sportifs marsois». Avant, il suffisait de trouver un emploi à un sportif pour qu’il se donne corps et âme à son club. Aujourd’hui, on le couvre d’or pour marquer un ou deux buts par saison. Les temps ont bel et bien changé.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia