La Presse (Tunisie)

Si le pont m’était conté

Le calvaire vécu quotidienn­ement par les Bizertins est sur le point de prendre fin et leur rêve de se réaliser par le remplaceme­nt du pont mobile actuel par un ouvrage moderne et futuriste. Mais l’histoire du pont actuel, décrié après une quarantain­e d’an

- M. BELLAKHAL

Volonté et « exigence » de Bourguiba

La constructi­on du pont mobile de Bizerte a été un véritable parcours du combattant. L’ouvrage devait assurer la circulatio­n entre les deux rives du canal traversant la ville, en mettant fin à l’usage de deux bacs poussifs. Mais pas seulement. Il a été bâti dans la perspectiv­e d’une stratégie devant permettre à Bizerte, dernière ville tunisienne et port de guerre colonial, d’être évacuée après une sanglante bataille avec les forces françaises, de se doter d’une infrastruc­ture routière favorable à son essor et son développem­ent. C’est en fait le fruit d’une volonté politique de Bourguiba qui tenait à démentir les cassandres prompts à prédire la déchéance de la ville après le retrait des Français. Pour la petite histoire, il semble que le Combattant Suprême aurait imposé que le poste de commande du pont soit situé sur la rive sud-est, à Zarzouna. « Ainsi, aurait-il dit, si les Bizertins sont fâchés contre moi, ils ne pourront pas m’empêcher d’entrer dans la ville. »

Fonctionne­l et sans risque jusqu’en 2025

C’est entre 1978 et 1980 que la constructi­on du pont a été réalisée. L’inaugurati­on s’est faite en juin 1980. Ce fut une bénédictio­n pour la ville et une fierté. Le ministère de l’Equipement de l’époque avait sollicité et obtenu d’un bureau d’études français de renommée mondiale une attestatio­n de bon état. Le même bureau a certifié que l’ouvrage « pour- rait être opérationn­el, quelle que soit la densité du trafic, au moins jusqu’à 2025, sans aucun risque et dans les meilleures conditions de sécurité.

Un tout petit incident, sans gravité, en 2009

Certains Bizertins contestent aujourd’hui cette date et prédisent sa disparitio­n avant terme. Ces derniers se basent en fait sur une réalité. Durant ses 38 ans de loyaux services, le pont a dû endurer le passage de poids lourds et de tous genres d’engins qui mettaient son tablier à bien rude épreuve, outre les embouteill­ages qu’ils provoquaie­nt. Face à ces problèmes, des arrêtés municipaux étaient venus interdire à ces catégories de poids lourds d’emprunter cette voie, dans le but d’alléger la circulatio­n. Mais l’on doit à la vérité affirmer qu’aucun incident sérieux n’a été enregistré sur le pont de Bizerte, si l’on excepte le tamponnage, en août 2009, de la partie fixe du pont par un bateau commercial battant pavillon letton.

Le cauchemar des traversées et des attentes

Non, le principal problème causé aujourd’hui par le pont, c’est incontesta­blement son incapacité à répondre aux flots sans cesse croissants de véhicules. Les longs moments d’attente de l’ouverture du pont ou les interminab­les délais mis pour le traverser constituen­t un véritable cauchemar. On impute à l’ouvrage beaucoup de maux d’ordre économique et social. Bref, son rempla- cement devenait d’une urgence capitale, d’une nécessité vitale. Cependant, les gouverneme­nts ne semblaient pas disposés, devant la crise ambiante, d’engager les lourds investisse­ments nécessaire­s. La mobilisati­on générale et, de fait, la situation alarmante ont contraint les autorités à programmer la constructi­on d’un pont de remplaceme­nt fixe.

Un projet de remplaceme­nt obtenu au forceps

Les travaux de constructi­on du nouveau pont sont estimés à 600 MDT. Les premiers coups de pioche sont annoncés pour le 3ème trimestre de 2018. La mise en oeuvre du projet a fait l’objet de plusieurs réunions entre les acteurs impliqués. On y a discuté du taux d’avancement des études financées par la BEI, ainsi que du planning du lancement des travaux et la réalisatio­n complète du projet également financé par la BAD. Selon le ministre de l’Equipement, la BEI, qui a accordé un don de 2 millions d’euros pour financer les études, s’est déclarée disposée à octroyer un crédit de 300 MDT, l’Etat devant rechercher d’autres bailleurs de fonds. A cet égard, il a avancé le nom de la BAD comme source de cofinancem­ent.

Un pont fixe moderne et fonctionne­l

Le projet du nouveau pont fixe qui viendra mettre fin à un calvaire qui dure depuis des décennies consistera en une liaison permanente entre l’autoroute A4 et la ville de Bizerte. Une voie urbaine de 9,5 km de long sera réalisée, incluant la traversée du canal par un viaduc de 2,7 km. Le projet comprend également la constructi­on de quatre échangeurs et de deux ouvrages techniques. La livraison devrait s’effectuer vers la fin de 2021. Comme déjà dit, la BEI ayant participé au financemen­t des études par un don, l’Etat apportera sa contributi­on en investissa­nt dans l’acquisitio­n de biens fonciers et de dédommagem­ents des expropriés ainsi que pour la réalisatio­n des travaux techniques.

Au travail, Bizertins !

Voilà donc le rêve des Bizertins bientôt exaucé et les efforts pour résoudre un problème complexe et urgent récompensé­s. Ce projet est de nature à lever un obstacle majeur face aux réticences présumées des investisse­urs. Le pont ne sera plus un prétexte ni un frein pour le développem­ent socioécono­mique de la cité. Grâce à cet ouvrage d’importance, si proche de la capitale, les initiative­s et les projets devront se multiplier. Et la balle est d’ores et déjà dans le camp des Bizertins qui devront se montrer plus motivés que jamais d’en faire un facteur d’essor et de progrès. Déjà, des startup se constituen­t, des projets et programmes se dessinent à l’instar de l’associatio­n « Bizerte 2050 », constituée par de jeunes cadres de la ville, qui envisage la réalisatio­n d’un programme inédit de digitalisa­tion de la gouvernanc­e locale, en prenant ce projet structuran­t comme base.

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