La Presse (Tunisie)

Chapeaux, barbes et colliers

- Par Bady BEN NACEUR

Nous avons déjà signalé — à maintes reprises dans ces mêmes colonnes ou dans celles de la Chronique du Rêvoir(*) — la grande influence qu’ont eue, depuis 2011, la jeunesse tunisienne, aujourd’hui désabusée, et les plus vieux qu’eux, quand tous, ensemble, ils étaient portés par des élans révolution­naires qui ont fait échos dans les pays du monde entier. Nos «bains de foules» sur la grande avenue, véritable vitrine et podium du pays, ont été rapportés de manière directe et spontanée, parfois sans commentair­es (le «no comment» à la Euronews), lorsque cédant à ces images saisissant­es, le jugement n’était même plus nécessaire ! Or, tout ce qui touchait à l’esprit de «performanc­es» — en direct — comme les performanc­es ou les happenings artistique­s, chez les jeunes créateurs, plutôt portés sur le tag et le street-art (l’art dans la rue, sur les murs et les colonnades des ponts et des échangeurs) se devait d’être dans le même esprit «révolution­naire», c’est-àdire «présentabl­e», même la manière de s’habiller et de porter des accessoire­s nouveaux ou des accoutreme­nts qui pouvaient aller avec cet état d’esprit… révolution­naire. En 2016 (**), la révolution tunisienne avec ses hauts et ses bas, et l’esprit frondeur et quelque peu apaisé, avait troqué la «chéchia» (rouge grenat et même garance) pour le chapeau, le couvre-chef à l’«européenne» ou à la «méditerran­éenne». Une coiffure de forme assez rigide et à l’opposé du bonnet de feutre, initialeme­nt tricoté et teint de toutes les couleurs pour la gent féminine, ou de la casquette que l’on voit dans les cours de tennis ou chez les rappeurs, la visière plutôt maintenue à l’arrière du crâne. Le culte de la chéchia de même coloris que le drapeau tunisien — symbole du sang de nos martyrs — portée par nos pauvres ouvriers, et usée jusqu’à la corde, durant les années sombres du colonialis­me, avait presque disparu. On le retrouve pourtant encore chez nos syndicalis­tes qui défendent la cause du peuple sans relâche et, bien entendu, chez nos beldis lors de certaines réceptions traditionn­elles ou de haut rang, comme l’était l’inoubliabl­e feu Si Djellouli qui l’avait portée tout naturellem­ent jusqu’à la fin de sa vie, chez lui quand des visiteurs importants venaient le voir. Aujourd’hui, la donne a changé d’un point de vue vestimenta­ire, selon les saisons et, à propos de chapeaux justement, une nouvelle mode, qui ne dit pas encore son nom, navigue librement et quasi naturelle, comme si tout cela allait de soi : borsalino, béret noir étoilé à la mode Che Guevara, panama, casquette marine, toque, tube (dans les spectacles), sombreros et mdhala autrement décorée, chapeau à plumes... De véritables coups de chapeaux pour cette révolution tunisienne et chapeaux bien bas pour la saluer encore et encore!, et pour avoir libéré la société de toutes les formes de censure d’un autre temps. Mais, au moindre revirement, qui sait ce qu’il adviendra : on peut s’en foutre éperdument aujourd’hui! Depuis le début de ce nouvel an, nous découvrons, sur les terrasses des cafés de la grande avenue, de nouveaux looks porteurs de chapeaux mais aussi de barbes et colliers très soignés, sans doute depuis que quelques salons de coiffure de la capitale s’en mêlent, qui ont poussé comme des champignon­s après la pluie. Et puis les tout derniers qui ont pris de l’âge durant ces sept années de révolte et dont la barbe très fournie et fleurie, couleur d’anthracite, tandis que ceux du collier très fin et savamment entretenu dans le pourtour du visage, cherchant à affirmer, avec distinctio­n, leur persona (le masque), dominé par des cheveux gominés en touffes sauvages. Et puis, les has-been de notre génération, à la barbe toute blanche, signe de sagesse et de patience et surtout pour maquiller le problème de l’âge avec des rides profondes que celles du sillon de labour, un chapeau flanqué sur le crâne dégarni ou complèteme­nt chauve. Un borsalino en feutre marron comme ceux des chasseurs ou un panama tout blanc l’été venu. Et, s’il vous plaît ! —, un costume tout blanc et des lunettes de soleil noires, pour abriter leurs yeux fatigués d’en avoir vu des vertes et des pas mûres, mais toujours distingués. Chapeaux bien bas pour eux aussi et avec tous nos respects…

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