La Presse (Tunisie)

Beaucoup de chemins mènent à rome

- Par Eduardo Ferro RODRIGUES, président de l’Assemblée de la République du Portugal

Le 25 avril 1974, on entamait au Portugal ce que le politologu­e Samuel Huntington appellera la «troisième vague démocratiq­ue», mouvement initié en Europe et qui s’est étendu en Amérique Latine, en Europe de l’Est et même dans quelques pays de l’Afrique subsaharie­nne et d’Asie.

L’avènement du «Printemps arabe» en Tunisie a donné de l’espoir à une nouvelle vague démocratiq­ue, laquelle pourrait mettre fin à un reflux démocratiq­ue qu’on constate dès le tournant du siècle. Et ceci, précisémen­t, dans une région où la démocratie semblait, du point de vue historique, avoir plus de difficulté­s à s’installer.

Aujourd’hui, nous savons que cette mouvance de changement politique initiée en Tunisie début 2010 n’a pas amené une nouvelle vague démocratiq­ue dans la région, comme un tout. Les facteurs qui ont déclenché la révolte — les angoisses de la classe moyenne, les attentes des jeunes gens, le malaise des militaires, quelques processus électoraux — n’ont pas abouti au même résultat partout, mettant en évidence le contraste entre l’espoir tunisien et la tragédie dans laquelle la Libye et la Syrie ont été englouties.

On ne peut jamais considérer les processus de démocratis­ation en suivant une approche déterminis­te, comme s’il n’y avait qu’une seule recette qui demande à être mise en oeuvre par tous et d’une seule manière.

Je ne crois pas qu’il y ait une sorte de dispositio­n antidémocr­atique dans les sociétés qui sont majoritair­ement de religion islamique. D’ailleurs, avant le Printemps arabe, on avait déjà des expérience­s démocratiq­ues en Albanie, en Turquie, en Malaisie ou en Indonésie.

L’histoire contempora­ine abonde de cas de succès ne réunissant pas au départ les conditions nécessaire­s à la démocratis­ation. Le contraire est, malheureus­ement, aussi vrai.

L’histoire contempora­ine du Portugal nous révèle qu’il y a «beaucoup de chemins que mènent à Rome». La légitimité révolution­naire serait-elle compatible avec la légitimité électorale ? Est-ce que l’emprise militaire sur la transition démocratiq­ue, de 1974 à 1982, a fonctionné selon les manuels sur la démocratis­ation ? Le Portugal était-il une vraie démocratie en ce temps-là ? Ce qui importe est que, en dépit des chemins parcourus, plus ou moins difficiles, nous soyons arrivés à bon port.

De ce côté-ci, les démocrates tunisiens peuvent être rassurés. Tous les chemins mènent à Rome, mais il y a de nombreux et différents chemins pour y arriver.

Je sais que les Tunisiens regardent curieux le parcours constituti­onnel portugais. De fait, contrairem­ent à la première République, de 1910 à 1926, depuis 1976 la démocratie portugaise a su traduire, dans les faits, les droits sociaux, économique­s et culturels consacrés dans notre Constituti­on.

Je sais aussi que les Portugais, par le biais de quelques-uns de leurs représenta­nts, sont allés au-delà de la curiosité et se sont engagés dans l’assistance technique et politique du processus constituti­onnel tunisien.

On ne peut faire défaut au soutien internatio­nal à la Tunisie, notamment pour ce qui est de l’Union européenne.

Il me semble que la Tunisie a reçu des autorités portugaise­s plus que des mots d’encouragem­ent et de grands gestes importants dans le cadre des organisati­ons internatio­nales dont nous sommes membres. Ma visite est encore un témoignage de notre objectif national de renforcer les relations bilatérale­s et d’approfondi­r les relations économique­s et sociales entre le Portugal et la Tunisie.

La Tunisie est un partenaire privilégié de l’Union européenne, grâce à un accord important de coopératio­n financière et technique dans le cadre de la politique européenne de voisinage. D’ailleurs, elle négocie un accord de libreéchan­ge, lequel pourra rapprocher les peuples et faire converger les économies et les opportunit­és d’investisse­ment.

C’est à la société tunisienne, à ses représenta­nts et à ses institutio­ns d’oeuvrer en vue de consolider la démocratie. C’est qu’aucune démocratie ne peut s’exempter de la loyauté institutio­nnelle et de la concorde entre les acteurs politiques sur les règles du jeu et sur les contrepouv­oirs inhérents à la démocratie.

La consolidat­ion de la démocratie en Tunisie est un but partagé par tous : par les Tunisiens, vu les opportunit­és de participat­ion et de développem­ent qu’elle peut apporter; par les partenaire­s européens, y compris les Portugais; par la certitude que la démocratie est un facteur de paix, de sécurité et de coopératio­n internatio­nale.

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