La Presse (Tunisie)

Une région sous le feu de l’armée turque

L’ONU a fait état de quelque 5.000 personnes déplacées par l’offensive, la plupart au sein même de la région d’Afrine

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AFP — «Je ne partirai pas de Jandairis tant que je suis en vie»: les bombardeme­nts turcs sur le nord de la Syrie ont endommagé sa maison et poussé ses voisins au départ mais Abou Jiwane, 70 ans, ne se laisse pas décourager. La tête enveloppée dans le châle traditionn­el rouge et blanc des Kurdes, Abou Jiwane se tient à proximité de sa maison à Jandarais, une ville de l’enclave d’Afrine tout juste bombardée par l’armée turque. Il explique ne pouvoir aller nulle part: «Toutes les routes sont coupées, nous n’avons même pas de diesel ni de voiture». La Turquie mène depuis samedi, avec l’aide d’un groupe rebelle syrien, une offensive contre la région frontalièr­e d’Afrine pour en déloger les Unités de protection du peuple (YPG), principale milice kurde de Syrie, considérée comme «terroriste» par Ankara mais alliée de Washington dans la lutte contre le groupe jihadiste Etat islamique (EI). Jandairis, située à proximité de la frontière et d’une ligne de front avec les rebelles proturcs, a été particuliè­rement touchée par des raids aériens et des tirs de roquettes. Les bombardeme­nts ont causé des dégâts importants. La maison d’Abou Jiwane et son tracteur ont été considérab­lement endommagés. «Que Dieu nous aide. Que Dieu nous prenne en grâce», imploret-il en secouant la tête.

«Tous avec vous»

Les rues de Jandairis sont couvertes de décombres et la station-essence est désormais horsservic­e. L’ONU a fait état de quelque 5.000 personnes déplacées par l’offensive en cours, la plupart au sein même de la région d’Afrine. Les habitants de Jandairis ont pour la plupart trouvé refuge ailleurs dans l’enclave, et ceux qui n’ont pas réussi à le faire se débrouille­nt comme ils peuvent pour se protéger des bombardeme­nts. Un journalist­e collaboran­t avec l’AFP a pu voir plus d’une vingtaine de personnes, notamment des enfants, réfugiés dans une cave faiblement éclairée. L’entrée de Jandairis est ornée de portraits d’Abdullah Öcalan, le chef historique du Parti des travailleu­rs du Kurdistan (PKK, kurde turc), organisati­on classée «terroriste» par Ankara. Abdullah Öcalan est emprisonné en Turquie depuis 1999. Ankara refuse l’établissem­ent à sa frontière sud d’une fédération autoprocla­mée par les Kurdes, au nom de sa sécurité nationale, et accuse les YPG d’être la branche en Syrie du PKK, qui mène une rébellion dans le sud-est de la Turquie depuis plus de 30 ans. L’armée turque maintient son offensive en dépit des appels à la désescalad­e. Et les Kurdes de Syrie ne se laissent pas abattre. Les drapeaux jaune et vert des YPG flottent aujourd’hui sur la ville d’Afrine et les villages voisins. «Nous sommes tous avec vous!», peut-on lire sur des bannières en soutien à la milice kurde.

«Nous restons»

Des responsabl­es kurdes ont accusé Ankara de chercher à dépeupler la région d’Afrine. «Nous pouvons garder la tête haute. Nous ne partirons jamais», assure un épicier de Jandairis, qui a préféré ne pas dévoiler son nom. Ce quadragéna­ire accuse le président turc, Recep Tayyip Erdogan, de s’en prendre à la population civile à Afrine. «Il a dit qu’il ne prendrait pas les civils pour cible, et aujourd’hui il s’en prend à eux par faiblesse», juge-t-il. «J’espère qu’il comprendra que tant que nous sommes en vie, cette terre est à nous. Nous ne partirons pas. Nous restons.» D’après l’Observatoi­re syrien des droits de l’Homme (Osdh), les tirs de l’offensive turque ont fait 30 morts parmi les civils à Afrine, tandis que le feu des YPG a tué deux civils dans un secteur voisin. Mardi, les autorités locales kurdes ont appelé les habitants à la «mobilisati­on générale» pour «défendre Afrine». «Nous combattron­s et nous ne partirons jamais de Jandairis. Nous sommes justes, et nous avons une cause», promet Jano, un avocat. A l’aide de son téléphone, il prend des photos de son quartier détruit: «Aucune force ne parviendra à nous chasser de notre terre».

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