La grandeur des militants, l’humilité des gens simples
La Tunisie est triste. Mercredi soir, un pan entier de son histoire contemporaine est parti. Emna, dite Oum El Khir, la veuve du grand leader et martyr Farhat Hached, est, en effet, décédée à Tunis à l’âge de 88 ans. Soit 68 ans après l’assassinat de son mari le 5 décembre 1952, sur ordre des autorités de l’occupation française.
La Tunisie est triste. Mercredi soir, un pan entier de son histoire contemporaine est parti. Emna, dite Oum El Khir, la veuve du grand leader et martyr Farhat Hached, est, en effet, décédée à Tunis à l’âge de 88 ans. Soit 68 ans après l’assassinat de son mari le 5 décembre 1952, sur ordre des autorités de l’occupation française.
Elle est restée, depuis, le symbole du dévouement et la partie visible de la conscience populaire qui réclame toujours toute la vérité sur ce crime perpétré par l’Etat français. Même si, il y a six ans, François Hollande, le président français de l’époque, lui adressa un solennel pardon, le jour où elle le rencontra. Née le 24 avril 1930 à Kerkennah, Emna avait un peu moins de quatorze ans quand elle épousa Farhat Hached, son cousin, le 15 octobre 1943, dans leur île natale. N’ayant jamais fréquenté l’école, elle apprit cependant à lire et à écrire chez elle grâce à son mari. Au moment de la disparition de notre héros, le couple avait quatre enfants, Noureddine, 8 ans, Naceur, 5 ans, Jamila, 2 ans et Samira 8 mois seulement. Veuve à 22 ans, elle vécut avec le leader exactement neuf ans, deux mois et 10 jours, a-t-elle précisé l’autre jour, « plus délicieux qu’un siècle, tellement Si Farhat était un mari et un père tendre et affectueux ». Quand son emploi du temps le lui permettait, le leader l’aidait dans ses tâches ménagères, mais aussi à faire la cuisine. Il la convainquit aussi d’enlever le sefsari, le voile traditionnel.
Elle défie l’armée française
La veille de son assassinat, le leader avait ordonné à son épouse de se rendre à Sousse avec les enfants, chez son oncle maternel à lui, car notre héros sentait venir une lâche agression sur sa personne de la part de l’occupant et il craignait pour
les siens. Afin de ne pas rater l’école, Noureddine fut confié à la famille de Si Mustapha Filali, grand ami de Hached et dirigeant syndicaliste à l’époque. Voulant éviter l’embrasement de la situation, le pays était déjà en ébullition depuis le début de cette année-là, les autorités coloniales décidèrent de procéder, sous haute surveillance, à l’inhumation du martyr dans son île natale.
Le 7 décembre, la dépouille fut embarquée sur une corvette militaire à partir de La Goulette en direction de Kerkennah. Une fois le cercueil à terre, Oum El Khir s’opposa alors aux militaires français lors de deux moments bien distincts. Pas question d’abord d’enterrer le martyr au cimetière du village, elle fera en sorte qu’il soit inhumé dans le jardin du domicile parental. Impossible aussi de le faire sans ouvrir le cercueil. Les militaires avaient interdit l’ouverture de celui-ci par mesure de précaution. Il fallait coûte que coûte qu’elle jette un regard d’adieu à son défunt mari et vérifier par-là même l’identité de la dépouille mortelle. Sans le moindre sou, Oum El Khir reprit alors sa vie quotidienne, grâce à la solidarité des syndicalistes puis à une petite pension. Le premier Aïd El Idha après la disparition de son mari, le roi Lamine 1er lui envoya un mouton. Elle refusa gentiment le cadeau en argumentant son geste. Si toutes les familles des martyrs avaient droit chacune à un mouton, alors j’accepterais le présent, car, précisa-t-elle, les martyrs sont tous sur un pied d’égalité. N’ayant jamais abandonné son droit et celui des Tunisiens à connaître la vérité sur l’assassinat de son mari, elle ne ratait aucune occasion pour réclamer haut et fort ledit droit, et elle était reçue par bon nombre de chefs d’Etat, en reconnaissance de son attitude digne et de ses positions fermes. Oum El Khir était une synthèse réussie de patience, de bravoure, de sincérité, de fierté, d’humilité, de courtoisie, de tendresse, de calme, de dévouement et tant d’autres qualités humaines. En s’en allant, elle laisse un legs moral inestimable à tous les Tunisiens et à tous ceux qui sont épris de liberté et de justice .
Foued ALLANI