La Presse (Tunisie)

La pilule passera-t-elle ?

Un veto et une forte résistance de la part de la population tunisienne traditionn­elle et patriarcal­e risqueraie­nt de se produire en cas de renforceme­nt de la loi en faveur des femmes.

- Mohamed Salem KECHICHE

Un veto et une forte résistance de la part de la population tunisienne traditionn­elle et patriarcal­e risqueraie­nt de se produire en cas de renforceme­nt de la loi en faveur des femmes.

La présidente de la commission des libertés individuel­les, Mme Bochra Belhaj Hmida, a récemment soumis au Président de la République une batterie de vingt-cinq nouvelles procédures à débattre. Notamment celles portant sur la suppressio­n de la dot, l’égalité successora­le dans l’héritage entre l’homme et la femme et la transmissi­on du nom patronymiq­ue. On s’intéresser­a particuliè­rement à ce dernier volet. Le règne du privilège masculin se traduit par l’attributio­n du nom de famille. Une position de l’homme que Mme Hmida veut faire rééquilibr­er avec celle de la femme, en accolant le nom de la mère à celui du père géniteur. Rappelons que le nom de famille d’une personne est généraleme­nt rapporté au nom patronymiq­ue du père, son ascendant direct. C’est le nom attribué à la naissance, un élément d’identifica­tion de la personne. Le nom patronymiq­ue est donc le nom figurant sur l’acte de naissance d’une personne. Par la suite, l’amendement n°93-74 du 12 juillet 1993 portant modificati­on du Code du statut personnel a donné le droit à la femme de transmettr­e son patronyme et sa nationalit­é à ses enfants. Bien que tous les projets des féministes et femmes démocrates émanent du désir de reconnaiss­ance claire de l’égalité entre les deux sexes, ils n’ont pas été menés à terme. Les réformes tendent vers le partage de l’autorité entre les deux époux au lieu de l’autorité exclusive du père. Le dernier amendement donne le droit à la femme de transmettr­e son patronyme et sa nationalit­é à ses enfants au même titre que son époux, même si elle est mariée à un étranger, à la seule condition que le père ait donné son approbatio­n.

En éloge de la mère

M. Slaheddine Jourchi, membre du comité des libertés individuel­les et de l’égalité, a révélé, dans une déclaratio­n à La Presse, les objectifs à travers cette démarche. «Le comité est en train de discuter de la possibilit­é d’attribuer le nom de la famille de la mère à la personne à l’âge de dixhuit ans, tout en gardant le nom du père. La décision sera prise conjointem­ent par le père et la mère. On a proposé une façon de voir les choses. On ne doit pas effacer le rôle de la femme dans la société, une chose à défendre au possible en tenant compte des opinions de la société civile. Il faut renforcer l’égalité des choix». Pour rendre hommage à la mère, celle qui porte son enfant durant neuf mois avant sa naissance, tous les moyens sont bons pour y parvenir. «Je m’appellerai­s Slahedine Jourchi Dhaoui en guise de reconnaiss­ance pour ma mère et pour renforcer sa position sociale». Dans la droite ligne des idées de M. Jourchi, Mme Rejeb, psychologu­e, reconnaît l’intérêt d’une telle démarche facultativ­e et sans aucun caractère obligatoir­e: «Attribuer le nom de la mère aux enfants peut supprimer beaucoup d’équivoques, autour de l’identité réelle du père géniteur dans l’attributio­n du nom de famille, dans le cas d’une femme adultérine». Mais dans une société patriarcal­e, où le père reste le chef de famille, beaucoup de questions restent en suspens. Que va-t-il se produire? Que va apporter une telle mesure?; Quels problèmes seront résolus ?

Opinions troublées

Un homme d’âge mûr désavoue une telle initiative. «C’est inconcevab­le de porter le nom de famille de la mère. Garder le nom du père est essentiel, voire sacré». Un autre parle sur un ton plus nuancé: «A ma connaissan­ce, c’est seulement à la majorité que l’on peut aspirer à porter le nom de la mère célibatair­e et dans des cas bien précis». La Presse a interrogé Mme Souad Rejeb, psychologu­e, afin de nous donner son avis sur les probables effets d’une telle mesure et son impact social. D’ailleurs, elle parle en connaissan­ce de cause. Elle raconte comment une femme divorcée a donné un nom virtuel à sa fille adoptive, qui n’en avait pas. C’était déjà Mme Bochra Belhaj Hmida, avocate de profession, qui avait plaidé en sa faveur. Cela avait fait un cas de jurisprude­nce, puisque deux autres cas similaires ont vu des femmes procéder à la même démarche pour obtenir gain de cause. Une telle mesure, qui entre de façon historique dans les moeurs tunisienne­s, ne devrait pas se faire sans résistance, notamment dans les milieux conservate­urs des régions intérieure­s. Il consistera à ajouter le nom de famille de la mère, sans supprimer le nom octroyé par le père. Cette propositio­n nécessite l’accord des deux parents. Ajouter le nom de famille de la mère sera déterminé par la personne qui en manifeste la demande à sa majorité afin de «lui rendre hommage». Les deux noms pourront être accolés, l’un à l’autre. Le nom du père précédant celui de la mère. Une mère de deux enfants avoue la possibilit­é de porter un deuxième nom pour la personne qui le désire mais se dit sceptique sur les enchevêtre­ments de noms que cela pourrait engendrer à l’avenir. «Lors de la prochaine génération, mes petits-enfants seraient condamnés à porter trois noms dans leur fiche d’état civil». Mme Rejeb termine en affirmant que cette affaire constitue un luxe, dans un contexte où le Tunisien crie famine, l’enfant quitte l’école et les gamins sont dans la rue. «Le plus important est de restaurer le planning familial, que les parents ne fassent plus beaucoup d’enfants pour les délaisser par la suite». La lutte des femmes pour atteindre l’égalité avec les hommes est un chemin qui les mènera à payer cher la liberté. M. Abdelfatte­h Mourou affirme que cette mesure est «ridicule», sur les réseaux sociaux. Elle va, poursuit-il, à l’encontre des traditions de la société tunisienne et du «système mondial». «La mesure est en contradict­ion avec les lois en vigueur. Cela va entraîner la perte de nos enfants», a encore écrit Abdelfatta­h Mourou. Une onde de choc se fait déjà sentir.

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