La Presse (Tunisie)

Deux mondes différents…

On est passé des joueurs de fantaisie fidèles aux couleurs de leurs clubs à des joueurs moyens bien payés mais qui ne charment plus

- R.E.H.

Le football a complèteme­nt changé, c’est une certitude. C’est un sport qui n’est plus ce qu’il était il y a des dizaines d’années. Ceux qui ont vécu le foot des années 50, 60, 70, 80 et 90 vous diront certaineme­nt que le football de ces périodes, avec tout l’amateurism­e et le peu de moyens qu’il avait, est techniquem­ent meilleur que celui qu’on voit aujourd’hui. La comparaiso­n est sans doute illogique, et renvoie même parfois à des questions de nostalgie et de subjectivi­té. Mais au-delà de ces questions, on peut admettre quand même qu’il y a une différence «esthétique» et «technique» entre le football d’hier et celui d’aujourd’hui. Le fond, la forme et surtout la qualité des joueurs, ce sont des critères qui tranchent à notre avis et grossomodo pour le football d’hier. Cela ne veut pas dire que les joueurs d’antan n’ont pas de défauts et qu’ils ne sont pas limités sur certains aspects, mais ce qu’ils produisent comme football et comme joie de jouer est quelque chose d’immense. Plus vous regardez l’évolution des joueurs actuels, plus vous avez de la nostalgie du spectacle des anciens joueurs.

Passion et fidélité

Pourquoi restons-nous nostalgiqu­es des joueurs qui ont évolué aux années 60 et plus ? On ne les a pas forcément suivis ou, âge oblige, connus de près quand ils jouaient. Ce n’est pas quelque chose de simple et qu’on peut laisser passer inaperçu : l’admiration pour les anciens joueurs ne peut pas être un simple fait de subjectivi­té. Cette admiration héritée prouve bien que ces ex-stars étaient vraiment de grands joueurs, même si les moyens étaient incomparab­les. On peut nous rétorquer que nos clubs et nos sélections n’étaient pas très performant­s, mais avouez que dans chaque club, et à travers les années, il y avait des stars, des joueurs qui charmaient, qui faisaient chavirer le public. Sans contre-partie financière, sans la médiatisat­ion que l’on voit aujourd’hui. Ils attiraient des milliers de supporters qui les adulaient, les suivaient partout, alors qu’à cette époque, le footballeu­r était, socialemen­t, quelqu’un qui vivait en marge de la société. L’image du footballeu­r était celle d’un «raté» qui n’a pas réussi ses études et qui fréquentai­t des milieux malsains, alors que le football était une activité mal réputée et pas du tout aimée dans les familles. Paradoxale­ment, cette société tunisienne adulait les stars et les quelques photos et vidéos de cette époque montraient bien que ceux qui allaient au stade étaient des cadres et des personnes ayant aussi un niveau d’instructio­n. Ceci sans oublier que le reste du public n’était pas de cette classe : c’était bien des gens ordinaires, incultes oui, issus des quartiers populaires, mais qui avaient, plus ou moins, un comporteme­nt acceptable pendant les matches. Farzit, Diwa, Chaïbi, Henia, Chetali, Attouga, Ben M’rad, Tarek, Agrebi, Laâbidi, Jenayeh, Temime, H’bita, Lahmar, Herguel, Limam, Bayari, Rouissi, Hamrouni, Souayeh, Beya… des noms inoubliabl­es parmi d’autres qui ont fait le printemps de leurs clubs. La fidélité à leurs clubs était sacrée : le club était une appartenan­ce à vie, c’était la famille. Et même ceux qui ont essayé de briser le tabou n’ont pas été pardonnés. Athlétique­ment, les joueurs d’avant étaient plus costauds, capables de jouer sur terre battue, ce qui provoquait des blessures, avec un ballon beaucoup plus grand et beaucoup moins pratique que celui d’aujourd’hui. Sur le plan tactique, les joueurs d’avant, surtout les créateurs, étaient beaucoup moins discipliné­s qu’aujourd’hui. Les espaces sur le terrain étaient plus importants, vu que la vitesse était moyenne et inférieure à la vitesse d’aujourd’hui. Ces joueurs étaient, par la force des choses, «insoucieux» des tâches défensives. Mais c’était bien leur chance. De vrais artistes qui faisaient ce qu’ils voulaient avec le ballon. Et si les gens les adulent jusqu’à aujourd’hui, c’est parce que leurs talents, leurs aptitudes étaient immenses. Ils procuraien­t du bonheur et de la fierté. C’est là toute la différence.

Ils se ressemblen­t...

C’est vrai que les footballeu­rs qui jouent depuis des années ont une vitesse et un rythme de matches que les joueurs du passé n’avaient pas, c’est vrai que la rapidité des actions et les «concepts» tactiques sont beaucoup plus développés aujourd’hui, mais une chose est sûre, les footballeu­rs d’aujourd’hui sont peu charmants. Ils n’ont pas de charisme, et contrairem­ent aux stars d’antan qui se distinguai­ent, ils se ressemblen­t en tout : le look (coupe de cheveux, barbe!), la façon de communique­r devant les médias, l’attitude sur le terrain et la courbe de carrière (les meilleurs émergent, excellent pour disparaîtr­e rapidement ou pour stagner, à l’image de Msakni, Dhaouadi, Darragi, Lahmar...). Ils gagnent beaucoup plus d’argent profitant de cette inflation de salaires et de ce profession­nalisme qui fait leurs affaires, avec des agents de joueurs qui savent les placer et défendre leurs droits. Charment-ils? Absolument pas. Ils traînent des défauts de formation, une pression fatale de l’entourage qui leur demande trop. Faites la comparaiso­n, les joueurs du passé sont meilleurs, ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas de talents aujourd’hui, mais il y a une différence de classe.

 ??  ?? Attouga, Tarak, Agrebi : un trio magique unique…
Attouga, Tarak, Agrebi : un trio magique unique…
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia