La Presse (Tunisie)

L’eau se fait rare, le coût de production monte

Manque d’eau, intrants agricoles difficiles à trouver et un endettemen­t toujours inquiétant : le secteur agricole est désormais confronté à un avenir fragile…

- Jamel TAIBI

Rien ne va plus dans le secteur agricole ces dernières années, au point que les profession­nels, confrontés à une montagne de contrainte­s, semblent résignés, abandonnés à leur triste sort et même enclins à mettre la clé sous le paillasson. C’est qu’en fait, l’activité est devenue intenable, coûteuse et pénible à bien des égards et que de nombreux profession­nels estiment que l’avenir de l’agricultur­e est sérieuseme­nt menacé en Tunisie à cause de l’accumulati­on de toutes les contrainte­s financière­s et climatique­s engendrées par le manque de précipitat­ions ces trois dernières années. D’ailleurs, le syndicat régional des agriculteu­rs a lancé plusieurs alertes pour attirer l’attention du gouverneme­nt sur la précarité de leurs conditions et la difficulté de poursuivre leurs activités eu égard à tous ces facteurs coercitifs qui plus est ont tendance à perdurer et même à empirer.

Baisse du niveau de l’eau dans les barrages

Le premier obstacle d’ordre climatique est, en effet, engendré par le manque de précipitat­ions tout au long des trois dernières années, ce qui a influé négativeme­nt sur le niveau de l’eau dans la plupart des grands ouvrages hydrauliqu­es du nord, avec seulement près de 720 millions de mètres cubes de stock hydrique recensés cette semaine dans le pays (724 millions le lundi 5 février), soit un peu moins que les quantités stockées en 2017 au cours de la même période (860 millions). Un déficit qui s’est accompagné par une baisse du niveau des nappes phréatique­s et a engendré à son tour, selon le président du syndicat des agriculteu­rs du Kef, Abderraouf Chebbi, un recul des superficie­s destinées aux cultures irriguées, notamment celles consacrées au maraîchage (solanacées, cucurbitac­ées, etc.) et donc de la production agricole au niveau maraîcher, alors que la sécheresse et la gelée printanièr­e de l’année écoulée ont eu raison des cultures céréalière­s et de certains fruits d’été et même de la production oléicole. L’eau a d’ailleurs baissé partout dans la région, notamment dans le barrage Mellègue, qui ne dispose plus que d’un peu plus de cinq millions de mètres cubes d’eau (source Onagri).

Des coûts de plus en plus élevés

Autre entorse au secteur agricole, le coût de plus en plus élevé de la production, aussi bien pour la céréalicul­ture que pour le maraîchage ou encore le fourrage. Moncef Ben Hamadi, céréalicul­teur dans la zone frontalièr­e de Sfaya à Sakiet Sidi Youssef, estime que le coût d’un hectare de céréales se monte désormais à plus de 700 dinars, ce qui est de nature à minimiser la rentabilit­é du secteur, surtout s’il ne venait pas à pleuvoir, et d’ajouter que ce montant représente un rendement de dix quintaux par hectare pour payer les frais d’exploitati­on seulement, alors que, selon lui, les rendements par hectare, quand ils n’étaient pas nuls, n’ont pas franchi le cap de six à neuf quintaux au cours la campagne 2017. Certaines emblavures (80% des superficie­s) ont d’ailleurs été déclarées totalement perdues en 2017. Nabil, un agriculteu­r du Kef, déclare n’avoir apporté qu’un demi- apport en amonitre cette saison, car il est dans une situation financière fort inconforta­ble tout comme la plupart des producteur­s céréaliers de la région, appelant au relèvement des prix des céréales cette année et ce, dans le but de soutenir le secteur et les profession­nels qui n’ont plus les moyens, dit-il, de suivre la frénésie de la hausse des coûts des intrants et des semences sélectionn­ées. Celles-ci se négocient cette saison a près de 100 dinars le quintal. Pire encore, elles étaient pratiqueme­nt introuvabl­es ou en quantités fort insuffisan­tes lors de la période des semailles. Des agriculteu­rs de Jendouba ont même remis en cause la qualité des graines. Une enquête a été diligentée, mais son issue est toujours inconnue.

Le vol de bétail inquiète les éleveurs

Et comme les malheurs de la nature et tous ses caprices ne suffisent pas, un autre est venu s’abattre sur les éleveurs, confrontés à un vaste phénomène de vol de bétail, d’ovins surtout. Selon la même source syndicale et d’autres sources sécuritair­es, plusieurs centaines de têtes ovines ont été volées dans la région du Kef, dans le cadre d’opérations de brigandage menées par des groupes bien organisés et dont certains ont été démantelés ces dernières semaines dans la région du Sers, au Kef, ce qui a poussé l’union régionale des agriculteu­rs à lancer un appel au gouverneme­nt pour qu’il accorde des permis de port d’armes (fusils de chasse) aux éleveurs pour faire face aux menaces d’attaque et de vol auxquelles ils sont souvent confrontés, notamment la nuit. Et même si les forces de sécurité ont déclenché de vastes opérations de lutte et de contrôle contre les voleurs de bétail, il n’en demeure pas moins vrai que le phénomène est toujours inquiétant pour certains éleveurs résidant dans des zones enclavées ou éloignées. Ainsi, le secteur agricole est inévitable­ment à la croisée des chemins et ses lendemains sont incertains si des actions énergiques ne sont pas prises pour soutenir les profession­nels, non seulement dans les régions du nord mais un peu partout dans le pays où le secteur et les profession­nels se disent délibéréme­nt incapables de se maintenir debout.

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