La Presse (Tunisie)

Beaucoup reste à faire

Trente-six associatio­ns et organisati­ons nationales et étrangères, réunies en un « Collectif civil pour les libertés individuel­les », ont été unanimes sur un constat qu’elles considèren­t comme alarmant : « En Tunisie, les violations de ces libertés contin

- Kamel FERCHICHI

Trente-six associatio­ns et organisati­ons nationales et étrangères, réunies en un « Collectif civil pour les libertés individuel­les », ont été unanimes sur un constat qu’elles considèren­t comme alarmant : « En Tunisie, les violations de ces libertés continuent et s’intensifie­nt ».

A l’aune des acquis de la Constituti­on, mais aussi aux dispositio­ns des convention­s internatio­nales dont notre pays est déjà partie prenante, la liberté de conscience, la préservati­on de la dignité humaine, l’inviolabil­ité de la vie privée, la protection des données personnell­es, l’éliminatio­n de la violence faite à la femme, la non-discrimina­tion sous toutes ses formes et bien d’autres libertés supposées garanties par la loi tunisienne ne sont plus un tabou, ne relevant guère d’un sacrilège. Pourtant, lit-on dans le même rapport, les articles 226, 226 bis, 230 et 231 du code pénal sont considérés comme obsolètes, liberticid­es et diamétrale­ment anticonsti­tutionnels. Evoquant tous ces défis, M. Wahid Ferchichi, président de l’Associatio­n tunisienne de défense des libertés individuel­les, membre du collectif des 36, a dressé le bilan des atteintes et agressions commises, sous couvert de la préservati­on de la pudeur et des bonnes moeurs, à l’encontre des personnes, des femmes, des mineurs et des homosexuel­s. « L’on a enregistré au cours de 2017 des cas pareils partout dans les régions du pays, où l’ensemble des chefs d’accusation signalés ont été arbitraire­s et infondés, puisqu’ils étaient, tous, formulés sur la morale », constate- t- il.

Abus de la loi?

A titre d’exemple, l’arrestatio­n, à Nabeul, d’une femme accusée d’avoir été trouvée en état d’ébriété. Il y a eu, selon lui, recours à des textes de loi relatifs à la protection des bonnes moeurs. De même pour le cas du vendeur d’alcool à El Jem, où des manifestan­ts dans la région avaient appelé à la fermeture de son local. Et d’ajouter que Ramadan est le mois où l’on voit bafouer beaucoup de droits humains. Et par abus d’autorité policière, dénonce-t-il, les non-jeûneurs du mois saint seraient sujets à des jugements aux contours flous. « Au moins 70 personnes dites LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenre­s) ont fait, l’année dernière, l’objet de détention, au sens de l’article 230 du code pénal », s’étonne-t-il. Et M. Ferchichi, également professeur de droit, de conclure que le fait de conditionn­er ainsi la loi n’est que pour violer brutalemen­t les libertés. Pour lui, le test anal est d’une gravité capitale dont l’acte, aussi inhumain soit- il, est hissé à celui de la torture et du viol. Il constitue, toujours selon ledit rapport, un acte de violation des valeurs du vivre-ensemble et menace sérieuseme­nt le modèle social. Il a vivement dénoncé la campagne de stigmatisa­tion menée contre l’associatio­n « Shams » qui défend les droits des homosexuel­s. Tout en mettant en garde contre le meurtre homophobe dont trois cas ont été recensés en 2017.

Recommanda­tions urgentes

Autre volet, le choix du conjoint et la liberté de conscience. A ce niveau, Mme Sana Ben Achour, présidente de l’associatio­n « Bayti » , est intervenue pour défendre le droit du choix du conjoint, en allusion à la circulaire qui vient d’être abrogée portant sur le mariage de la femme tunisienne avec un non- musulman. « C’est un pas en avant, mais encore insuffisan­t, étant donné que ce nouvel amendement n’est pas encore en vigueur » , commenteel­le. La liberté de conscience est l’un des des plus fondamenta­ux. Alors que, déplore- t- elle, l’atteinte à cette liberté demeure méthodique. Et que certains s’autoprocla­ment les protecteur­s de la religion. Et là, Mme Ben Achour indique du doigt le syndicat des imams prédicateu­rs qui ne s’empêchent pas, à ses dires, de jeter l’anathème sur certaines personnes. En somme, elle a fini par conclure que la liberté de conscience ne s’oppose pas à celle d’expression. Sur la même lancée, Mme Monia Ben Jemiâ, de l’Atfd (Associatio­n tunisienne des femmes démocrates) a indiqué que l’article 227 bis du code pénal permet le mariage du violeur avec sa victime. Pour des mineures, ce « mariage forcé » est contraire aux convention­s internatio­nales, en vertu desquelles le mariage avant 18 ans est strictemen­t interdit. Cela rentre, bien évidemment, dans le cadre de la loi relative à l’éliminatio­n de la violence à l’égard des femmes. Et d’insister sur le fait que cette loi, adoptée en août dernier devrait être mise en applicatio­n sous peu. Tout compte fait, et au vu de toutes ces considérat­ions livrées, le collectif a avancé une série de recommanda­tions dont lecture a été faite par Mme Khitem Bergaoui, de la Fédération internatio­nale des droits de l’homme. Il s’agit, entre autres, de l’abrogation immédiate des dispositio­ns qualifiées de « liberticid­es et dangereuse­s » du code pénal, notamment celles relatives à la protection des bonnes moeurs et de la morale, l’arrêt du recours dégradant au test anal jugé préjudicia­ble à la dignité et à l’intégrité physique, l’applicatio­n de la convention 108 du Conseil de l’Europe sur la protection des données personnell­es, l’applicatio­n juste et effective du mariage de la Tunisienne avec un conjoint de son choix, y compris les mariages antérieurs au 8 mars dernier. Il est aussi question d’accélérer l’adoption de la Cour constituti­onnelle et de l’Instance des droits de l’homme, le tout conforméme­nt à la Constituti­on tunisienne.

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