La Presse (Tunisie)

Nous ne devons nous en prendre qu’à nous-mêmes…

Cette inscriptio­n dans la liste « des pays tiers susceptibl­es d’être fortement exposés au blanchimen­t de capitaux et au financemen­t du terrorisme » ne vaut pas sanction. Toutefois, elle «noircit» l’image du pays qui peine à assurer sa transition économiqu

- Brahim OUESLATI

Cette inscriptio­n dans la liste « des pays tiers susceptibl­es d’être fortement exposés au blanchimen­t de capitaux et au financemen­t du terrorisme » ne vaut pas sanction. Toutefois, elle « noircit » l’image du pays qui peine à assurer sa transition économique et qui a besoin de soutien et d’aide de la part de pays frères et amis lesquels n’ont cessé de l’encenser et de lui promettre « monts et merveilles ». « Quel signal envoie-t-on aux investisse­urs et aux créanciers de la Tunisie ? Quels dégâts auront été faits d’ici à ce que la Commission revienne sur son acte délégué, le fera-t-elle, et si oui quand ? » s’est offusquée l’eurodéputé­e MarieChris­tine Vergiat.

A peine sortie de la liste noire des paradis fiscaux de l’Union européenne que la Tunisie a été inscrite, mercredi 7 février 2018, dans la liste « des pays tiers susceptibl­es d’être fortement exposés au blanchimen­t de capitaux et au financemen­t du terrorisme » par le parlement européen. Un coup sévère asséné à notre pays et qui arrive au mauvais moment. «Malgré une vive opposition » et la division des parlementa­ires au sein de l’hémicycle de Strasbourg, notre pays n’a pas échappé à cette sanction. « En dépit des efforts acharnés de certains députés, le Parlement n’a pas réussi à obtenir la majorité absolue nécessaire de 376 voix pour rejeter l’inclusion de la Tunisie, du Sri Lanka et de Trinité-et-Tobago dans la liste des pays tiers considérés comme présentant des déficience­s stratégiqu­es dans leurs régimes de lutte contre le blanchimen­t de capitaux et le financemen­t du terrorisme, établie par la Commission européenne », lit-on dans le communiqué du Parlement. La députée française MarieChris­tine Vergiat s’est déclarée « surprise et dans l’incompréhe­nsion », soulignant que plusieurs pays de cette liste sont en guerre, contrairem­ent à la Tunisie. « Je ne comprends pas comment vous pouvez mettre la Tunisie dans le même panier », a-t-elle ajouté. Elle a déposé au nom de son groupe une objection contre l’inscriptio­n de la Tunisie sur la liste européenne des pays à risque concernant le blanchimen­t des capitaux et le financemen­t du terrorisme», s’est-elle demandée. Sans résultat. Ce nouveau classement est la conséquenc­e d’un laxisme certain et d’une forme d’incurie qui a gagné la classe politique tunisienne et tous les gouverneme­nts successifs depuis le 14 janvier 2011. Certes, les responsabi­lités de ces classement­s successifs dans des listes noires et de la dégradatio­n régulière de la note souveraine sont partagées. Mais il y a aussi la faiblesse de notre diplomatie qui n’a pas fait preuve de pragmatism­e et d’efficacité. Car le nom de la Tunisie est apparu depuis le 5 décembre 2017 sur « la liste noire des paradis fiscaux piloté par le Conseil puis le 13 décembre sur celle des pays à hauts risques en matière de blanchimen­t d’argent et de financemen­t du terrorisme pilotée par la Commission », comme l’a si bien précisé l’eurodéputé­e Vergiat. C’est enfin la conséquenc­e d’une instabilit­é gouverneme­ntale qui a fait que nous avons connu huit gouverneme­nts en sept ans avec une moyenne de dix mois chacun. Au point où l’on est venu à se demander si la Tunisie est devenue un pays difficile à gouverner.

Un gâchis incommensu­rable

La Tunisie, dont le président français Emmanuel Macron a « glorifié » les mérites au cours de sa dernière visite d’Etat, n’est certaineme­nt pas celle qu’il a décrite devant les députés réunis en séance exceptionn­elle et qui l’ont longuement applaudi. Son émerveille­ment devant l’histoire « d’un grand pays, d’une grande nation, d’un grand peuple » qui a réussi à se frayer un chemin dans un environnem­ent « bousculé par les temps mauvais », n’ont pas empêché son classement dans les listes noires. Nous ne devons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Car le gâchis est incommensu­rable et la déception est grande. Nos politiques et nos gouvernant­s ont dilapidé des acquis et des atouts considérab­les. L’accumulati­on d’erreurs et de mauvaises politiques, au cours des dernières années, ont fortement handicapé la marche du pays et écorné son image à l’étranger. Il se trouve sur les tablettes des pays fournisseu­rs de gros contingent­s de jihadistes dont certains ont été impliqués dans des attentats meurtriers comme celui de Nice le 14 juillet 2016 qui a fait 86 morts et 400 blessés ou encore celui de Berlin le 19 décembre 2016 qui a fait 12 morts et 48 blessés. Pourtant, la Tunisie a des atouts qu’elle n’a pas su valoriser. Seul pays dans ce qui est communémen­t appelé « printemps arabe » à avoir, jusqu’ici, réussi sa transition démocratiq­ue, il a même obtenu, à la surprise générale, le prestigieu­x prix Nobel de la paix en 2015, faisant la Une de tous les médias du monde entier. Les grands de la planète n’ont pas tari d’éloges à l’égard de la « petite Tunisie », citée comme un modèle à suivre dans un environnem­ent hostile. Saluée comme une juste récompense pour un pays qui a réussi, en dépit de toutes les difficulté­s, à la fois endogènes et exogènes, à imposer le choix d’un modèle de société démocratiq­ue, « fondé sur la citoyennet­é, la volonté du peuple et la primauté du droit » (article 2 de la Constituti­on), cette récompense est aussi « un hommage à la persévéran­ce et au courage du peuple tunisien ». (Dixit Barack Obama). Malheureus­ement, nous n’avons pas réussi à créer tout un mouvement autour de cette prestigieu­se distinctio­n, préférant nous endormir sur nos lauriers. Pourtant ce « Nobel » avait placé notre pays sur une bonne orbite, et même si ses retombées ne sont pas quantifiab­les, il est certain qu’elles auraient pu être bénéfiques pour le pays, une fois la mise en place des institutio­ns parachevée et l’unité retrouvée. Nous avons péché par un manque flagrant d’une stratégie de communicat­ion, basée sur une diplomatie agissante et participan­t d’une démarche cohérente impliquant tous les acteurs politiques, des médias et de la société civile. Un grand ratage fortement préjudicia­ble. Même les récipienda­ires du prix qui ont été invités un peu partout dans le monde n’ont pas réussi à vendre cette image d’une Tunisie qui émerge dans un milieu marécageux. Il faut se rendre à l’évidence. On ne peut continuer à gérer les affaires du pays au jour le jour, sans fil conducteur ni stratégie claire.

Une inscriptio­n qui ne vaut pas sanction

Cette inscriptio­n dans la liste « des pays tiers susceptibl­es d’être fortement exposés au blanchimen­t de capitaux et au financemen­t du terrorisme » ne vaut pas sanction. Dont acte. Toutefois, elle « noircit » l’image du pays qui peine à assurer sa transition économique et qui a besoin de soutien et d’aide de la part de pays frères et amis, lesquels n’ont cessé de l’encenser et de lui promettre « monts et merveilles ». Et « quel signal envoie-t-on aux investisse­urs et aux créanciers de la Tunisie ? Quels dégâts auront été faits d’ici à ce que la Commission revienne sur son acte délégué, le fera-t-elle et si oui quand ? », s’est offusquée MarieChris­tine Vergiat. « La Tunisie demeure fragile économique­ment. Elle avance pas à pas dans sa transition démocratiq­ue. Faut-il rappeler que les nouvelles institutio­ns n’ont vraiment commencé à travailler qu’en 2015 et que la modificati­on de la législatio­n sur ces sujets ont été parmi les premières mesures prises ? Est-ce vraiment la meilleure façon de soutenir la Tunisie comme nous ne cessons de le proclamer que de la faire figurer sur cette liste », a-t-elle proclamé. Malheureus­ement, son cri n’a pas eu l’écho escompté auprès des collègues. Pas plus que la voix atone de notre diplomatie.

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