Il n’y aura plus jamais de Hamadi Agrebi
Le destin de Hamadi Agrebi était écrit ainsi, seule la route aurait pu être différente. Plus belle ? Impossible. Sinon Agrebi n’aurait pas été Agrebi. S’il avait un peu plus le sens de l’ego, de l’ambition, il aurait été l’un des joueurs les plus incroyab
Le destin de Hamadi Agrebi était écrit ainsi, seule la route aurait pu être différente. Plus belle ? Impossible. Sinon Agrebi n’aurait pas été Agrebi. S’il avait un peu plus le sens de l’ego, de l’ambition, il aurait été l’un des joueurs les plus incroyables de l’histoire de tout le football africain.
On pensait que les années allaient quelque part effacer les souvenirs. Les performances. Les exploits. Les moments forts. Les prouesses de génie. Non, Hamadi Agrebi n’a pas d’héritier dans le football tunisien. Il n’a jamais été comme les autres, et toujours encore plus. Lorsqu’on s’installe et que l’on se rappelle, il y a de cela des années, certains observateurs étaient convaincus qu’il avait le potentiel et la technique brésilienne pour être l’un des meilleurs joueurs du monde. Oui, on se sent aujourd’hui privilégié d’avoir vécu à une époque où Hamadi Agrebi jouait au foot. Ce qu’il se passait sous nos yeux avec lui était unique, indescriptible et certainement inoubliable. Oui, le suivre, c’était penser que tout était différent avec sa technique, son intelligence, son imagination, son originalité. Hamadi, c’était la grande classe, un état d’esprit dans le foot. Un joueur inaccoutumé, qui avait le secret de faire plier toute l’institution footballistique. De nature très discrète, il avait aussi une «haine» pour la médiatisation. Du temps de l’épopée de l’Argentine, on ne l’avait presque jamais vu à «Dimanche Sport», l’émission sportive phare et la plus prisée en ce temps-là, et cela contrairement à tous les autres joueurs de l’équipe de l’époque. Il n’était pas habile dans la communication, ni même truculent. Mais derrière sa sobriété se dissimulait un joueur anticonformiste, typique et surprenant. Tôt dans sa vie, il a été adulé à cause d’un talent différent, d’une envie différente, mais aussi d’un comportement différent. Quand on l’amena au grand Kristic, alors qu’il n’avait à peine que 15 ans, sa romance avec le foot commença avec cette exclamation de son mentor : «Qu’est-ce que je vais apprendre à ce gamin… !».
Le sourire d’enfant
Vinrent ensuite ses nombreuses convocations aux équipes nationales jeunes et… ses fugues. On le mettait dans le train pour Tunis, mais il redescendit dans la station suivante. Au fond de lui, il ne se voyait pas loin de Sfax. Plus tard, avec les seniors, il refusa de nouveau l’équipe nationale. Le grand Chetali faisait le déplacement à Sfax rien que pour le convaincre. Le gouverneur de l’époque intervenait à sa manière. La suite, on la connaît. Mais la carrière du joueur pose encore et toujours la question suivante : comment devient-on une légende ? Il faut l’imaginer Hamadi Agrebi, il y a un peu plus de vingt ans. Maigre, les genoux abîmés, mais la technique déjà raffinée. Il portait là un short trop court, et surtout trop remonté, surmonté d’un maillot noir et blanc. Il jouait au foot et ne fait quasiment que ça depuis qu’il a ouvert les yeux dans l’un des quartiers les plus pauvres de Sfax. L’école, il n’a jamais aimé ça et a toujours fait en sorte d’y passer le moins de temps possible. L’enfance de Agrebi était simple : jouer au foot, se démerder pour tuer le temps, mais surtout faire plus que les autres sur un terrain. Logiquement, un gamin de son âge peine à atteindre le but. Hamadi lui, calait sa frappe au-dessus de la tête des portiers, pliait à sa façon ses adversaires, caressait la balle comme on caresse une chose précieuse et qu’il serait impossible de céder. L’histoire vient de commencer. L’enfant était devenu un homme. Il était même déjà une légende. Le maillot a changé, le visage un petit peu aussi, mais l’envie était de plus en plus forte. S’il en était déjà là, c’est avant tout parce qu’il aimait le foot plus que tout et qu’au fond, ce dernier se devait de lui réserver une place de choix. Son destin était écrit ainsi, seule la route aurait pu être différente. Plus belle ? Impossible, sinon Agrebi n’aurait pas été Agrebi. S’il avait un peu plus le sens de l’ego, de l’ambition, il aurait été l’un des joueurs les plus incroyables de tout le football africain. L’histoire de Hamadi, prodige prédestiné pour être le footballeur d’exception du continent, était ainsi faite. Apporter une nouvelle touche, un nouvel éclat. Et le joueur à l’allure brésilienne avait le coffre requis pour l’accomplir. On avait toujours droit à un lot d’émotions à nulles autres pareilles. Les moments forts s’imposaient... C’était un joueur capable de se transcender et d’ajouter sans cesse une dimension à la valeur de toute l’équipe. Tout ce qu’il faisait, tout ce qu’il suscitait était une bénédiction pour le football. Au-delà des hommages, des actes de reconnaissance, l’incarnation de moments historiques reste la principale image qu’on garde d’un joueur qui a toujours cherché le meilleur. Cet instant, c’était hier, c’est aujourd’hui et ce sera demain. Mais c’est surtout un moment où il faut encore profiter de ce qu’il se passait sous nos yeux. Car demain, il n’y aura plus de Hamadi Agrebi, malgré les souvenirs de ce gosse qui a débarqué dans le foot avec la même technique et le même talent qu’il a eu quand il en était sorti. C’est dur, mais c’est ainsi. C’est aussi ça le football. Savoir dire au revoir, mais pas pour le moment. Alors, profitons encore de Hamadi et de son sourire d’enfant. Tout simplement car, au fond, face à lui, c’est peut-être nous les gosses. Le même qu’il était depuis belle lurette.