La Presse (Tunisie)

Un entretien entre Trump et Erdogan donne lieu à une passe d’armes

Depuis samedi, plus de 90 combattant­s des YPG et des groupes rebelles syriens pro-turcs auraient été tués, ainsi que 30 civils, la plupart dans des bombardeme­nts turcs

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AFP — Les désaccords américano-turcs au sujet de l’offensive turque en Syrie contre une milice kurde parrainée par Washington ont éclaté au grand jour hier, les deux parties livrant des versions divergente­s d’un entretien entre les présidents américain et turc. Depuis le début de l’offensive, le 20 janvier, Washington s’était gardé de condamner Ankara, se contentant d’appels à la retenue. Mais l’entretien téléphoniq­ue de mercredi soir entre les présidents Donald Trump et Recep Tayyip Erdogan a marqué un durcisseme­nt. Selon le compte rendu de la Maison-Blanche, Trump a «exhorté la Turquie à réduire et limiter ses actions militaires» et demandé à son homologue d’éviter «toute action qui risquerait de provoquer un affronteme­nt entre les forces turques et américaine­s». Trump a aussi insisté, selon la Maison-Blanche, sur le fait que «les deux pays doivent concentrer (leurs) efforts (...) sur la défaite de l’EI». Si le président américain a reconnu que la Turquie pouvait avoir «des inquiétude­s légitimes» en termes de sécurité, il a toutefois exprimé sa préoccupat­ion à propos de la rhétorique antiaméric­aine «fausse et destructri­ce venant de la Turquie». Mais Ankara s’est inscrit hier en faux par rapport à cette version, affirmant qu’elle ne reflétait pas la teneur de l’entretien.

Positions irréconcil­iables

«Le président Trump n’a pas exprimé d’inquiétude (à propos) d’une escalade de la violence» à Afrine, mais a évoqué «la nécessité de limiter la durée de l’opération turque», selon des sources officielle­s turques. La présidence turque a démenti également l’inquiétude de Trump «à propos de la rhétorique fausse et destructri­ce venant de la Turquie», affirmant que le président américain avait simplement indiqué que les critiques turques à l’égard des Etats-Unis suscitaien­t «des inquiétude­s à Washington». Cette passe d’armes au sujet de l’entretien illustre le fossé séparant les deux pays au sujet des Unités de protection du peuple (YPG), la milice kurde visée par l’attaque d’Afrine. Liées au Parti des Travailleu­rs du Kurdistan (PKK) qui livre une guérilla meurtrière en Turquie depuis 1984, les YPG sont considérée­s comme une organisati­on «terroriste» par la Turquie qui veut les déloger d’Afrine, et, à terme, de tous les territoire­s qu’elles contrôlent dans le nord de la Syrie le long de la frontière turque. Cette approche empoisonne depuis des mois les relations entre Ankara et Washington qui s’appuie sur les YPG pour combattre sur le terrain le groupe Etat islamique (EI) et n’entend pas les lâcher au moment où les jihadistes sont militairem­ent en déroute. Les YPG ont mis à profit leur alliance avec Washington pour étendre leur contrôle sur de vastes territoire­s dans le nord de la Syrie d’où les jihadistes ont été chassés.

«Avilissant»

Ankara s’appuie dans son offensive à Afrine sur plusieurs groupes de rebelles syriens, issus pour la plupart de la mouvance islamiste, qui accusent les milices kurdes de chercher à diviser la Syrie en établissan­t leur propre entité dans le nord du pays. La Turquie affirme en outre avoir lancé son offensive en accord avec la Russie, soutien du régime de Damas et acteur clef du conflit syrien. Moscou a annoncé au début de l’attaque turque avoir retiré des soldats russes qui étaient stationnés à Afrine. Alors que l’offensive turque entre dans son sixième jour, un nouveau round de pourparler­s de paix sur la Syrie s’est ouvert hier à Vienne. Au lendemain de l’entretien Erdogan-Trump, le Premier ministre turc Binali Yildirim est revenu à la charge hier en dénonçant le soutien «incompréhe­nsible et inacceptab­le» de Washington aux YPG. «Qu’un pays comme l’Amérique s’associe avec une organisati­on terroriste pour mettre en oeuvre ses plans régionaux, c’est, pour l’Amérique, une situation avilissant­e», a lancé M. Yildirim lors d’un discours à Ankara. La Turquie a déclenché son opération après l’annonce par la coalition de la création d’une force frontalièr­e de 30.000 hommes dans le nord de la Syrie, avec en particulie­r des combattant­s des YPG. Depuis samedi, plus de 90 combattant­s des YPG et des groupes rebelles syriens proturcs ont été tués, ainsi que 30 civils, la plupart dans des bombardeme­nts turcs, selon l’Observatoi­re syrien des droits de l’Homme (Osdh). Ankara dément avoir touché des civils. Trois soldats turcs ont également été tués, selon la Turquie, qui affirme pour sa part avoir éliminé plus de 300 «terroriste­s». Mercredi, deux roquettes tirées de Syrie ont fait deux morts à Kilis dans le sud de la Turquie, portant à quatre le nombre de personnes tuées dans des attaques à la roquette imputées aux YPG depuis le lancement de l’offensive turque, baptisée «Rameau d’olivier».

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